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Forêts Polynésiennes- Partie I

© Texte : Virginie Gillet - Photos : Lorelei Quirin, Philippe Bacchet, bibliothèques d’images


Cette ressource méconnue du Fenua : Les forêts plantées

Il n’existe pas une forêt mais bien des forêts. Ce que le volet deux de notre dossier, publié dans le numéro précédent, avait bien mis en évidence en distinguant les différents types de végétation en réalité recouverts par ce terme. Dans ce dernier volet, nous nous préoccuperons plus essentiellement des forêts plantées et gérées par l’homme, qui en exploite le bois pour la construction, mais aussi pour ses activités culturelles à commencer par la sculpture, si emblématique localement, sans oublier la vocation nourricière de ces arbres qui nous régalent de leurs fruits. Voyage au pays de la photosynthèse « domestiquée ».



PARTIE 1

Le Pin, ce sauveur

« Les gens n’ont pas la mémoire de cela, mais de nombreuses photos en attestent encore : dans les années 1940-1950, les montagnes de la plupart des îles hautes de Polynésie française étaient complètement pelées. On imagine facilement de la jungle partout alors que ça n’était que fougères rases et zones vierges », nous rappelle en préambule Yoann Moussu, technicien forestier à la DAG (direction de l’agriculture).


Le Fenua faisait alors face à un important phénomène d’érosion de ses sols, lié au surpâturage, aux mises à feu réalisées par l’homme et à une surexploitation de certaines essences. Les fortes précipitations caractéristiques

du climat local n’avaient rien arrangé, entraînant par ailleurs la pollution des lagons.


Une situation préoccupante

Face au constat alarmant de ces phénomènes d’érosion, le CIRAD (le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, qui est l'organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes, NDLR) « entra dans la boucle » afin de trouver des solutions. La première, la plus évidente, fut l’implantation de forêts.

Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des introductions végétales furent ainsi tentées dans la perspective de créer un massif forestier. Plusieurs problématiques se sont alors posées : les sols de ces terrains soumis à l'érosion ou détruits par les feux de brousse étaient en général très pauvres, en forte pente et soumis à de longues périodes de sécheresse, qui rendaient d’emblée impossible la plantation de nombreuses essences. On choisit alors de planter des eucalyptus, mais aussi et surtout des Pins des Caraïbes (Pinus caribaea) et des Falcatas (Albizzia falcata), qui oeuvrèrent en quelque sorte en symbiose et remplirent ainsi parfaitement leur office.



Le choix de ce résineux (le Pin), originaire des Antilles occidentales et d'Amérique centrale, avait fini par s’imposer car cet arbre était particulièrement bien adapté à la zone tropicale. Déjà répandu en Afrique et ailleurs dans le Pacifique (Australie, Fidji), il fut planté au centre de zones de peuplement ceinturées en périphérie par les feuillus (les Falcatas, des légumineuses originaires d'Asie du Sud-Est), dont le rôle a consisté à protéger les résineux. Cette « collaboration » fructueuse a permis à terme de retrouver en parallèle un vrai couvert végétal et de reconstituer des forêts, d’autres espèces ayant trouvé des conditions propices à leur développement sous leurs frondaisons.



Quelques exemples de constructions réalisées avec du pinus local :

la charpente de la mairie de Mataiea, celle de l’hôpital de Taravao ou encore les loges de la place To’ata.





La mise en oeuvre d’un véritable programme

Après une longue phase de « tests » menée de la fin des années 1960 aux années 1970, la Polynésie française s’est engagée à partir de 1977,« dans un programme forestier ambitieux, qui a conduit à la mise en place de plantations dans tous les archipels » (Stéphane Defranoux, rapport national - Polynésie française - FAO 2010). Les trois objectifs de ce programme étaient de produire du bois d'oeuvre afin de limiter les importations de bois de construction, de restaurer les sols érodés et de créer une filière bois pourvoyeuse d’emplois dans les archipels éloignés afin de stopper l'exode des populations vers Tahiti.

Les programmes forestiers, soutenus largement à l’époque par des fonds européens qui n’ont toutefois pas trop tardé à se tarir, se sont alors activement enchaînés jusque dans les années 1980. En 1986, l’immense majorité des plantations prévues par ces programmes successifs avaient déjà été implantées. Des plantations plus sporadiques ont continué à être réalisées, de manière beaucoup plus « anecdotique ».


Les effectifs dévolus à la gestion des forêts se sont aussi trouvés assez drastiquement réduits au moment de l’arrêt des fonds, qui a donc induit l’arrêt des programmes. Jusqu’au début des années 2010, les forêts, entourées de plus ou moins de soins (sauf aux Marquises et plus modestement aux Australes, où les populations se sont toujours beaucoup occupé de la forêt), ont essentiellement… poussé, leur exploitation requérant de toute façon le passage de plusieurs décennies (quatre décennies d’attente en moyenne pour les Pins des Caraïbes, même s’ils pourraient sans doute potentiellement commencer à être exploités au bout de 25 à 30 ans).


Concernant cette essence, à l’exception d’une plantation de 35 hectares aux Marquises en 2004, destinée pour une bonne part à tenir les sols, aucune plantation de production n’a concrètement été réalisée depuis 2000.


La filière du bois de construction devrait encore réclamer 2 ou 3 ans en Polynésie avant d’être complètement en place.

Quelque peu « livrée » à elle-même durant plusieurs décennies, il aura donc fallu attendre le début des années 2010 pour que la forêt polynésienne plantée fasse à nouveau l’objet de toutes les attentions, inscrite dans la politique agricole fixée par le schéma directeur agricole du Pays 2011-2020. « La ressource était là ; il fallait l’exploiter », résume Yoann Moussu.


 


Le rôle de la DAG (direction de l’agriculture)

Les forêts polynésiennes, dans leur globalité, ont été gérées à partir des années 1940 par le service de l’économie rurale de l’époque, qui se chargeait également d’élevage. Celui-ci devint ultérieurement le service du développement rural, qui perdit ce dernier domaine d’intervention et céda lui-même la place en 2017 à la direction de l’agriculture. Cette structure en reprit toutes les missions à l’exception du secteur de la biosécurité, désormais dévolu à la toute nouvelle direction de la biosécurité de Polynésie française. Les premiers textes règlementant la forêt datent pour leur part de 1958. Il s’agit de délibérations dont tout le programme forestier actuel a finalement découlé.


Sous la tutelle du ministère de l’Économie verte et du domaine, en charge des mines et de la recherche, la direction de l’agriculture a officiellement pour mission « de concevoir, mettre en oeuvre, contrôler et évaluer les programmes, les actions, les dispositions réglementaires et les mesures de soutien budgétaire, qui :


  • favorisent le développement économique de l’agriculture et de la forêt en contribuant au renforcement des capacités de production durable, de valorisation et d’innovation des filières de production ;

  • contribuent à renforcer l’organisation économique des filières et leur adaptation aux marchés locaux et extérieurs ;

  • participent au développement des archipels en favorisant la mise en valeur des ressources agricoles et forestières de ces territoires ».


Il lui incombe donc de définir et de mettre en oeuvre, s’agissant de la partie qui nous intéresse directement dans ce dossier, des programmes forestiers dans le cadre de forêts plantées essentiellement, « au sens large de l’arbre et de la forêt, jusqu’à la cocoteraie ».


Elle est ainsi en charge des forêts de production de bois. Elle offre par ailleurs son soutien logistique à la DIREN (direction de l’environnement), amenée quant à elle au fil du temps à assumer la gestion des forêts naturelles.


 

Les chiffres

Concrètement, la ressource, aujourd’hui, ce sont un peu plus de 5 000 hectares de Pins plantés et en bonne partie prêts à être exploités car arrivés à maturité pour la production de bois d’oeuvre. Des plantations situées aux Marquises (à Nuku Hiva et Hiva Oa) ; aux Tuamotu-Gambier (Mangareva) ; aux îles Sous-le-Vent (Huahine, Raiatea, Taha’a) ; aux îles-du-Vent (Tahiti et Moore) ; et aux Australes (Rimatara, Rurutu, Raivave, Tubuai, Rapa). La direction de l’agriculture (DAG) qui les supervise étant également en charge de l’exploitation de cette ressource (voir encadré), le programme forestier a pris la forme ces dernières années de créations de scieries, qui représentent aujourd’hui une cinquantaine d’emplois directs et devraient au terme du programme, d’ici 2025, voir cet effectif doubler.


Ces scieries, dédiées chacune à la gestion et à l’exploitation de la ressource présente exclusivement sur l’île sur laquelle elles sont implantées, sont précisément dimensionnées en fonction des surfaces dédiées à cette ressource, qui vise un marché de 35 000 m3 de bois de construction jusque-là importé en Polynésie française. Elles sont encore pour l’heure en cours d’implantation (voir encadré).


Toutes ces structures sont également vouées à être alimentées uniquement avec du Pin local.

Le déploiement des scieries

L’archipel des Marquises compte déjà deux scieries à Hiva Oa et Nuku Hiva mais une troisième structure, plus importante, devrait encore voir le jour sur cette dernière île en 2022. Même chose à Raiatea, qui accueille déjà une scierie mais devrait en recevoir une deuxième d’ici à la fin de cette année/début de la suivante. Tubuai, aux Australes, dispose de sa propre scierie depuis 2014, mais l’archipel en accueille une autre à Rurutu tout en comptant sur une troisième à Rapa, prévue pour fin 2021. Aux îles-du-Vent, Moorea dispose de deux scieries, tout comme l’île de Tahiti qui accueille les siennes à Faa’a et Papara. Enfin pour les Gambier, c’est pour l’instant la commune qui se charge de cette activité pour la petite île de Mangareva.



Les perspectives d’avenir

Si la filière n’en est encore qu’aux prémices de la phase exploitation/commercialisation, la DAG, qui non seulement encadre la mise en place des scieries et fait avancer la partie réglementaire (voir encadré) mais est également en charge de la vente du bois, de la reconstitution des peuplements et de la gestion pérenne de la ressource, consacre d’ores et déjà de nombreux efforts à maintenir les surfaces afin de pouvoir faire durer les scieries et l’activité. Aujourd’hui largement occupée à rentabiliser la matière première avant « qu’elle ne périclite », elle se projette aussi vers des horizons où le Fenua verra sans doute les surfaces dévolues aux Pins nettement se réduire. En effet, en marge du fait de ne pas connaître précisément sa durée de vie forcément limitée, cette ressource entre en concurrence avec d’autres considérations économiques, surtout dans un Pays où le foncier reste une problématique récurrente. Sous la pression croissante de l’urbanisation et de l’agriculture, les experts savent déjà que la Polynésie ne comptera sans doute plus que 2 000 hectares de Pins en gestion pérenne d’ici 10 à 15 ans.


Des intérêts économiques contradictoires

La première des priorités étant de nourrir la population, certaines parcelles de Tahiti, Moorea et Raiatea notamment devraient d’ici là être réorientées vers d’autres projets et utilisations. Dans le même temps, les parcelles privées font déjà et feront sans doute de plus en plus l’objet de demandes d’exploitation de la part de leurs propriétaires afin que ces derniers puissent bâtir ou faire de l’agriculture. Les principaux réservoirs de Pins des Caraïbes devraient ainsi rester essentiellement localisés aux Marquises, où il existe d’importants domaines, mais aussi aux Australes ainsi que, dans une moindre mesure, à Raiatea et à Moorea.


Yoann Moussu avoue que les professionnels du secteur n’ont pas forcément trop de visibilité sur l’avenir, fortement tributaire des arbitrages engagés avec d’autres secteurs et filières, et des choix politiques susceptibles d’être faits dans le futur (y compris en matière d’agroforesterie ou de sylvopastoralisme).


Seules perspectives à peu près certaines : lorsqu’elle en aura la possibilité, adossée à une maîtrise du foncier, la DAG s’efforcera de mettre en oeuvre des programmes de régénération naturelle des Pins, prioritairement sur des parcelles domaniales. En notant que sur d’autres parcelles, laissées livrées à elles-mêmes pour des raisons diverses, d’autres essences devraient spontanément arriver, « la nature ayant horreur du vide », permettant jusqu’au bout aux plantations de Pins de jouer leur rôle écologique de fer de lance de la diversité et de la régénération des forêts et des sols.


Le Pin des Caraïbes se caractérise, aux yeux des spécialistes, « par une croissance rapide, une grande plasticité et une bonne résistance à moyen terme aux incendies ».

Aujourd’hui, le cycle de vie des plantations de Pins du Fenua s’achève sur le seul constat qui vaille réellement sur le plan économique : sans Pins, la filière bois et toutes ses perspectives n’existeraient purement et simplement pas dans un Pays où les feuillus précieux notamment, très concurrencés par les bois durs des Fidji entre autres, ne sont pas utilisés dans la construction et peinent à trouver leurs marchés. Longtemps décrié voire honni, le Pin des Caraïbes a donc déjà, quoi qu’il en soit, enregistré sa plus belle victoire, celle de sa légitimité sur le sol polynésien.


Les freins à l’exploitation du pin sur le marché du bois de construction en Polynésie française

Si l’essence est « très bonne et pousse super bien », de l’avis d’expert de Yoann Moussu, avec pour résultat un bois « de très bonne qualité et de bons résultats en termes de peuplement », les freins n’ont toutefois pas manqué lorsqu’il a fallu passer à l’étape exploitation ouvrant elle-même la voie à la commercialisation. La construction, le débouché principal, étant régie par un nombre très conséquent de normes, le frein premier à l’écoulement de la production locale a ainsi été le frein réglementaire, à savoir la normalisation du bois à laquelle la DAG et le Pays se sont attaqués, avant de se pencher désormais sur la phase de normalisation des traitements apportés à ce bois.


La volonté du Pays étant « de valoriser cette ressource disponible par l’installation d’un réseau d’entreprises forestières engagées sur la filière de l’exploitation des arbres en forêt jusqu’à la scierie […] et également d’assurer un débouché stable aux entreprises grâce notamment à l’accès à la commande publique », il a fallu organiser des formations, mais d’abord et surtout mettre en oeuvre des certifications pour la ressource elle-même.


Ces certifications visaient concrètement à « développer de manière significative l’utilisation du Pin des caraïbes de Polynésie dans la construction et répondre aux appels d’offres dans le cadre des programmes de construction de logements sociaux et de travaux divers » ; ce qui rendait « nécessaire de disposer d’un cadre normatif garantissant la qualité du bois produit ».


Dans cette perspective, deux arrêtés ont été pris en conseil des ministres en avril 2019 « afin de fixer le cadre réglementaire normatif pour la mise en oeuvre des pinus du Fenua dans la construction et de fixer l’agrément des scieries de Polynésie. Le CIRAD a effectué l’ensemble des mesures, analyses et tests nécessaires permettant de classer le bois de Pin local selon deux classes visuelles PP1 et PP2 (pinus polynésien n° 1 et n° 2). Ce classement a permis d’établir de manière officielle que les deux classes visuelles PP1 et PP2 correspondent respectivement aux deux classes de résistance mécaniques C24 et C18 de la norme de juillet 2016. Celles classées C24 sont utilisables pour les charpentes industrielles, pièces à forte résistance mécanique et pour la réalisation d’éléments lamellés-collés, et les C18 sont des sciages utilisables pour les charpentes traditionnelles et les maisons à ossature bois ».


Ces arrêtés prévoient en outre l’agrément des scieries « par l’autorité compétente au titre d’agent en charge du classement visuel des bois sciés de Pin des Caraïbes de Polynésie pour certifier le classement des bois de Pins en PP1 (C24) et PP2 (C18) ». Ces aspects réglementaires auront certes ralenti la filière, mais ils sont désormais en passe d’être complètement surmontés.

Source : site Internet de la Présidence de la Polynésie française.



Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine Investir à Tahiti #8



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