Cuisine végétarienne. Le fabuleux jardin de Victorine Tihopu
- 4 mai
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Ingérer une nourriture vivante pour se maintenir en pleine vie : telle est la philosophie de Victorine Tihopu qui, à la suite d’un long et pénible parcours de santé, a trouvé dans son environnement végétal, et plus spécifiquement son fa’a’apu, les clés de son bienêtre. Aujourd’hui, elle partage avec amour ses recettes vegan lors de cooking-classes organisées sur son lieu d’habitation : la pension Niu Shack à Raiatea.
« Le partage est essentiel dans ma philosophie », sourit Victorine Tihopu.
© Texte : Gaëlle Poyade - Photos : Jeanne Duprat


La petite Victorine grandit sur la commune de Tevaitoa dans les années 1960, entre le fond de vallée de Tehupapa et les berges du lagon en contrebas. « Dans mon enfance, je mangeais beaucoup de fruits et de légumes », rapporte Victorine, « mes parents cultivaient une grande variété de plantes et mon papa rapportait du poisson avec sa pirogue. Mes sept frères et soeurs et moi avions interdiction de grignoter entre les repas ! Notre sucre, c était le miel dont on suçait les alvéoles des ruches ; notre beurre, c était l'avocat. »
Puis, en parallèle des déménagements vers la Nouvelle-Calédonie, les Australes et en n Tahiti, le mode alimentaire se modi e. « Le lait de vache a supplanté le lait de coco », indique Victorine, « à l école, on nous obligeait à en boire ! Je me souviens bien de ce passage à l alimentation occidentale. »
L'enveloppe acidulée de la graine de cacao est délicieuse à sucer.

Changement catégorique de régime alimentaire
À la quarantaine, un cancer du sein lui est diagnostiqué. Victorine est opérée à l'hôpital de Toulouse et soignée pendant cinq ans. « Mais la maladie s'est généralisée de sorte que mon retour en Polynésie, je ne le prévoyais que dans une caisse : j'étais condamnée. » Durant son traitement, la jeune femme s'intéresse à divers ouvrages alimentaires, établissant des liens entre ce qu'elle ingère et ce qu'elle devient. Elle décide alors de s'en tenir à un régime exclusivement végétal, supprimant le lait animal, le beurre, les oeufs, les farines de blé, l'alcool, mais aussi le café, le sucre de betterave…
De nos jours en pleine forme, ce e rescapée continue d'observer ce régime restrictif. Pour autant, la cuisine de Victorine est plus justement « avec » que « sans ». Avec une diversité extraordinaire de plantes, avec un usage complet de celles-ci, de la racine à la fleur, sans omettre les feuilles, les bourgeons privation.
L’abondance végétale
Lové en fond de vallée et caressé par la rivière qui le jouxte, le jardin de Victorine s'épanouit tout autour de l'espace ouvert de cuisine. Avant de commencer tout atelier culinaire, la résidente des lieux nous invite à découvrir un monde rempli de gourmandises méconnues, tels le mucilage sucré et acidulé des grains de cacao, le goût agréable de la pomme cajou rouge, dont on ne connaît malheureusement que la noix séchée, ou encore les jeunes pousses du pommier de Cythère. Comme on présente avec tendresse et fierté ses enfants, un par un, Victorine nomme les arbres, les arbustes et les buissons qui composent son garde-manger, de l'arachide au néflier en passant par son ramboutan rouge. Dans son panier tressé en nī'au, elle recueille nombre de fleurs comestibles qui orneront ses mets : des pervenches aux tons roses, des Sesbania coccinea aux éclats rouges, des Clitoria ternatea qui teintent les papilles en indigo ou encore des ixoras, minuscules fleurs rouges qui, serrées en bouquet étoilé, font penser à un tableau pointilliste. « J'utilise également les fleurs en tisane », souligne Victorine en cassant quelques tiare taina, dont le parfum
se rapproche du jasmin. Surnommée la rose polynésienne, car ses pétales s'épanouissent plus généreusement que sa cousine la tiare Tahiti, la taina dispose de propriétés médicinales, à savoir la faculté de baisser le taux du mauvais cholestérol. A rapant une dizaine de feuilles d'ayapana pour un thé vert amélioré ainsi que des feuilles du citron combawa, la jardinière en profite pour livrer par avance ses recettes.

« Quand je pèle un ananas, je conserve les peaux qui constituent une agréable infusion à laquelle j ajoute des feuilles de combawa, du curcuma et du gingembre. »
Avant de remonter en direction de la cuisine, trottinant parmi les fruitiers et la tarodière, enjambant le champ de courges, Victorine désigne un coin ombragé qui abrite plusieurs magnifiques fleurs de porcelaine. « Cette variété blanche, je l'ai introduite en tisane. Et depuis ma rencontre avec le chef cuisinier du Motu Nao Nao, j'ai bien l'intention d'en faire du sorbet. C'est incroyablement bon ! » L'ancien chef de cet établissement hôtelier luxueux, établi au sud de Raiatea, est venu quatre fois au Niu Shack pour apprendre ce régime vegan qui concerne une clientèle touristique de plus en plus représentée.

Parmi les stagiaires ou les simples convives des tablées, on compte également des professionnels de santé. « Dans mon refuge, je reçois souvent des médecins », précise Victorine, « j'ai le trac au moment de servir le repas, mais ils le trouvent toujours très bon ! » Même le professeur Hoff, qui l'a soignée durant ses années de maladie en métropole, a pu goûter à la cuisine originale de son ancienne patiente lors de sa mutation à l'hôpital d'Uturoa.
Sa brassée de pétales dans les mains, Victorine se dirige vers la cuisine où débute l'atelier. Au menu du jour, salade fleurie à la mangue et à l'avocat, quiche mi-crue, mi-cuite aux champignons et au pota, steaks trompe-l'oeil de lentilles, crème veloutée de coco verte… Une simplicité se dégage non seulement des produits locaux employés, mais aussi des techniques culinaires.
Un équipement minimaliste
Vicky cuisine avec des outils de base : couteau, fourchette, cuillère, ciseau, planche à découper, récipient. Les seules aides motorisées sont un robot mixeur et un blender. Ses plus fidèles assistants sont ses dix doigts qui aplanissent avec douceur la pâte à tarte, qui dosent les pincées de curcuma, qui disposent en quinconce les lamelles d'avocat et de mangue pour obtenir le tandem coloré souhaité. Patience méticuleuse et efficacité pratique cohabitent. Fastidieux, le dépiautage des gousses d'ail ? Se saisissant d'une bouteille en verre, Vicky écrase le bulbe d'un coup sec, celui-ci se retrouvant aussitôt grossièrement pelé. « Ça va beaucoup plus vite comme ça ! », rit-elle. Le temps et le soin sont réservés au dressage des plats, au carpaccio de courge, notamment, ou encore le démoulage de la terrine de haricots rouges, enroulée dans une feuille de bananier. « On mange d abord avec les yeux »,
affirme-t-elle, tout en saupoudrant à doses menues des flocons de coco râpée et en découpant des lamelles d'algue nori. Délaissant le sel, Victorine privilégie la sauce soja, les aromates, le jus de citron et le duo curcuma-gingembre qui relèvent le goût des légumes. La présence d éléments crus reste fondamentale dans ses recettes, le pota et le haricot chinois en sont quelques exemples. Cet art culinaire, qui s'appuie sur les ressources locales et végétales, séduit nombre de visiteurs. Qu ils soient Polynésiens ou touristes lointains, la cuisine de Victorine les invite à se relier davantage à la terre nourricière.