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Initiative Polynésie

Le chaînon manquant de la création d'entreprise au Fenua


Texte : Virginie Gillet


Créée en janvier 2018 sous l’impulsion de la CCISM (la Chambre de Commerce, d’Industrie, des Services et de Métiers) et de la Vice-Présidence en charge de la relance économique, Initiative Polynésie est une association de loi 1901, rattachée à un réseau national, qui vise essentiellement à promouvoir la création et le développement d’entreprises mais à partir d’un positionnement différent de celui des autres structures dédiées. Depuis sa création, elle a déjà débloqué près de 90 millions de Fcfp pour soutenir 80 projets en cours dont une soixantaine ont démarré. En mai dernier, elle a aussi créé un nouveau prêt de soutien pour faire face à la crise. Vairea Le Goaster Sine, sa directrice, nous en détaille le fonctionnement.


Ci-dessus : Depuis la création de l’association en janvier 2018, Vairea a été rejointe par Anuhea Moutardier, chargée d’affaires (à gauche), et Nancy Teraitua, chargée d’accueil (à droite).


Qu’est-ce qui a présidé à la naissance de cette association ? Vairea Le Goaster Sine : “Il existait évidemment déjà des dispositifs de soutien à la création d’entreprise localement, mais il en manquait une partie si l’on peut dire. Il manquait la réponse au manque de fonds propres des porteurs. Il était déjà possible de bénéficier de microcrédits émanant notamment de l’ADIE et de la SOFIDEP ou bien de faire appel aux banques lorsqu’on voulait créer sa société, mais souvent les financiers demandent des fonds propres ; ce dont tout le monde ne dispose pas. La CCISM et la Vice-Présidence avaient identifié ce problème, resté sans réponse, et eu l’occasion de constater que de beaux projets ne sortaient pas du fait de cette lacune.

Dans le même temps, ces acteurs avaient le sentiment qu’un peu plus d’accompagnement encore ne ferait pas de mal à certains porteurs de projet. Ce sont ces constats qui ont été le point de départ d’Initiative Polynésie dont la première assemblée constitutive a eu lieu en milieu d’année 2017 pour une mise en œuvre effective le 3 janvier 2018.


Concrètement, il ne s’agit pas d’une entité fonctionnant toute seule non plus : vous avez fait le choix de créer une structure rattachée à un réseau national, celui d’initiative France... Vairea Le Goaster Sine : “Effectivement, nous sommes une plateforme rattachée à ce réseau, qui est le premier réseau associatif de financement des créateurs d’entreprise. Ce réseau a été créé il y a plus de 30 ans en Métropole, dans les années 80, par un ancien banquier, qui avait lui-même déjà fait le constat de ce manque récurrent d’apports pour la création d’entreprise. Le siège est à Paris, mais le réseau a depuis bien longtemps essaimé un peu partout, y compris dans les Outre-mers. Aujourd’hui, il intègre 214 plateformes locales.

La Nouvelle-Calédonie dispose de la sienne depuis 11 ans déjà. À Tahiti, nous sommes l’une des dernières ouvertes.



Comment les choses s’articulent-elles entre Initiative Polynésie et Initiative France ? Vairea Le Goaster Sine : “Nous sommes reliés à la France et bénéficions de ce fait du nom et de l’expertise du réseau (en payant d’ailleurs une cotisation pour cela), nous avons adhéré à une charte commune à toutes les plateformes, nous suivons des règles et utilisons le réseau informatique développé pour toutes les plateformes, mais nous sommes aussi indépendants sous bien des aspects. La façon dont on articule les aides est décidée dans le ré- seau, mais il existe des spécificités selon les plateformes. Par exemple, nous avons voulu nous dédier à la création, mais aussi au rachat et au développement d’entreprises. Ailleurs, certaines plateformes ont ajouté un quatrième secteur : la transition.


Et puis disons que si les bases sont communes, ce n’est pas le réseau qui décide non plus de qui nous devons soutenir ou pas.

Qui retrouve-t-on exactement au sein de votre collectif ? Vairea Le Goaster Sine : “La CCISM et la Vice-Présidence ont souhaité y réunir tous les acteurs de l’entrepreneuriat, l’Adie, la SO- FIDEP, la DGAE, les banques, la CPME, le MEDEF, les organisations syndicales, mais aussi la fédération des coachs de Polynésie, l’ordre des experts-comptables, l’association du tourisme durable, etc. ainsi qu’un collège d’entreprises. Au début, nous comptions une trentaine de membres ; ils sont 39 aujourd’hui et la structure n’est pas du tout fermée.


Ce qui m’amène à la question de votre financement. Comment fonctionnez-vous sur ce plan ? Vairea Le Goaster Sine : “Les bailleurs de fonds principaux restent les fondateurs. À titre indicatif, en 2018, nous avons bénéficié d’un budget de 80 millions alimenté à hauteur de 50 millions par la Vice-Présidence, de 25 millions par la CCISM et de 5 millions par la Caisse des dépôts et consignations, qui est toujours classiquement partie prenante dans les plateformes qui se créent. En 2019, nous avons été dotés de 100 millions émanant à hauteur de 75 millions de la Vice-Présidence et pour 25 millions de la CCISM.


Pour 2020, le budget prévisionnel est encore à voter mais il devrait atteindre 95 millions :

75 millions émanant de la Vice-Présidence, 15 millions de la CCISM et 5 millions de la Socredo, qui vient de rentrer dans les fonds, bientôt sui- vie, on l’espère, par les deux autres organismes bancaires de la place. On fait traditionnellement appel aux fonds publics pour démarrer ce type d’activité, le temps que la structure fasse ses preuves mais le but recherché est véritablement qu’il y ait de plus en plus de financements privés. Aujourd’hui en tout cas, les bailleurs ne nous font pas défaut et pour inciter davantage les entreprises privées à nous financer, nous avons obtenu en décembre 2019 un agrément fiscal, la reconnaissance d’intérêt général, qui leur permet de bénéficier d’un avantage fiscal proportionnel aux fonds investis en faveur d’Initiative Polynésie. Les choses se feront sur la durée.


Aujourd’hui, vous soutenez financièrement 80 projets, dont 60 environ sont déjà en cours de réalisation, pour un montant global approximatif de 90 millions débloqués sous la forme de prêts d’honneur. De quoi s’agit-il exactement ? Vairea Le Goaster Sine : “ Le principe du prêt d’honneur est basé sur la parole. C’est un prêt sans garantie, à taux zéro. Le remboursement peut s’en faire sur 5 ans maximum et peut faire l’objet d’un différé de délai de démarrage de 0 à 6 mois. Notre prêt d’honneur ne peut pas excéder 2 millions de Fcfp car nous procurons de l’apport, nous ne sommes jamais les principaux financiers. Pour cette raison notamment, la taille des projets que nous soutenons ne peut pas excéder 30 millions au départ.


Il arrive d’ailleurs que certains porteurs de projet n’obtiennent pas leurs prêts bancaires à côté...

Ce qui explique que le montant des prêts réellement débloqués ne coïncide pas toujours avec les montant « engagé » initialement pour les projets que nous soutenons. J’ajouterai que le prêt d’honneur finance de l’investissement, des travaux, de l’aménage- ment, mais pas de trésorerie. C’est pourquoi nous avons jugé utile récemment de créer un nouveau prêt de soutien, d’un montant maximum d’1 million, uniquement dédié à nos porteurs, pour pallier un manque de trésorerie justement, car nous les savons fragiles. Cette crise aura forcément des répercussions pour eux. Donc sans être dans la subvention, nous savons qu’une aide pour- ra leur être nécessaire sur ce plan parce qu’ils ne disposent pas toujours d’une trésorerie de secours.



Quels ont les critères d’éligibilité au prêt d’honneur ? Vairea Le Goaster Sine : “L’équipe analyse le dossier et le présente en comité. C’est en réalité un examen très individualisé qui tient compte de très nombreux paramètres par- mi lesquels on retrouve : l’investissement du porteur, le fait qu’il veuille créer son activité pour lui, qu’il ait un besoin réel de fonds propres, mais aussi bien sûr les perspectives du projet sur le plan de la rentabilité. Notre optique n’est pas de savoir si on va se faire rembourser. La vraie question c’est de savoir si le projet peut tenir la route et si le porteur peut en retirer de vrais bénéfices. Je redis constamment à mon équipe :


« Rappelez-vous que la personne s’endette, est-ce qu’en l’endettant on lui rend service ou pas ? Parfois, en voulant aider, on fait plus de mal que de bien ».


Nous sommes aussi sensibles au fait qu’il y ait une écoute du côté du porteur et un besoin éventuel d’accompagnement. Celui-ci n’est pas une obligation, mais c’est notre cœur d’activité. Globalement, nous tenons bien sûr compte de critères financiers et économiques mais aussi très largement de critères sociétaux. Ce n’est pas un comité purement financier, plusieurs op- tiques y coexistent. Certains projets créent ou font vivre une filière agricole, génèrent des emplois... De très nombreux critères entrent réellement en ligne de compte.


Le gros point fort de votre démarche, c’est donc aussi l’accompagnement...

Vairea Le Goaster Sine : “Oui. Bien sûr, d’autres structures le font aussi, mais nous le faisons avec davantage de proximité, car notre « vivier » est beaucoup moins large :

nous accompagnons uniquement ceux que nous avons financés. Nos porteurs nous les rencontrons a minima 2 fois par an sur site. Mais nous mettons également en place un suivi trimestriel voire mensuel au besoin de l’activité. Les besoins individuels sont clairement identifiés pour chacun d’entre eux par une commission.


On les connaît tous personnellement. Et puis nous leur proposons un système de parrainage également. Au début, certains ont même soupçonné « un loup » car tous les membres de l’association, les parrains, sont des bénévoles. Au niveau des mentalités, ce mode de fonctionnement était presque un saut quantique. Mais nous leur avons patiemment expliqué que la seule contrepartie que nous attendons d'eux était de jouer le jeu et de participer à la vie associative ; le but étant vraiment que les porteurs se rencontrent entre eux.


En plus d’être membre de la plateforme, vous pouvez donc être volontaire pour accompagner des projets individuels. Cette fois, on est davantage dans la stratégie d’entreprise avec des parrains qui sont eux-mêmes des chefs d’entreprise... ce qui n’est pas mon cas ni celui de mon équipe. Quoi qu’il en soit, le parrainage n’est pas systématique. Aujourd’hui, nous avons 22 parrains pour des périodes assez courtes, n’excédant en général pas quelques mois et jusqu’à 2 ans au maximum.


En fait, ce sont deux formes d’accompagnement qui se rejoignent au profit des porteurs de projet.”

Depuis votre création, avez-vous enregistré un taux « de casse » important ?

Vairea Le Goaster Sine : “Évidemment, il y a un taux de casse non négligeable car nous sommes potentiellement sur des projets à risques... et qu’il existe aussi des porteurs de projet de mauvaise foi. Pour autant, sans doute grâce à cette proximité assez inédite, pour moi qui viens du secteur bancaire, les prêts se remboursent plutôt bien. Nous avons davantage affaire à des porteurs qui maintiennent leurs remboursements, même dans la difficulté, que le contraire. Après, on les suspend s’il le faut car le but est toujours de trouver une solution. Nous ne prêtons pas à l’entreprise, mais à la personne. Par conséquent, même si l’entreprise ferme, cela ne supprime pas la dette. Nous sommes trop jeunes pour l’instant pour avoir réellement effectué des passages en pertes ; en revanche, nous avons effectivement 7 % de dossiers compliqués, qui donnent déjà lieu à des contentieux juridiques. C’est très rare, mais quand on a un porteur qui ne répond plus et semble avoir disparu dans la nature, cela peut aller jusque-là.

Pour autant, nous ne dérogeons pas à notre credo : nous sommes une association qui leur fait confiance et les implique fortement parce que nous n’avons pas été créés pour gagner quelque chose, mais réellement pour assurer plus de chances de survie aux entreprises.

En 2018, 35 % des bénéficiaires des prêts accordés par Initiative Polynésie étaient des demandeurs d’emploi et 22,5 % en 2019 étaient inscrits au SEFI.


Quels sont les secteurs d'activité que vous avez essentiellement soutenus depuis le début ? Vairea Le Goaster Sine : “En 2018, la majorité des dossiers concernaient les services aux particuliers (coiffeurs, esthéticiennes, piscinistes, etc.) ainsi que des commerces divers et variés. Mais en 2019, avec tous les voyants au vert pour ce secteur, nous étions davantage dans les activités liés au tourisme avec de nombreux dossiers qui relevaient aussi de la transformation (pour la fabrication de savons bio, etc.).


Avec quel impact le confinement et le début de la crise liés au Covid-19 ont-ils déjà affecté votre activité et l’écosystème économique polynésien ? Est-ce que cela a modifié votre façon de travailler ?

Vairea Le Goaster Sine : “Ce contexte économique malmené n’a pas pour au- tant fermé la porte aux projets. Certains ne vont d’ailleurs pas avoir d’autres choix pour survivre. Mais dans ce contexte général pas joyeux, nous allons bien sûr être encore plus vigilants quant au fait que les porteurs de projet aient une conscience réellement éclairée des difficultés qui les attendent potentiellement. Le plus difficile, peut-être, va être pour les projets déjà bien bâtis et avancés, mais sur des bases devenues parfois obsolètes, pour lesquels cette crise a littéralement coupé les ailes en plein vol. Cela va réclamer de la part des porteurs une immense adaptabilité. Certains ont déjà fait la preuve de leur capacité à re- bondir... en réorientant vers la pêche, par exemple, une activité prévue initialement en tant qu’excursionniste bateau.


Et puis on a quand même pu déjà constater des choses très positives : cette période a amorcé un grand changement dans les modes de consommation. Certains s’y sont adaptés très rapidement en mettant en place de la vente à distance grâce au digital et ont littéralement explosé leur activité. Ceux qui avaient anticipé ce tournant numérique ont aussi pris de l’avance.


Quelle est l’évolution que tu aimerais particulièrement, personnellement, voir survenir ? Vairea Le Goaster Sine : “Nous avons toujours couru après les projets agricoles (on nous en a soumis seulement 3 depuis le début). Or j’ai toujours eu un petit faible pour ces projets qui valorisent la matière première locale. Ce sont des activités qui vont dans le sens de réduire notre dépendance, à l’import comme à l’export, avec une production locale destinée également à être consommée localement. C’est un public, dans ce secteur, qui n’a sans doute pas l’habitude de demander et avance traditionnellement tout seul et à petits pas. Mais j’aimerais vraiment en voir davantage venir vers nous, car cela me semble réellement aller dans le sens de l’avenir.



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Dossier à retrouver dans votre magazine Investir à Tahiti #5



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