Logan est né à Tahiti, au pays des lagons. Vingt ans plus tard, le jeune homme endure le froid, la fatigue et les rigueurs de l’altitude pour se retrouver sur l’un des sommets du monde, entraînant avec lui toute sa famille. Ensemble, ils vont vivre vingt-deux jours uniques et grandioses. Partons à leur suite au Népal, dans une aventure extraordinaire où Logan s’est confronté à lui-même et à la montagne, où il s’est senti pousser des ailes, et où les liens avec sa famille se sont renforcés.
© Texte : Doris Ramseyer - Traduction de l’interview : Aurélia Autret - Photos : tous droits réservés
10 octobre 2022. Départ. L’avion en provenance du Viêtnam atterrit en soirée à Katmandou, capitale du Népal. À son bord, une famille pas comme les autres. Logan, 20 ans, son frère Evan, 16 ans, et ses parents Hylton et Sandrine qui ont déjà vécu aux quatre coins du monde, grâce à la profession de Hylton Lipkin dans l’industrie hôtelière. Ils arrivent au Népal pour gravir Lobuche East Peak (le pic de Lobuche Est) qui culmine à 6 119 m. Une idée que Logan, étudiant en design et graphisme, a soumis un jour aux siens : tous ont immédiatement répondu oui ! Ce trekking répond à son rêve de neige et de glace, est accessible à cette famille sportive, et comporte assez de défis pour ressentir la fierté d’avoir réussi.
12 octobre. Lukla, 2 804 m, point de départ de l’aventure : deux cents kilomètres et 3 315 m de dénivelé à parcourir sur près de trois semaines pour une acclimatation en douceur. Dans leurs bagages, ils emportent un drapeau représentant leurs quatre nationalités : Tahiti pour Logan, les États-Unis pour Evan né à Hawaï, l’Afrique du Sud pour Hylton, la France pour Sandrine. Au fur et à mesure de leur ascension, les Népalais et voyageurs rencontrés à chaque étape signeront ce drapeau comme un livre d’or itinérant.
Logan et les siens font connaissance avec leurs sherpas, un guide de haute montagne et deux porteurs. Logan confie : « Ils m’apparaissent comme des surhommes, portant tout et ne semblant souffrir ni de la fatigue, ni du froid, ni de l’altitude. » Le soleil se couche tôt. Repas sommaire et première nuit en guesthouse dans un village étape. Pour Logan, le sommeil tarde à venir : « Je ressens l’effet de l’altitude, l’excitation du voyage, et mes interrogations face à ce challenge. »
17 octobre. Après les paysages verdoyants, tout devient désert, minéral, étrange, propice à la méditation. Des sommets blancs émergent de l’horizon. Les pas de chacun martèlent le sentier qui se rétrécit peu à peu. Des pas ralentis par la fatigue et la raréfaction de l’oxygène. Ces jours-ci, ils aperçoivent des troupeaux de yacks. Au-dessus d’eux, des vautours et des aigles planent dans les airs. Le trekking du jour passe par le col Renjo La à 5 340 m. « Chacun de nous ressent des maux de tête en permanence, plus ou moins forts selon les paliers. » Sandrine tousse passablement, mais est déterminée à poursuivre. Surtout qu’aujourd’hui, elle va à la rencontre du plus beau lac qu’elle n’ait jamais vu : celui de Gokyo, aux nuances de bleu exceptionnelles.
« Mon frère souffre du mal des montagnes, dû au déficit en oxygène. Il endure des maux de tête sévères, accompagnés de fatigue, de nausée, et d’essoufflement. » La famille hésite à poursuivre. Les encouragements et la force mentale de chacun incitent Evan à se remettre en route. Son envie d’aller de l’avant se révèle plus forte que celle de faire demi-tour. Le mal des montagnes s’évanouit, et ils arrivent ensemble à la prochaine étape. « Il faut toujours être à l’écoute de soi et avoir le courage de communiquer aux autres son état physique, pour que tous puissent arriver à destination. »
20 octobre. Sur ce chemin particulièrement raide qui mène au col du Cho La à 5 300 m, ils rencontrent un randonneur malaisien qui s’est arrêté : il est envahi par le mal des montagnes et le découragement. Touchés par les efforts de cet homme, Logan et son père l’encouragent à continuer. Quand ce dernier parvient enfin au col, son premier réflexe est de se prosterner sur la terre glacée. Il embrasse les pieds de son guide en signe de profond respect et de reconnaissance. Ce geste marque profondément Logan : « Nous sommes tous à la même enseigne. Chaque humain est confronté dans sa vie à des épreuves qui lui paraissent insurmontables. Mais avec le soutien des autres et une grande volonté, il est possible de les vaincre. »
Le soleil se couche et embrase les pics enneigés. « C’est si beau que je peux difficilement mettre des mots dessus ; j’ai comme l’impression de vivre intensément l’instant présent, je souhaiterais que cela dure encore et encore. »
26 octobre. Jour de l’ascension de Lobuche East Peak. La nuit est brève ; l’aube, lointaine ; il est minuit quand Logan sort de sa tente. L’univers apparaît noir, glacé, il fait autour des -20 °C. Mais son cœur est bouillonnant. Aujourd’hui, si tout va bien, il va gravir Lobuche East Peak après 1 200 m de dénivelé à une altitude dépassant les 5 000 m. Son frère et sa mère ont préféré rester plus bas à Pheriche. La veille, ils ont atteint le camp de base de Lobuche Peak à 4 950 m : des tentes colorées plantées dans un univers rocailleux au bord d’un lac de montagne. Le soir, autour d’un feu de camp, avec les autres randonneurs, ils ont joué au Uno, partagé leurs expériences, leurs rires et leurs craintes.
Logan enfile ses vêtements chauds, un casque d’alpinisme, des crampons et un baudrier, car aujourd’hui ils évolueront encordés. « Sur le glacier, les passages sont étroits, certains dangereux, il faut rester prudent et concentré. Un pas de travers, et ça peut être la chute dans le vide. » Une heure du matin. Ils sont prêts. Logan et son père suivent leur guide d’alpinisme, Karma Sherpa. Leur lampe frontale troue la nuit glacée. Quand le soleil se lève, le paysage s’étoffe de relief et de couleurs. Ils escaladent, ils soufflent, ils persévèrent. L’oxygène s’appauvrit. La glace crisse sous les pas, sa blancheur étincelle. Il est près de 8 h du matin quand ils se hissent enfin au sommet. Instant magique. Les minutes qui défilent s’apparentent à des secondes. À 6 119 m, l’horizon est dégagé, tout autour d’eux se dressent les grands sommets de l’Himalaya ; ils contemplent le mont Everest à quelques kilomètres du pic. Le jeune homme se sent minuscule face à cette immensité.
« Des sentiments extraordinaires m’envahissent, là, au sommet du monde ; je pleure de joie, tout ce que je ressens me paraît amplifié. J’ai l’impression que je pourrais courir un marathon, alors qu’il y a un instant encore je me sentais épuisé ! Toutes mes inquiétudes d’avant me semblent dérisoires, je me sens bien comme jamais. C’est réellement la meilleure expérience de ma vie ! »
Au sommet, Logan et son père déploient le drapeau familial. « Je regarde ce drapeau flotter au vent, et je prends conscience de l’ampleur du défi accompli, de la richesse des enseignements que la montagne et les rencontres m’ont apportés. Il cristallise les moments de joie intense et les difficultés surmontées en famille. »
L’oxygène est rare, il ne faut pas s’attarder. Le petit groupe redescend, l’effort est rude, les jambes douloureuses. Au village de Pheriche, Sandrine et Evan lisent sur le visage des deux hommes la victoire, la joie, l’épuisement. Ils sombrent dans le sommeil après seize heures de marche peuplées de vives émotions.
28 octobre. Si la descente s’avère nettement plus rapide – en deux jours seulement, ils rallient Namche, à 3 441 m – elle se révèle pourtant plus dure que la montée. La fatigue accumulée au fil des jours cherche à s’immiscer dans les corps fourbus. La famille passe ses derniers jours avec leurs sherpas. Logan confie : « Sans leur excellente connaissance de la montagne et leur bienveillance, il nous aurait été impossible de réaliser tout ce chemin et d’atteindre le sommet. »
29 octobre. Retour à Katmandou. Le contraste est énorme avec la solitude des hauts sommets. Mais, en ville, ils renouent avec le confort : une douche chaude qui apparaît comme un luxe extraordinaire, des mets variés dont la saveur semble décuplée, et enfin, plus besoin de superposer autant de couches de vêtements !
Logan, Evan, Sandrine et Hylton savourent leur réussite, et le fait de ne pas avoir rencontré de problème majeur. Quelle fierté d’avoir réalisé cette aventure en famille. Ensemble ils ont vécu des moments forts, ensemble ils ont avancé, ensemble ils ont accompli de grandes choses. Cette expérience les a transformés. « C’était tout compte fait plutôt un challenge mental que physique : tenir la longue distance et lutter contre le mental qui veut rebrousser chemin n’est pas évident. »
Motivée, la famille de Logan souhaite entreprendre une nouvelle expédition en haute altitude. Logan se voit gravir d’autres sommets ailleurs. Il espère aussi revenir à Tahiti pour redécouvrir son pays de naissance. Avec sa lueur de joie dans les yeux et sa voix enthousiaste, le jeune Tahitien finit par ces mots : « Il faut élargir sa vision, voir le monde sous un autre angle, vivre sa vie au maximum et exploiter son potentiel autant que possible ! »
Le mot d’Hylton Lipkin :
« Voilà quelque chose d’unique, de spécial, qu’aucun Tahitien n’a certainement jamais accompli », pense ce père alors qu’il voit son fils gravir l’un des sommets de l’Himalaya. « Cette histoire, il faut la raconter, il faut qu’elle puisse inspirer d’autres jeunes gens ! », poursuit Hylton Lipkin. L’Himalaya, c’est un rêve qui se concrétise pour ce féru de sport et de nature natif d’Afrique du Sud. Une passion qu’il transmet à sa famille et que son fils Logan saisit au rebond. « Mon fils aîné a entièrement organisé cette expédition. C’est lui qui a rêvé cette histoire et qui lui a donné vie. Je n’ai rien eu à faire, à part marcher ! » Logan naît à Papeete en 2002, alors que Hylton est nommé directeur général des hôtels Sheraton à Tahiti, Moorea et Bora Bora. La Polynésie leur apparaît à lui et son épouse comme un paradis. Vingt ans plus tard, à plus de 14 000 km de là, Hylton déclare : « Ce qui m’a impressionné dans l’Himalaya, c’est toute cette beauté grandiose et naturelle des montagnes. J’ai marché au sommet du monde, et la cerise sur le gâteau, c’est que je l’ai réalisé avec ma famille ! »
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Texte : Doris Ramseyer. Merci à Aurélia Autret d’avoir collaboré pour la traduction.
Photos : Logan Lipkin ; merci pour le partage passionnant de son aventure.
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