Apataki. L’île-perle
- 14 août
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3e plus gros producteur de perles de culture de Tahiti1, Apataki est l’un des trois plus gros lagons producteurs de perles en Polynésie française. 10% des perles totales y sont en moyenne produites chaque année (derrière Rikitea et Arutua, tous deux représentant près de 50% de la production totale). Ce fut, en Polynésie, le premier lagon dédié à la perliculture.
© Texte texts : Patrick Seurot - Photos : Tim McKenna (sauf mentions contraires - Unless otherwise specified)

Le lagon d'Apataki présente des caractéristiques hydrodynamiques favorables à la perliculture. Avec deux passes et de nombreux hoa, sa configuration permet une circulation optimale de l'eau, essentielle pour le développement des huîtres perlières. De plus, la qualité des eaux et la biodiversité marine contribuent à la production de perles de très grande qualité. Le lagon de l’atoll est parsemé de patates de corail de toutes tailles, profondes ou affleurant en surface. Elles sont des lieux de vie.

Les premiers pas de la perliculture
L’atoll d’Apataki est entré dans l’univers de la perliculture dès le début du XXe siècle. Ce n’était pas un atoll nacrier très productif, comme Hikueru, Takume, Takapoto, Takaroa et Marutea-Sud, qui fournirent à l’industrie nacrière, au temps de la plonge, la grande majorité des tonnes de coquilles destinées à l’export en Europe (1830-1970). Cependant, ses gisements sont réguliers et lors de récoltes de nacres, les perles fines trouvées sont, avec celles de Toau et Fakarava, parmi les plus belles des atolls de l’ouest des Tuamotu. Mais c’est par une expérience, réalisée par un homme, le capitaine au long cours François Hervé (1875-1939) qu’Apataki écrit ses premières pages d’histoire de la perliculture : les premières tentatives de greffe d’une huître perlière en vue d’obtenir des perles sphériques de culture.
En décembre 1904, avec son épouse Thaïs, il arrive à Papeete, capitale des Établissements français d’Océanie. Son objectif, comme nombre de marins de l’époque, est de faire du négoce itinérant avec les îles les plus reculées. Nacres, perles, coprah et vanille peuvent en effet être achetés ou échangés aux insulaires contre des produits importés et manufacturés. Il crée donc le Marché colonial. Cette aventure durera jusqu’en 1913, date à laquelle les Hervé partent aux Tuamotu chercher une île convenant à leur installation. Ce sera Apataki, sur un motu de 27 hectares appelé Nuutina, où toute la famille s’installe en mai 1914. Là, ses affaires marchent bien et, à la suite de la vente d’un lot de perles fines en Amérique, il s’adonne à sa nouvelle passion : l’observation et l’étude des huîtres perlières, dans le double but de leur élevage pour réensemencer les lagons appauvris ou dépeuplés et de chercher comment obtenir des perles de manière contrôlée.
Photos prises en 1917 de François Hervé, son aide Tehei et de leurs installations pour étudier les huîtres perlières, dans le hoa (canal non navigable) du motu Nuutina (ouest d'Apataki). © Fonds familial Aiu Deschamps (x4)
Essais et déceptions
Ses expériences sur la culture des nacres iront de pair avec celles sur les perles, sur lesquelles il fonda de grands espoirs… malheureusement déçus. S’il élève quelques 15 000 nacres, prélevées à Apataki, Arutua, Takapoto et Aratika avec l’autorisation des gouverneurs successifs, les investisseurs ne croiront pas en ses expériences, ni aux débouchés qui, dans les années 1920, semblent moins nombreux par rapport à l’engouement des années 1850-1890, décennies de fascination pour la « perle noire ». En effet, les essais japonais réussis ont apporté une attention renouvelée sur les perles blanches (lire encadré. Mais surtout, les perles issues de ses élevages ne seront jamais d’une qualité suffisante pour séduire les courtiers et bijoutiers de métropole.
En 1923, le Gouverneur nomme François Hervé chef du Service d’ostréiculture et des pêches, qui fut créé spécialement pour lui (ancêtre du service de Jean-Marie Domard). Il va alors s’occuper activement de surveiller les conditions de la plonge. Ce sera la fin des premiers essais de perliculture en vue d’élever des huîtres perlières et d’obtenir des perles fines dans les Tuamotu, avant ceux de Jean-Marie Domard en 1961.
Un nouveau chapitre à écrire
Dans les années 1950, les saisons de plonge se raréfient à Apataki. Finalement, dès les années 1965, elles sont arrêtées. Avec la construction de l’aéroport de Tahiti-Faa’a, au début des années 60, puis l’installation du Centre d’Expérimentation de Polynésie (CEP) pour les essais nucléaires, la population de l’atoll, pêcheurs et coprahculteurs, se détourne de cette activité historique. L’exode vers Tahiti coïncide avec le triomphe du polyester, matière artificielle synthétique dérivée du pétrole, très bon marché, qui va remplacer la nacre, notamment dans l’industrie textile (boutons). Le plastique a eu raison du coquillage.
Hervé fonda de grands espoirs sur ses expériences de perles de culture…
Après les essais réussis de greffe conduits par Jean-Marie Domard, à l’aide du greffeur japonais Churoku Muroi dans les lagons de Hikueru et Bora Bora, la première initiative d’une entreprise privée est menée dès 1968 à Rangiroa, par Koko Chaze. Ce vaste atoll avait été envisagé par Domard lui-même pour devenir la grande base perlière de Polynésie française, avec une première greffe d’envergure (20 000 huîtres perlières). Manihi est la seconde île, cette fois avec les frères Rosenthal, petit-fils du diamantaire parisien et grand connaisseur des perles fines, Léonard Rosenthal. Les premières coopératives naissent dès le début des années 1970, Takapoto, Takaroa, Aratika. Tandis que Robert Wan rachète la société de William Reed à Rikitea en 1974, Jean-Claude Brouillet ouvre sa première ferme à Arutua, la même année. Il est très vite secondé par un plongeur exceptionnel, originaire d’Apataki, Jean Tapu, champion de France, d’Europe et du monde de pêche sous-marine (1967). Ce dernier gèrera également la production de perles à Marutea Sud, atoll que Brouillet a acquis en 1975, après le départ de son associé Brannelec (fondateur de la première ferme de perles aux Philippines). Les premières récoltes sont prometteuses, le travail de commercialisation, aux Etats-Unis et en Europe notamment, commencent à porter leurs fruits, même si les réticences sont nombreuses envers cette perle noire de culture que certains pensent artificielle ou colorée.
Effondrement et résilience, cœur de la vie des Tuamotu
Tout s'écroule cependant : la série de cyclones de 1983 ravage les Tuamotu, notamment la ferme de Marutea Sud. Jean Tapu et ses équipes de plongeurs doivent récupérer les perles et les huîtres perlières encore vivantes dans le sable, au fond du lagon. La perte est importante. Brouillet décide de vendre Marutea Sud à Robert Wan. Jean revient à Apataki pour repartir de zéro. L’Administration est alors réticente aux transferts d’huîtres perlières d’un lagon à un autre, en raison des risques de contamination, de transport de maladies, notamment dans un atoll comme Apataki, grand producteur de poissons. Elle accorde cependant l'autorisation à Jean Tapu de faire venir 10 000 nacres de Takapoto. Elles seront productives trois ans plus tard. La perliculture à Apataki est ainsi née au début des années 1980. Quelques années plus tard, plusieurs dizaines d’exploitants perlicoles cohabiteront dans le lagon. Jusqu’en 2001. Après la crise boursière asiatique de 1998, la chute constante des cours de la perle de Tahiti, notamment due à une production trop importante par rapport aux circuits commerciaux mis en place, fragilise durablement le secteur.
Jean Tapu a laissé son activité perlière quelques années avant sa mort en 2018. Selon les données disponibles4, Apataki compte 17 titulaires autorisés exploitant la perliculture, répartis sur une surface totale de 750 hectares. Ces exploitations comprennent près de 300 stations de collectage et 6 fare greffe, totalisant une surface de 375 m². Les fermes perlières sont souvent situées sur des structures sur pilotis, à quelques dizaines de mètres du rivage.
Apataki se classe aujourd’hui parmi les trois premiers atolls producteurs de perles en Polynésie française, aux côtés d'Arutua et des Gambier. En 2022, ces trois atolls ont représenté 70 % des perles contrôlées dans le territoire. En 2021, il a produit environ 1,55 million de perles, se classant juste derrière Arutua et les Gambier en termes de volume de production.
Que laisser aux nouvelles générations ?
Elles sont plusieurs figures emblématiques de la perliculture à Apataki, que ce soit des hommes ou des femmes de l’atoll. Natifs ou adoptés que le hasard, l’aventure ou le défi ont séduit, ils ont donné leur vie à cette activité sur l'atoll. Les embruns, l’eau et le sel, le corail et le calcaire sont leurs plus fidèles compagnons. Propriétaires de grande ferme perlière couvrant plusieurs centaines d’hectares ou quelques lignes de concession, leur préoccupation est toujours la même aujourd’hui : outre l’emploi et formation des jeunes locaux, elle est tournée vers une perliculture durable. En effet, les années 1990-2010 ont laissé des traces, notamment les déchets liés à l’activité : cordages, collecteurs, bouées et grillages de protection utilisés quotidiennement par les fermes. Cette pollution est visible et omniprésente : les traces de microplastiques dans les huîtres perlières sont une réalité. Avec l’aide du Territoire et les habitants des atolls, les perliculteurs se mobilisent. C’est dans le cadre de son programme d’actions de gestion des déchets issus de l’activité perlicole que la Direction des ressources marines (DRM) a lancé en 2021 une vaste opération de nettoyage des îles : Apataki, Arutua, Ahe, Manihi, Takaroa, Takapoto, Aratika, Kaukura, Fakarava, Raiatea, Taha’a et Gambier.

Ces îles ont été choisies sur la base de la présence importante de déchets historiques et/ou d’une forte activité perlicole actuelle. Ces actions permettent de poser les bases d’une gestion pérenne de ces déchets professionnels, pour garantir un environnement sain pour les lagons. C’est une nécessité pour que la perliculture puisse s’y épanouir en harmonie avec l’environnement et qu’Apataki, comme d’autres atolls perliers des Tuamotu, restent le paradis qu’ils évoquent pour les voyageurs.
Les essais de greffe dans les années 1920-1940
Le Japonais, dont le roi de la perle, Mikimoto, vont tenter d’adapter la greffe en vue d’obtenir une perle sphérique sur les huîtres perlières à lèvres noires ou blanches.
Entre 1907 et 1916, les Japonais déposent plusieurs brevets de techniques de greffage. Les plus célèbres sont celui de Mikimoto-Kurabawa (1914) et celui de Mise-Nishikawa (1916), dont la méthode sera finalement adaptée par Mikimoto. Soutenue par l’administration impériale, les Japonais lancent les greffes à grande échelle au Japon et lancent une série d’expériences, notamment dans le Pacifique Sud.
Les Japonais Sukeyo Fujita et Takuji Iwasaki s’installent ainsi sur l’île de Boeton, au sud des îles de Célèbes (Sulawesi), en Indonésie alors sous contrôle hollandais. Ils fondent la Boeton Pearl Cultivation Co., et adaptent la technique de greffe sur des Pinctada fucata Martensii sur les Pinctada maxima australiennes. Les premiers résultats, diffusés en 1927, sont positifs. Ils conduiront à la naissance de la perle blanche australienne.
De son côté, Mikimoto lance ses premiers essais de greffe à Palau (Micronésie, dans la mer des Philippines), dès 1922, sur des huîtres à lèvres noires. Il obtient des résultats satisfaisants en termes de reproduction. Entre 1926 et 1940, il décida d’étendre ces expérimentations sur l'île d'Ishigaki, au sud-ouest du Japon, en tentant d'acclimater cette espèce à des conditions environnementales différentes de son habitat naturel. Ces essais ont permis de produire plus de 100 000 perles de culture. Le procédé de greffe utilisé fut renforcé par cette expérience. Cependant, toutes les perles obtenues étaient de forme baroque, c'est-à-dire irrégulières et sans symétrie, les rendant inadaptées à la bijouterie traditionnelle.

D’autres essais à Palau dans les années 1935-1940, cette fois de culture de perles blanches avec des huîtres importées du Japon, seront aussi un échec.
Ces expériences permirent de mieux comprendre l'adéquation entre les conditions environnementales et les besoins spécifiques des huîtres perlières, notamment ceux de la Pinctada margaritifera. Cette espèce requiert des eaux chaudes, claires et peu profondes, caractéristiques des lagons tropicaux, pour se développer correctement et produire des perles de qualité. Les conditions plus tempérées et différentes du Japon n'étaient pas propices à son épanouissement.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les zones de production et d’élevage des huîtres perlières sont répertoriées. La Polynésie orientale (alors connue sous le nom d’Etablissements français de l’Océanie), n’en fait pas partie. Jusqu’à ce que le rêve de Jean-Marie Domard prenne vie.