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La pêche, une passion plus qu'un métier

L'île de Tubuai compte 5 pêcheurs professionnels en pélagique. Réunis au sein d'une coopérative avec une vingtaine de pêcheurs en lagon, ils peinent à répondre à la demande de l'île. Tevarii Tau est l'un d'eux. Il,sort cinq jours par semaine à bord de son poti marara le Tehuirahihi. Il rapporte, selon la saison, du thon, du marlin, du mahi mahi ou du thazard.


© Texte & photos : Delphine Barrais



Le dimanche, à Tubuai, est un jour sacré. L’île vit au ralenti. Personne ne travaille, les pêcheurs restent à quai. Tevarii Tau en profite pour préparer sa prochaine sortie, il vérifie matériel et équipement pour réparer ses lignes ou bien le bateau en mer. Il possède un poti marara Timi 24 construit dans les ateliers Maoti à Tahiti. Un modèle particulièrement adapté aux conditions de mer des Australes. L’archipel connaît deux saisons distinctes. En hiver, ils doivent faire avec le mara’amu, le vent du sud-est et la houle du sud. Tubuai est bien exposée, Tevarii pêche plutôt en profondeur. En été, les vents dominants sont d’est, la pluie arrose les îles, portée par le vent du nord. Aussi, Tevarii pêche plutôt en surface. Mais, quel que soit le temps, comme ses collègues, il sort tous les jours, sauf s’il y a vraiment une grosse tempête. Dans ce cas, les pêcheurs occupent leur temps en entretenant leur matériel.


Il est recommandé de partir au moins à deux, mais « tant qu’on est jeune et qu’on peut, on part seul », reconnaît Tevarii. Au large, ils peuvent naviguer jusqu’à 40 kilomètres. Chacun se débrouille, avec toutefois l’assurance d’être secouru en cas de problème. « On fait toujours le maximum avant d’appeler à l’aide, parfois, on n’a pas le choix. Les copains viennent alors sans jamais rien attendre en retour, ils savent qu’un jour ou l’autre, eux aussi, auront besoin. »



« On aimerait aller plus loin »

À propos de la zone de navigation réglementaire, Tevarii Tau partage la requête de révision du texte formulée par les professionnels. En effet, les distances autorisées ont été établies il y a de très nombreuses années. Depuis, les moyens ont évolué. Certains bateaux mesurent jusqu’à 9 mètres et disposent d’une autonomie de 600 à 800 litres de gazole. « On peut partir sans problème plus de 24 heures, on aimerait pouvoir aller plus loin. »


D’autant que les poissons sont toujours plus difficiles à attraper. Tevarii a le recul pour l’affirmer. Les premières fois qu’il a pêché, c’était avec son père. Il était encore enfant. « Je n’avais pas 5 ou 6 ans, je commençais tout juste à savoir nager. » Il a commencé à partir seul en mer quand il a eu une vingtaine d’années. Professionnel depuis 2010, Tevarii pêche à la traîne, à la ligne (de fond, jusqu’à 250-300 mètres) ou encore au harpon. Il prend du thon, du marlin, du thazard ou du mahi mahi selon les saisons. Son objectif ? « Comme celui de tous les pêcheurs, ramener le plus gros », sourit-il. Son record personnel est un marlin de 430 kilos. « J’étais seul. Il m’a fallu des heures pour le fatiguer. » Un vrai combat.



Sous son hangar, il garde les trophées de ses meilleures prises, queues et rostres. « Parfois, on a des gros qu’on ne peut pas ramener, le poisson se dégage, avec le leurre. » Alors, après la déception, vient la remise en question, les interrogations sur la qualité des noeuds. « On apprend tous les jours en mer. »


Il a démarré la pêche avec son père quand il était enfant

Cette difficulté croissante à prendre du pois- son, Tevarii ne saurait l’expliquer. Il n’a que des hypothèses. « Soit la ressource diminue, soit elle s’adapte à nos nouveaux matériaux, peut-être que le poisson se méfie. » Les techniques, en soi, évoluent peu, en revanche les matériaux sont plus sophistiqués. « On n’avait pas de moulinet par exemple pour pêcher à la ligne, on faisait des leurres avec des choses récupérées. » Soudain, le pêcheur s’absente. Il réapparaît, tenant deux anciens hameçons traditionnels conçus à Rurutu. « Je les ai demandés à un ami pour les présenter quand j’ai été invité à parler de ce que je fais au carrefour des métiers organisé il y a quelque temps au collège de Tubuai. » Les hameçons sont fabriqués avec du bois – de goyavier – et un clou courbé et fixé avec du fil de fer. Aujourd’hui, ils sont en métaux. Sur le fil, des lumières ainsi que des billes fluorescentes ont été ajoutées. En surface, la bouée est bicolore, orange et rose, les teintes sont vives. La partie rose demeure immergée, elle passe seulement en surface en cas de prise, grâce à une ingénieuse fixation du fil.



En mer 5 jours sur 7

Tevarii est né dans une famille de pêcheurs. Son arrière-grand-père, puis son grand-père et enfin son père ont toujours pêché. « Dans toutes les familles polynésiennes, il y a des pêcheurs et des agriculteurs. Mes grands-parents ont nourri mes parents grâce au lagon et à leur fa’a’apu. » Il reconnaît toutefois avoir eu de la chance car, au-delà des savoir-faire, il a pu bénéficier des investissements de son père. « Il a été enseignant et a pu s’équiper grâce à cela. » De nos jours, un bateau de 28 à 30 pieds coûte entre 15 et 20 millions de Fcfp. « Le prix d’une maison ! Quand tu te lances, ce n’est pas évident, il faut rentabiliser tes frais. »


Sur l’île, ils sont 5 à détenir une carte professionnelle de pêcheur en pélagique. Ils sustentent les 2 000 habitants et les touristes de passage. « Enfin, on essaie, car, en réalité, on n’arrive pas à répondre à la demande », indique Tevarii. Ils sont regroupés en coopérative. Baptisée Rava’āi nui no Tubuai, elle fournit la glace et les appâts (bonite, thon, mārara). Tevarii part en mer 5 jours sur 7. Il sort son bateau une fois par semaine pour vérifier la coque, et l’entretenir. Vivre sur une île isolée impose des contraintes. En cas de panne, l’homme peut compter sur la réactivité de ses fidèles fournisseurs situés à Papeete. « Ils peuvent envoyer les pièces mais, quand elles ne conviennent pas, par exemple, on est coincé et immobilisé. On ne gagne rien, alors on prend soin de son matériel pour éviter ça. »



En moyenne, par mois, il ramène 200 kilos de poissons. Il en vend sur pièce à la marina, en rentrant. Sur le quai, il apprécie les conversations avec les anciens de passage. Deane, le concepteur du poti marara, de retour sur son île après avoir vécu à Tahiti, n’est pas avare de conseils. En vieillissant, ses apparitions se font rares, « mais, il y a encore 5 ans, on le voyait dans le lagon aller pêcher en pirogue ! » Les pêcheurs de l’île sont des passionnés. « En fait, c’est un mode de vie, moi-même, j’ai toujours été attiré par la mer. » Tevarii rame le matin en se levant pour rester en forme, enchaîne avec une journée de pêche, puis retourne sur l’eau en fin de journée. Il entraîne les jeunes qui font du va’a.


Sur l’île, ils sont 5 à détenir une carte professionnelle

Il fournit également la roulotte que sa femme Hina a installée dans le jardin familial. La Fish’n Eat a ouvert en novembre 2023 et compte déjà ses fidèles. « Je propose des plats originaux en plus des traditionnels sashimis et carpaccios. Des plats, toujours à base de poisson, qu’on n’avait pas l’habitude de trouver sur l’île, hot dog, hamburger, wrap, panini, fish and chips… »


Par ailleurs, Tevarii vend ses prises aux particuliers. « Avant, quand on n’avait pas tous les moyens de communication d’aujourd’hui, on faisait du porte-à-porte avec un camion benne. » À présent, les clients l’appellent et se déplacent. « C’est plus pratique, mais ils sont plus exigeants », constate le pêcheur. Ils veulent des morceaux, voire des filets, sont déçus quand on n’a pas telle ou telle espèce. » Mais qu’importe finalement, pourvu qu’il puisse vivre de sa passion.

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