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Gaetano Biondolillo, médecin et artiste « pour guérir les âmes »

Gaetano Biondolillo, né en Belgique, dans la province de Liège, il y a 34 ans, fait partie de ces êtres qui ont su préserver la candeur, la fraîcheur et l’authenticité de l’enfance pour mieux se construire un parcours d’une grande profondeur. Guidé par une boussole intérieure tout entière orientée vers le bonheur des autres, il a embrassé une carrière médicale avant de faire le choix de donner toute la place à sa nature artistique en devenant à temps complet artiste acrobate aérien ; une vocation qu’il vit désormais pleinement en Polynésie française. Inspirant.


© Texte et photos : Virginie Gillet



InstanTane : Si tu devais nous parler de ton enfance en quelques mots, qu’en dirais-tu d’abord ?

Gaetano Biondolillo : “Mon enfance n’a pas été très joyeuse parce qu’essentiellement marquée par la maladie et passée dans les hôpitaux. On m’a découvert une leucémie à l’âge de quatre ans et demi, une nouvelle qui a déchiré l’entièreté de la famille (Gaetano est le cadet d’une fratrie de trois enfants, issue d’une maman mère au foyer et d’un papa ouvrier dans le bâtiment). J’ai été déclaré en rémission à l’âge de douze ans, mais les suivis médicaux ont perduré jusqu’à la fin de mon adolescence. Mon enfance a donc été complètement liée aux soins médicaux. Personne d’autre n’avait encore été atteint par ce genre de pathologie dans la famille et puis c’était un cancer du sang, dans une époque de propagation du HIV, donc cela n’a pas toujours été bien compris, même par les proches. J’ai vécu beaucoup de stigmatisation. Ce n’est plus un secret d’État aujourd’hui, mais ça l’a été initialement. ”


Malgré ta grande jeunesse à l’époque, qu’as-tu l’impression que la maladie a pu t’apporter, t’insuffler pour la suite de ton parcours ? Qu’as-tu retiré de cette expérience douloureuse ?

“En tout premier lieu, cela m’a vraiment permis d’apprécier la vie autrement, d’en considérer très tôt la valeur et l’importance. Ensuite, j’ai été bien conscient que cela m’avait permis de changer de classe sociale par rapport à mes parents. Je suis né dans une familiale ouvrière d’immigrés, mes parents étaient la première génération venue de Sicile pour s’installer en Belgique et je suis le seul à avoir terminé mes études secondaires. Il est clair que c’est la maladie qui a été en quelque sorte l’impulsion de tout ça. Pour plusieurs raisons : d’abord, parce que dès l’âge de quatre ans et demi, j’ai été en contact avec un personnel soignant qui me parlait comme à un adulte. Le fait d’être immergé dans cet environnement m’a ouvert à des notions très différentes de ce qui avait cours dans mon milieu familial.


Et puis tant qu’à vivre, une fois que j’ai eu pris la décision, il m’est apparu que je devais faire quelque chose de ma vie et aussi que je devais rendre mes parents fiers ; c’était très important pour moi. J’entends encore mon hématologue me dire à un moment où je m’abandonnais à la maladie « Si tu te laisses aller, tu risques de ne plus revoir tes parents… ».


Or, si j’étais ok avec le fait de mourir, je ne l’étais pas du tout avec celui de ne plus revoir mes parents ! Une fois ces moments passés, c’est devenu crucial de les rendre fiers parce que je me suis rendu compte du cadeau énorme qu’ils m’avaient encore fait. Ils m’ont donné la vie une seconde fois. Ma mère, qui travaillait, a arrêté pour s’occuper de moi car j’étais tous les jours à l’hôpital. Mon frère de 17 ans a, de son côté, arrêté l’école pour travailler en tant qu’ouvrier avec mon père car c’était très difficile financièrement sans assurance maladie. Je leur dois tellement… ”


Ta carrière médicale a donc été une façon de rendre ce que tu avais reçu ?

“J’ai toujours eu envie de rendre les gens heureux, de faire du bien autour de moi. J’avais effectivement beaucoup reçu de la médecine et je ressentais ce besoin de « rendre » ces bienfaits. Mais pour tout dire, j’ai toujours eu des envies de faire plein d’autres choses. J’aimais les lettres, j’ai fait du latin et du grec pendant 6 ans, j’aimais l’histoire de l’art… Dès le départ, j’ai évidemment eu envie aussi de faire de la danse de manière professionnelle. Mais aux yeux de mes parents et du fait de leur connaissance limitée des études universitaires, les possibilités de carrière n’étaient pas très claires en dehors de certains domaines et c’est ce qui a décidé concrètement de mon orientation vers la médecine. ”

 

Aujourd’hui tu es artiste à temps plein, mais il ne s’agit pas d’une reconversion en réalité, car tu as quasiment toujours marié ces deux dimensions de ta vie simultanément. Avant de revenir à la médecine, que peux-tu nous dire sur ta rencontre avec la danse justement ?

“C’est une rencontre qui s’est faite grâce à la maladie. Forcément, à cause de la chimiothérapie, de l’alitement, j’étais en mauvaise condition physique et il a fallu trouver des activités pour y remédier. Mais les choix étaient limités car il fallait éviter tout risque de blessure, ce qui impliquait d’éviter les sports de contact. À l’époque, je regardais heureusement beaucoup d’émissions de la chaîne de télévision italienne Rai dans lesquelles on voyait sans arrêt des danseurs évoluer. En fait, c’est le contexte de la maladie qui a rendu l’acceptation de la danse possible dans ma famille. J’ai pris mon premier cours à 7 ans et je suis littéralement tombé dedans. J’ai vite compris que je serais danseur, même si c’était un désir que je nourrissais sans pouvoir encore l’exprimer.”




Tu as commencé à danser et tu ne t’es presque plus jamais arrêté…

“Effectivement. J’ai aujourd’hui vingt-trois ans de danse derrière moi. Je me suis d’abord formé en danse classique et en modern jazz. Ensuite, je me suis familiarisé avec beaucoup d’autres types de danses en évoluant dans le milieu des cabarets. Ce que j’aime le plus, ce sont les variétés pour la joie que cela procure aux gens, même si la danse classique reste la cerise sur le gâteau. Aujourd’hui je ne suis plus apte à la pratiquer, ce qui est très dur pour l’égo, car j’étais très bon. Mais je me suis arrêté durant quatre ans pendant mes études de médecine, à partir du moment où j'ai du commencer à assurer des gardes, et il n’y a pas de récupération possible au niveau du corps après un tel laps de temps. ”


En marge de tes études médicales, tu as donc toujours consacré énormément de temps et donné de place à la danse en fait…

“Oui. J’ai même commencé à donner des cours de danse dès l’âge de 16 ans en parallèle de ma participation à de vrais spectacles semi-professionnels au sein de cabarets itinérants pour payer mes études de médecine. ”


J’en reviens à ta formation médicale : que peux-tu nous en dire ?

“J’ai d’abord fait sept années d’études pour être médecin puis enchaîné sur cinq autres en vue d’une spécialisation. Dans ce cadre-là, j’ai commencé par faire deux années complètes en pédiatrie avant de m’orienter vers la médecine générale puis la médecine préventive de l’enfance et les soins palliatifs. Ce sont ces deux dernières disciplines que je pratiquais au moment où j’ai arrêté la médecine. ”


Les soins palliatifs sont un domaine vraiment très spécifique, mais c’est aussi celui qui a donné le plus de sens à ta vocation…

“C’est durant la période pendant laquelle j’ai travaillé en soins palliatifs, à Liège, que je me suis dit que j’avais bien fait de faire médecine. La fin de vie est une période très particulière pour les gens et l’objectif est de leur procurer un soulagement, mais également une meilleure qualité de vie. Et nous sommes en capacité de changer très rapidement la qualité de vie de ces personnes. Parfois, les moments les plus importants de toute la vie d’une personne se jouent dans ces instants-là. Il y a des déclics incroyables qui peuvent se produire. C’est une médecine qui se situe au cœur des liens ; nous sommes aux côtés des patients, des familles, des amis, des collègues… Nous savons que nous ne guérissons pas les gens ; nous sommes donc dans le partage de la même nature, de notre condition de mortels, une grande leçon d’humilité pour tous.


C’est vrai que je me sentais à ma place là où tous mes collègues abandonnaient. Une fois qu’ils ne pouvaient plus rien faire, je retroussais mes manches et je me disais : « Allons-y ! ».


J’avais très à cœur que les gens vivent et non pas seulement survivent jusqu’à la dernière seconde. On règle beaucoup de choses durant ces moments, des conflits familiaux, des traumatismes très anciens… Il n’y a pas de mots pour décrire le départ de quelqu’un, guéri, libéré en fait, pour les trois dernières semaines de sa vie, de quelque chose qui lui a parfois terriblement pesé tout au long du reste de son existence…”


En parallèle de ta carrière médicale, tu étais parvenu à créer un véritable équilibre avec ta carrière de danseur jusqu’à une décision plus radicale.

“J’avais en effet, tout en travaillant dans ce service des soins palliatifs, ouvert mon école de danse en mai 2019 avec ma petite troupe de danseuses. Au fil du temps, j’avais eu l’occasion de me former encore à d’autres disciplines (mât chinois, tissu aérien, cerceau, trapèze…), avec l’objectif de créer mon propre numéro et de m’épargner les répétitions collectives que je ne pouvais pas gérer en termes de temps. Je suis alors tombé cette fois dans le milieu de la pole dance.


Tout ça étant assez peu développé en Belgique, je m’étais décidé à créer une école afin d’offrir aux personnes intéressées tous les outils possibles pour devenir des professionnels. C’était un objectif au long cours. Mais la crise Covid en a décidé autrement. Quand j’ai entendu que la médecine était un métier essentiel au contraire de l’artistique, c’était juste inaudible pour moi. Et comme j’ai toujours adoré les challenges, j’ai décidé de devenir artiste complètement alors que le métier était mourant. En fait, il me semble capital de conserver le flambeau parce que je suis toujours mû par la même volonté de rendre les gens heureux. C’est l’art qui rend les gens heureux. Les guérir ne suffit pas à leur apporter le bonheur car ce n’est pas la maladie qui les a rendus malheureux. Ils le sont pour des raisons bien plus profondes. Or, quand je suis sur scène, je rends les gens heureux et je sais maintenant que c’est ça le bonheur que je dois leur apporter. Je leur apporte une guérison d’âme. ”


Ce changement de vie a aussi débouché sur un déménagement vers la Polynésie en septembre 2020. Quelles en ont été les circonstances ?

“Nous avions des envies d’ailleurs. Mon compagnon, infectiologue, avait postulé dans plusieurs endroits, nous avions plusieurs options mais le lieu devait aussi permettre d’y vivre dans le domaine artistique. Je tenais également à continuer à me former, toujours dans mon idée de reconversion professionnelle. Et c’est là que sont intervenus ces hasards de la vie qui n’en sont pas : je suis tombé sur une vidéo YouTube, réalisée pendant le confinement, par Katia Sereno, une ancienne artiste du Cirque du Soleil installée à Moorea avec son compagnon Sébastien Stella depuis 5 ans. Ce qu’ils y ont créé, l’Espace Cirque et leur troupe d’événementiel Tahiti Show Concept, semblait incroyablement correspondre à mes attentes. Comme pour mieux m’indiquer le chemin, j’ai aussi rencontré lors d’un de mes derniers shows en Belgique une danseuse française tombée amoureuse en Polynésie de la danse tahitienne, au point de l’avoir exportée en Europe, où elle l’enseigne, et qui connaissait Sébastien et Katia… dont elle a pu me transmettre le contact. Toutes les conditions étaient réunies pour une incroyable rencontre. ”


Avant d’embrasser totalement la carrière d’artiste, Gaetano a travaillé en unité Covid pour aider mon compagnon, infectiologue, durant toute la durée de la « première vague ».

Ensuite, les choses se sont enchainées très vite…

“Dès notre installation, je les ai rejoints et ils m’ont transformé. De danseur, je suis devenu artiste acrobate aérien. Je me suis inscrit à un cours intermédiaire, mais 24 heures après Katia me recontactait pour me proposer d’intégrer leur troupe semi-professionnelle avant de m’offrir la possibilité de faire des spectacles avec eux, tout en continuant à me former dans le privé. Mon premier spectacle de cerceau aérien a eu lieu le 4 avril 2020. Aujourd’hui, je donne des cours au sein de leur école tout en participant à leurs shows. En parallèle, j’ai développé d’autres activités : des cours au sein de l’école de pole dance Aerial Pole Studio, des cours privés itinérants et des shows privés avec ma propre structure Tiziano Art, et même une activité de thérapeute en ortho-motricité pour adultes et enfants, qui marie toutes mes compétences, au Centre L’éveil des génies, à Papeete. ”

 

Si tu devais résumer ce que tu vis aujourd’hui, que dirais-tu ?

“Avec ces activités, j’ai vraiment trouvé le moyen de donner, mais en restant dans ma propre énergie, sans que les gens déversent (comme quand tu es médecin !) tout leur mal-être sur moi. Cela me permet d’être et de rester dans un don inépuisable d’énergie positive. Une expérience juste extraordinaire… C’est si important de trouver ce pour quoi on est fait. On a qu’une seule vie. Autant la vivre jusqu’au bout. ”



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