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Automobiles : un secteur qui a intégré le développement durable

Interview réalisée par Patrick Seurot


Entretien avec Gilles Bonvarlet, Président directeur général de Sodiva

En Polynésie, le taux de motorisation des ménages reste très moyen, par rapport à des pays très motorisés comme les USA, mais aussi par rapport à la France métropolitaine ou les outre-mers.

Le schéma directeur des transports collectifs montre que les transports quotidiens se font essentiellement en voiture individuelle, plus généralement entre Mahina et Paea, et dans l’agglomération de Papeete, d’où la densité du trafic aux heures de pointe.


Dans le même temps, intégrer le développement durable dans les stratégies des constructeurs et équipementiers automobiles, et généralement des différents acteurs du transport, incluant l’aérien et le maritime, est une priorité. Ainsi les économies d’eau, le recyclage des matières premières, les processus de production et la RSE, sont-ils au premier plan de ces nouvelles stratégies.



Le secteur automobile a vécu quatre étapes majeures dans son développement durable :

  • la mise en place du pot catalytique* dans les années 1990,

  • le recyclage des matériaux polluants ou réutilisables (huiles, aciers, composants électroniques), rendu obligatoire par une directive européenne de 1998, et le remplacement desdits matériaux polluants par des matériaux plus propres

  • la mise en circulation des premières voitures hybrides**, notamment la Toyota Prius (1997)

  • l’apparition de la voiture 100% électrique, réellement commercialisée*** avec notamment une première référence internationale, la Nissan Leaf (2010), suivie par la Tesla Model S (2012)


La voiture électrique a semble-t-il un bel avenir dans certains pays****. Sera-ce le cas en Polynésie, bénéficiant de mesures d’encouragement du Territoire et de l’Etat, via des systèmes de primes d’achat, d’une fiscalité appropriée, jusqu’à devenir un marché de masse, ou restera-t-elle un marché supplétif ?

Aujourd’hui, 6000 à 6500 voitures neuves sont vendues chaque année. Dans ce parc automobile, on peut distinguer en Polynésie trois types de voitures propres : la voiture 100% électrique, la voiture hybride, rechargeable ou non, et les petites cylindrées de 4 cv qui émettent moins de 100g de CO2. Mais la voiture électrique reste un marché confidentiel, parce qu’il y a beaucoup d’a priori et de méfiance, créateurs de freins qui n’en sont en réalité pas. Il y a 5 ans, on a considéré que les clients qui pariaient sur l’électrique étaient courageux et qu’il fallait les mettre en confiance. RENAULT Sodiva a ainsi accompagné ces clients qui achetaient les premiers véhicules électriques pour les rassurer, avec des garanties importantes et un entretien très peu onéreux (révisions à 10 000 F au lieu de plus du double sur des modèles conventionnels).



Malgré tout, cinq ans après, l’électrique n’a pas décollé : 1% de part de marché pour ce segment (environ 300 voitures électriques sont en circulation à ce jour au fenua). Dans le même temps, l’hybride est passé à plus de 11%. 


Or, je le répète : les a priori et les freins ne sont pas fondés sur la voiture électrique :

  • l’autonomie a atteint des niveaux excellents, 350 km réels pour les derniers modèles comme la Zoe Neo. Le challenge « nombre de tours de l’île » pourrait être relancé avec ce nouveau modèle, comme il avait été réalisé avec la précédente version (presque 3 tours alors).

  • la puissance n’est pas un frein, puisque les voitures électriques sont plus puissantes que les voitures thermiques, en raison du couple qui est injecté immédiatement et en totalité, sans rapports de boite de vitesse à passer puisque tout véhicule électrique est automatique

  • la consommation enfin. On entend dire « l’électricité est chère ». En fait, l’électricité a bien un coût, mais pour un utilisateur qui fait 15 000 km par an en Polynésie, ce qui est la moyenne habituelle pour un véhicule thermique essence, l’équivalent en électrique permet de consommer deux fois moins.

  • enfin, la durée de vie des batteries n’est pas non plus un frein : elles sont garanties 5 ans sur la majeure partie des modèles des différents constructeurs (8 ans de garantie chez Tesla et pour la NISSAN LEAF).


En ce qui concerne le développement durable, Renault a exigé des prérequis avant d’autoriser Sodiva à commercialiser des voitures électriques, notamment le recyclage obligatoire des batteries au lithium. 

Une fois changées, elles sont donc stockées par Sodiva, puis expédiées vers des usines de recyclage à Hong-Kong ou en France. Il est également possible de régénérer des modules de batteries défectueux grâce à une machine dont nous avons fait l’acquisition et qui permet de prolonger la vie de la batterie.



Sont-elles plus fragiles en milieu tropical, en raison des embruns, de la chaleur constante et de l’humidité ?

Non, en tout cas nous ne l’avons pas vécu. Aujourd’hui, les batteries sont bien refroidies et les niveaux de fiabilité sont très élevés. Les batteries des premières Tesla ont plus de 6 ans et elles sont d’une fiabilité exemplaire.


Le fait qu’il n’y ait pas de réseaux de bornes de chargement est-il également un frein ? En installer à Papeno’o et Taravao par exemple, n’aurait pas d’utilité ?

Non, en raison de l’autonomie des batteries et de la topographie de Tahiti. Installer des bornes servirait surtout à rassurer les utilisateurs. Dans cette optique, installer une borne à Moorea et une autre à Raiatea, îles où il y a les réseaux routiers les plus développés et le plus de véhicules pour circuler, serait largement suffisant.


Quant à développer un réseau de bornes le territoire exigeait que ce soit des bornes à énergie photovoltaïque.


Nous sommes absolument d’accord, mais il faut quand même qu’elles soient raccordées au réseau, pour les jours sans production solaire. Cela devrait pouvoir évoluer si nous relançons le dossier. Il serait également judicieux d’impliquer les communes pour ce développement.



Le coût des voitures électriques par rapport à un véhicule thermique n’est-il pas, finalement, le seul frein à leur développement ?

Cela reste un frein important, c’est vrai, même si des initiatives fiscales bienvenues existent et sont efficaces :

les véhicules électriques et hybrides sont ainsi exonérés de la totalité des droits et taxes sur le territoire.


Mais pour les voitures électriques cela reste onéreux : rien que la batterie peut représenter d’un tiers à la moitié du tarif d’une voiture. La batterie crée de ce fait une inflation du prix. Afin de passer du marché supplétif au marché de masse, il faudrait en plus des initiatives fiscales bénéficier d’une prime pour encourager l’achat de ce type de véhicules, l’équivalent du fameux bonus/malus français.

Enfin, si les tarifs restent élevés, ils ont tendance à baisser. Ainsi la petite DFM Aeolus, qui offre plus de 200 km d’autonomie réelle, ne coûte que 2,5 M XPF. L’électrique finira donc par décoller.


La location des batteries ne serait-il pas une solution, comme Renault l’avait semble-t-il tenté ? Ainsi le coût de la voiture en elle-même apparaîtrait comme bien meilleur marché qu’un véhicule thermique traditionnel.

Nous avons réfléchi à un business model où la batterie serait louée, équivalent à ceux des opérateurs téléphoniques, qui « loue » à petit prix des abonnements en intégrant un téléphone, mais il faudrait trouver pour cela un partenaire. Cela avait été tenté en Israël par Renault, où une infrastructure comme une station-service permettait de retirer-remplacer la batterie électrique en quelques minutes. Mais le problème est que chaque modèle de voiture (et même chaque génération de modèle) a ses propres batteries, qui ne sont pas interchangeables.


Pour certaines marques, et nous sommes précurseurs, nous avons la possibilité d’ouvrir les batteries au lithium et de retirer un module de la batterie pour le régénérer. Cela va permettre d’éviter d’exporter des batteries pour recyclage. Elles seront prolongées depuis Tahiti. L’appareil pour les batteries Nissan est arrivé sur le territoire et un technicien de Sodiva a été formé au Japon. Avec cet entretien, l’autonomie perdue sera ainsi récupérée.

Et puis cette technologie évolue vite. Nous avons ainsi lancé en mars une marque de scooters et de petites motos 100% électriques, à des tarifs très intéressants, distribuées par Ebike. Or, les batteries sur le scooter (il peut y en avoir deux, pour 160 km d’autonomie) sont mobiles : on peut les retirer et les charger chez soi sans souci. C’est une petite révolution.


Est-ce qu’une autre source d’énergie propre pourrait remplacer avantageusement le thermique, voire l’électrique, sur le territoire ?

Si on regarde les évolutions étape par étape de l’automobile, en termes d’énergie, il y a eu :

  • le thermique ;

  • l’hybride continue de progresser et ne va pas s’arrêter, car il évolue progressivement vers plus d’électrique. Dès 2022, la technologie de Nissan e-power arrivera sur le fenua. Cette technologie est révolutionnaire : en résumé, l’hybride passera à l’électrique (95% de batterie électrique). La charge se fera en roulant, sans besoins de plugger. Les gammes Qashqai et XTRAIL sortiront avec cette nouvelle énergie ;

  • l’électrique ;

  • arrivera l’hydrogène. Aujourd’hui, le coût est trop élevé, mais des marques travaillent dessus. Un autre cap sera alors passé, en termes de véhicule propre, d’autonomie, de puissance, d’alimentation : que des avantages.


Est-ce que la crise Covid-19 que nous avons traversée a créé une prise de conscience que nos habitudes de consommation devaient évoluer ?

On remarque un vrai phénomène d’attirance vers l’hybride, surtout que ces voitures sont soit non rechargeables, soit rechargeables sur secteur, ce qui facilite les choses.

Leur consommation est très avantageuse.

Ainsi la Clio hybride non rechargeable permet une économie de carburant de 40% à moins de 5 L de consommation aux 100 km, soit presque 800 km avec un seul plein. En résumé, la crise n’a pas favorisé l’électrique, mais les achats vers des petites voitures 4 cv à faible consommation, et les hybrides, se sont confirmés.


Y a-t-il une ubérisation de la société tahitienne en matière de voitures, via différents types de location, ou bien posséder son véhicule reste-t-il très ancré ?

Non, ce n’est pas un phénomène que nous ressentons. Mais pour les premiers clients des véhicules électriques, dans le souci de les accompagner, nous avions mis en place une location longue durée, avec restitution du véhicule à la fin de la période de location, sans en avoir la charge ni l’entretien durant cette période.

On peut encore aller plus loin. Sur les petites voitures électriques, avec des tarifs de location mensuels proches des voitures thermiques. Les services de financement, via la location longue durée ou le leasing, soutenus par des taux favorables qui sont très bas (notamment grâce aux banques qui jouent le jeu sur les véhicules propres), permettront de continuer à développer ce segment.


Le schéma directeur des transports souhaite favoriser les transports en commun dans les années à venir, avec trois phases successives, la dernière consistant à mettre en place des transports propres entre Arue et Outumaoro puis en élargissant peu à peu cette zone. La voiture conservera-t-elle une place dans cette recherche de nouvelles mobilités à caractère propre, durable ?

Nous avons déjà engagé la mutation de Sodiva dans ce sens-là. Aujourd’hui, des forfaits de révision des véhicules à très bas coûts ont été mis en place. Des efforts vont être poursuivis pour l’après-vente, sur les véhicules électriques où il y a beaucoup moins de consommables. Une mutation a également été engagée en ressources humaines, dans la formation d’hommes et de femmes qui sont de plus en plus compétents. Par rapport aux transports en communs, non seulement nous acceptons cette évolution, mais nous y participerons sans doute, en important des bus. Et je n’ai pas d’inquiétude : la voiture évolue dans le bon sens et le consommateur polynésien aime la voiture. Un transport en commun apportera donc un service en plus, tandis que la voiture sera de plus en plus propre. L’un et l’autre cohabiteront. Jusqu’au jour où, peut-être, les bus voleront au-dessus de la zone urbaine. Là, effectivement…


Les véhicules autonomes ont-ils un avenir à Tahiti ?

Non, le réseau n’est pas encore adapté. On peut en faire la démonstration avec une Tesla, qui est en semi-autonomie. On peut enclencher le pilotage automatique, qui fonctionne, mais le marquage au sol n’est pas suffisamment régulier pour que la voiture puisse toujours retrouver ses repères et être en pleine autonomie. Sans révolution infrastructurelle dans nos îles, la voiture autonome n’a pas d’avenir ici.


La Responsabilité sociétale et environnementale est-elle aujourd’hui inscrite dans la stratégie de développement durable chez Sodiva ?

Nous sommes très impliqués dans la RSE, au point d’avoir été primés par Renault et gagné un award international (le seul pays sur la zone Asie-Pacifique). Chaque bureau est par exemple équipé de poubelles de tri. Ces petites implications ont leur importance. Toutes les pièces dans les ateliers sont appelées à être recyclées, les batteries bien sûr, mais aussi les autres consommables. Enfin, en termes de production d’énergie propre, sur la zone commerciale Sodiva Front de Mer, 40 Kw sont produits en photovoltaïque. 25 sont consommés dans les bureaux, le reste par les voitures. Nous avons en effet des batteries de stockage, véritable centrale mise en place dès 2013.

Nous sommes donc fiers de dire que nos voitures électriques utilisent un cercle énergétique vertueux, avec de l’énergie solaire dans les batteries.


 

Un parc propre

Les communes de Polynésie, avec Fenua Ma, font un travail colossal pour débarrasser leur commune des épaves. Avec les opérations comme les primes à la casse, devenue prime à l’environnement (qui s’est arrêtée fin 2020), favoriser la vente de véhicules propres, avec des incitations de primes à la reprise (500 000 F sur une voiture 100% électrique, 450 000 F sur une voiture hybride, jusqu’à 200 000 F pour les thermiques peu polluantes, zéro pour les véhicules les plus polluants), fut une priorité qui a pesé dans le bon sens : le parc automobile polynésien est en bonne santé.

 



 

Modèles hybrides et électriques Sodiva

Sodiva commercialise 8 modèles 100% électriques

Renault Kangoo, Zoe et Twizy

Nissan Leaf

DFM Aeolus

Tesla, modèles 3, S et X

En hybride :

Clio hybride non rechargeable. 140 cv

Renault Captur rechargeable sur secteur. 160 cv. Phénoménale sur le plan technologique.

 




* transforme les éléments toxiques (monoxyde de carbone CO, oxydes d'azote NOx ...) des gaz d'échappement en vapeur d'eau, azote (N2) et dioxyde de carbone (CO2) inoffensifs pour la santé, même si ce dernier contribue à l'effet de serre.

** leur création remonte, elle, au début du 20e siècle.

*** la première voiture électrique fut construite en 1834. C’est d’ailleurs une voiture électrique qui passe pour la première fois la vitesse de 100 km/h, en 1899. En 1900, plus d’un tiers des voitures en circulation étaient électriques.

****Aujourd’hui, 56% des voitures vendues en Norvège sont 100% électriques (76% de voitures propres avec les hybrides), contre 4,9% en Chine et 2,8% en France métropolitaine.







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