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Remu, une ressource appréciée, mais fragile

Aux Australes, les algues font le bonheur des petits comme des grands, récoltées à Tubuai, Rurutu, Raivavae ou encore à Rimatara, elles sont consommées sans attendre, envoyées à la famille, vendues à Tahiti. La gestion de cette ressource varie selon les îles.


© Texte : Delphine Barrais - Photos : Delphine Barrais, sauf mention



Lisette, dans la baie de Anaho à Rimatara.
Lisette, dans la baie de Anaho à Rimatara.



« J’avais envie d’un peu de remu pour le déjeuner », explique Lisette, un seau à la main. Elle remonte la plage d’Anaho à Rimatara en sortant un petit amas d’algues vertes fraîchement cueillies. « Il y a juste ce qu’il faut pour le repas. » Sa fille vient à sa rencontre. Elle a déposé une passoire sur la plage quand sa mère entrait dans l’eau. Elle est scolarisée au lycée à Tahiti et passe les vacances sur l’île de ses parents, elle va entrer en classe de première. En attendant la reprise, elle profite de la baie dans laquelle elle a grandi, mais aussi des saveurs de son enfance. Elle se réjouit du repas qui s’annonce.









« Il y en a partout »

Il existe différentes variétés de remu. « On les mange toutes ! » Lisette a commencé déguster les siennes en les ramassant. Elle a tourné autour des patates de corail de la baie, le regard braqué sur les interstices. « Il y en a partout. » Il suffit de les couper, puis de les secouer vigoureusement dans l’eau pour retirer les grains de sable et les intrus. Il ne faut, en aucun cas, arracher l’ensemble du « plant » pour permettre la régénération du stock.


Les algues sont consommées fraîches, avec un filet de jus de citron et un peu de lait de coco. « On en prend pour nous, un peu pour la famille. Certains les vendent, mais les personnes âgées de chez nous n’aiment pas ça. » La ressource reste fragile, le renouvellement, trop faible, ne rend pas possible une exploitation à moyenne, voire grande, échelle. La preuve à Raivavae. Les algues sur cette île s’amenuisent peu à peu. La période de ramassage est toujours plus étendue, et les habitants récoltent la ressource jusqu’à la racine.


Il existe différentes variétés de remu

« Je comprends qu’on puisse avoir besoin d’argent, mais il faut trouver un équilibre », insiste Reiarii Hauata, l’agent de la Direction de l’agriculture sur place. La mise en place d’un rāhui est en discussion.

À Tubuai, Moerani Lehartel de Tahiti Marine Aquaculture veut offrir une autre alternative. Il vient tout juste de lancer un projet de culture d’algues. Il a choisi la Caulerpa racemosa, « celle dont les Polynésiens raffolent », explique-t-il. Il fait grandir ses boutures dans des paniers posés sur des tables d’élevage sur la commune de Mataura.



Son exploitation s’étend sur 1 000 mètres carrés. L’homme est en train de construire des bassins à terre et vise une production de 350 kilos à l’année pour les particuliers, mais aussi pour les restaurateurs qui semblent intéressés. « Encore faut-il pouvoir les fournir de manière régulière pour qu’ils puissent les inscrire sur leur carte. » Le projet est en phase de test.


À Raivavae la ressource s’amenuise, un rahui est en cours de discussion - © Philippe Bacchet 


La reproduction maîtrisée

Tahiti Marine Aquaculture a vu le jour en 2010, sur proposition du Gouvernement de la Polynésie française qui appelait à une collecte de larves de Tridacna maxima à Reao (Tuamotu). Moerani Lehartel est allé plus loin. « Nous maîtrisons désormais la reproduction de cette espèce », se réjouit-il. Il est le seul éleveur à l’échelle nationale qui compte parmi la vingtaine d’écloseurs au monde. À Papara, dans le sud de l’île de Tahiti, il dispose de 24 bassins de 2 000 litres d’eau de mer et de radeaux d’élevage en lagon. Il emploie 25 personnes.


L’écloserie a ouvert ses portes il y a quatre ans. Les géniteurs sont prélevés, suivant la réglementation en vigueur de cette espèce protégée à Tubuai (îles Australes). Puis, les étapes s’enchaînent : éclosion, développement jusqu’au stade larvaire, prégrossissement (naissain, jusqu’à 2,5 centimètres) et grossissement en mer (bénitier, jusqu’à 12 centimètres). La production est destinée aux marchés de l’aquariophilie américain (50 %), européen (30 %) et asiatique (20 %).


En 2023, il s’est mis à élever également des Tridacna squamosa pour toucher le marché de la chair. « Je souhaite répondre à la demande polynésienne et exporter vers l’Asie. » La ressource demeure fragile, le cycle de reproduction est de 6 ans.


Moerani Lehartel, désormais installé à Tubuai, maîtrise l’élevage de bénitiers, mais aussi de burgos. Il vient d’obtenir une dérogation pour du troca. « Je fais de l’aquaculture multitrophique », précise-t-il. Il élève des animaux qui ne polluent pas, « au contraire, ce sont des filtreurs ! » Le projet, durable, est promis à un bel avenir.


 

PÉNURIE D’ALGUES À TUBUAI

De nombreuses algues étaient consommées par les anciens Polynésiens. Excellentes pour la santé, elles poussent facilement et naturellement dans le lagon. Celles de Tubuai, les remu vine, s’y trouvaient en abondance. Les algues accompagnent tout. On peut les manger nature. Ou avec du lait coco ou de la coco râpée pour couper le sel, et du citron ; c’est un délice avec du poisson ou du poulet ! explique Charly, chef de la subdivision des Australes de la Direction de l’agriculture (DAG).


Or, ces algues ont presque entièrement disparu, un phénomène probablement lié au réchauffement climatique et à leur surexploitation. Pour les préserver, on les cueille habituellement en alternance : sur une face des rochers la première année, sur l’autre face l’année suivante. Trop régulièrement, les plantes aquatiques ont été cueillies, racines y compris, pour être vendues à Tahiti. Les algues ont ainsi peu à peu déserté le lagon. C’est une des raisons pour lesquelles un rāhui vient d’être mis en place. En effet, trois zones de pêche réglementées (ZPR) ont été installées sur 2 424 hectares depuis novembre 2023 pour une durée de 5 ans, afin de protéger les ressources lagonaires et de reconstituer les stocks naturels.


La saison des algues correspond à celle durant laquelle il fait frais. Les plantes sous-marines bourgeonnent de mai à avril et, en juillet, elles arrivent à maturation, et ce, jusqu’en septembre. Charly décrit principalement deux types d’algues à Tubuai : les poro poro, telles des grappes de raisins ovine, qui représentent les algues les plus appréciées, et les huru hurumanu, qui ressemblent à des plumes. Elles se trouvent en bord de plage, vers le récif frangeant à 3-4 mètres de profondeur, ou au milieu du lagon, atteignables en apnée, entre 8 et 10 mètres de profondeur, là où poussent les algues les plus intéressantes.

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