Texte : Patrick Seurot - Magazine InstanTANE #02 - août 2018
« Toutes les bonnes choses ont une fin, sauf la banane qui en a deux », dit le proverbe africain. Laissons le fe’i de côté et séchons nos larmes, car oui, les vacances scolaires sont finies. Le farniente des bords de plage laisse place à la rentrée. Aux heureux défis que l’on se fixe, à un calendrier chargé, aux têtes que l’on retrouvera avec plaisir… ou pas. Et, rentrée scolaire oblige, aux nouvelles têtes que l’on va rencontrer.
Surtout des métropolitains, qui viennent en mission pour quelques mois ou quelques années. Chers nouveaux arrivants, on vous reconnaît assez facilement. Et c’est avec une réelle tendresse que je vous adresse ces quelques mots, moi qui était vous il n’y a pas plus de douze ans. On arrive avec une certaine appréhension, sur ce fenua si lointain qu’on n’imaginait pas un jour fouler. Ici, on sourit, de vous voir si blancs, parfois si gris de votre urbanité pluvieuse passée, le visage trop sérieux, suant de la chaleur humide. On vous identifie à vos tenues estivales qui n’ont pas le style d’ici. Pas encore. Dans les grandes surfaces, on vous entend grogner “ que sur les rayons de Châteauroux, Dijon ou Dunkerque, c’était pas rangé pareil ”. On vous reconnaît à une certaine suffisance, dans vos nouvelles bottes d’administrateur, de fonctionnaire ou de prof expatrié, un peu tendus sans doute par cette nouvelle responsabilité que l’on vous a confiée ; de ce pseudo statut que vous prenez l’habitude de vous auto-attribuer, aussi, fier Métropolitain dans cet outre-mer lointain, comme un Parisien affiche son rictus hautain en Province.
On ne vous en veut pas pour tout cela.
Dans quelque temps, vous serez conquis par le soleil, les rires, les chants, le poisson cru. D’ici quelques mois, vous serez doux comme du lait de coco. Laissez-moi cependant vous faire gagner quelques semaines.
Ici, à Tahiti comme dans toutes nos îles, on est généreux. On sourit à plein visage, jusqu’aux oreilles, pas d’une timide grimace figée. On s’embrasse à pleine joue, on s’enlace de ces bras ronds pleins de tendresse qui vous racontent l’amour vrai de l’Autre. Même les assiettes des roulottes, des snacks et des restos, sont généreuses. Ici, on accueille avec de la musique et des fleurs ; on laisse les défilés militaires aux nations qui se prennent au sérieux. Ça en dit plus long que ça en a l’air sur l’esprit de nos îles.
Ici, on prend le temps de vivre. Et si, sur la route du retour, le bouchon traîne en longueur, on sort de la RDO, on va prendre un verre dans un des hôtels qui ponctuent le parcours et on sourit au crépuscule. Pas benoitement. Juste béatement.
Sur la route, on klaxonne parfois, oui, quand on voit un ami dans une autre voiture ou sur un trottoir. On n’a rien à reprocher à ceux qui conduisent. Car ici, on ne serre pas le pare-choc qui nous précède pour garder sa place de conducteur stressé pressé. On laisse au contraire passer le voisin, celui de la file d’à-côté, du céder-le-passage, du stop ; le piéton aussi. Il vous fera un grand signe de la main et un large sourire.
Si ce n’est pas le cas, ne lui en voulez pas : il vient sans doute juste d’arriver.
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