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Vénus, Tahiti et le début d’un nouveau monde

2019, année Tupai’a

© British Library.


« Un battement de papillon dans l’Atlantique peut provoquer un tsunami en Mer de Chine », dit un vieux proverbe. Mais sait-on qu’à l’échelle humaine, un événement que l’on pense totalement étranger à son monde peut totalement le bouleverser ? 1769, à Tahiti, en est l’un des exemples les plus parlants. Et pourtant sans doute l’un des moins connus.

Que se passait-il sur les doux rivages de Tahiti en 1530 ? Nul ne le sait. Or, à des milliers de kilomètres de là, un astronome polonais, Nicolas Copernic, terminait son œuvre majeure, que l’on peut résumer par un mot : l’héliocentrisme. Il affirmait alors ce n’était pas la Terre le centre de l’univers, mais le Soleil, la planète Terre tournant autour de ce dernier.


Nul besoin de vous proposer ici un cours d’astronomie. Sachez cependant que Copernic ne fut pas traité d’hérétique par l’Eglise. Sa théorie progressa partout en Europe, où les chercheurs la reconnurent et se l’approprièrent peu à peu. Au point que l’on finit par poser la question piège : quelle est la distance du Soleil à la Terre ? Un certain nombre d’astronomes et de mathématiciens cherchèrent bien évidemment à mesurer cette distance. De l’un à l’autre, les résultats étaient d’une telle variabilité que l’on se rendit à l’évidence : il fallait procéder autrement. Un épisode mis en lumière par un des plus brillants chercheurs de notre époque, Yuval Noah Harari*. Après avoir rendu hommage au livre brillant de Christophe Shigetomi sur les Poilus tahitiens de 1914, voici une nouvelle chronique de livre qui prend l’allure d’un cours d’histoire passionnant.


Le transit de Vénus

Il fallut attendre le 18e siècle pour que fut trouvé un moyen fiable de calculer cette distance : le transit de Vénus. En effet, régulièrement, c’est-à-dire à quelques 120 années de distance, cette planète passe directement entre la Terre et le Soleil.

On peut alors observer depuis la Terre, sous la forme d'un petit disque noir, Vénus se déplaçant devant le Soleil. La durée de ce transit, de quelques heures seulement, diffère selon qu’elle est vue depuis des points éloignés sur la surface de la Terre en raison de l’infime différence d’angle sous lequel on l’observe. Les scientifiques comprirent que si l’on effectuait plusieurs observations en même temps, mais depuis différents points sur Terre, autrement dit depuis des continents éloignés, un simple calcul trigonométrique suffirait à établir cette distance.

Cette démonstration eut lieu après 1750. Les astronomes prédirent que les transits suivants de Vénus se produiraient en 1761 et 1769. En 1761, les savants observèrent le transit depuis la Sibérie, l’Amérique du Nord, Madagascar et Le Cap en Afrique du Sud. Enfin, à l’approche de 1769, la communauté scientifique européenne envoya des savants jusque dans le nord du Canada, parfaitement hostile et la Californie, alors presque déserte.


L’expédition du Pacifique sud

A Londres, la Royal Society for the Improvement of Natural Knowledge (Société royale pour le progrès des connaissances naturelles) conclut que ce n’était pas suffisant : pour obtenir les résultats les plus précis, il était impératif d’envoyer un astronome dans le Pacifique Sud.


La Royal Society décida donc d’y envoyer l’éminent Charles Green (1734-1771) et ne ménagea aucun effort sur le plan financier. Or, le coût de l’opération était… astronomique, il n’y avait aucune raison de réduire l’expédition à cette seule observation de planète en transit. Green fut donc accompagné d’une équipe de huit autres savants de plusieurs disciplines sous la houlette des botanistes Joseph Banks et Daniel Solander, qui financèrent une partie de l’équipement scientifique de l’expédition. Le groupe comprenait aussi des artistes, Alexander Buchan (décédé avant d’arriver à Tahiti) et Sydney Parkinson, chargés de réaliser des dessins des terres nouvelles, des plantes, des animaux et des hommes que les savants ne manqueraient pas de trouver. Equipée des instruments scientifiques les plus avancés que Banks et la Royal Society purent acquérir, cette expédition fut placée sous la direction du lieutenant James Cook, géographe et ethnographe passionné, dont c’était le premier commandement. Le navire était le HMB Endeavour, His Majesty's Bark, le mot anglais « bark » ne fait pas référence à son gréement mais à la forme de sa coque.

Ce voyage allait durer 3 années.


L’arrivée à Tahiti

L’expédition quitta Londres le 25 août 1768. Après une escale en novembre 1768 à Rio de Janeiro, le cap Horn est passé dans d’excellentes conditions en janvier 1769. Trois mois plus tard, l’expédition arrive dans les eaux tahitiennes, visitées deux fois déjà par des Européens, l’Anglais Samuel Wallis en 1767 et le Français Louis-Antoine de Bougainville l’année suivante.

Le 05 avril 1769, Cook débarqua à Tahiti. Au nord de la baie de Matavai, sur une avancée de sable noir qui lui donnait une visibilité parfaite sur le ciel, il fit construire un observatoire en prévision du transit de Vénus, ayant pour but principal de mesurer la distance séparant cette dernière du Soleil.


L’ observation du transit de Vénus a bien lieu comme prévu mais il faut reconnaître que c’est un échec car, malgré de bonnes conditions météorologiques, la planète ressemble dans les instruments à une informe goutte noire à l’approche des bords du disque solaire et les mesures sont de ce fait rendues très imprécises.

Le manque de précision des résultats obtenus a marqué l’arrêt de ces observations.


Le voyage de Tupai’a

Cook ouvrit la lettre concernant la deuxième partie de sa mission, espérant probablement rencontrer plus de succès et la mener à bien : des « instructions secrètes » qui lui ordonnent de rechercher l’hypothétique Terra Australis qui doit faire contrepoids aux continents de l'hémisphère nord…

Il ne trouvera pas ce continent austral hypothétique, conformément à ses doutes concernant l’existence de cette terre.


Le 13 juillet, il quitta les eaux tahitiennes… mais pas seul. Joseph Banks avait en effet insisté pour qu’ils emmènent avec eux un tahu’a raromatai, de l’île sacré de Rai’atea dont il était exilé, Tupai’a. Plus que de la venue de Cook à Tahiti, 1769 est bien l’année de Tupai’a, astronome, navigateur, explorateur, au savoir exceptionnel. Ce deux-cent-cinquantenaire est son année.


Nous serons heureux de partager les quelques mois à venir avec ce prêtre navigateur qui, à la très grande surprise de Cook, avait une connaissance extraordinaire de l’océan du Pacifique sud.


Avec l’aide d’un Tahitien nommé Tupaia, il atteignit cette même année la Nouvelle-Zélande en tant que Second Européen à y avoir débarqué. Il cartographie l’intégralité des côtes du pays, et nomme un détroit séparant l’île du Sud de l’île du Nord après lui: le détroit de Cook.


Le navigateur change de cap pour l’ouest en direction de la Tasmanie (appelée à l’époque Terre de Van Diemen, après le nom du gouverneur général des Indes néerlandaises). Cook y découvrit la côte sud-est du continent australien, qu’il nomma Point Hicks. James Cook mit environ une année pour explorer le territoire allant de Botany Bay (Sydney) à Cooktown.

Cook reprend son expédition, toujours à bord de l’Endeavour, et s’engage dans le détroit de Torres. Sa traversée permit au navigateur de prouver que l’Australie et la Nouvelle-Guinée sont deux territoires distincts.

Il débarque sur l’île de la Possession le 22 août 1770, où il revendique la totalité du territoire côtier qu’il vient d’explorer, pour le compte de la Couronne Britannique. Il accoste par la suite à Batavia pour effectuer quelques réparations, capitale des Indes néerlandaises, mais également foyer de malaria. Sur la route du retour au pays, la maladie fut la cause de décès de plusieurs membres de son équipage, qui jusqu’ici avait échappé au scorbut grâce à des précautions alimentaires anticipées de James Cook.


Le 12 Juin 1771, James Cook et son équipage sont de retour en Grande-Bretagne.

Dès son retour, le navigateur est promu Capitaine de frégate (commander) et se voit chargé d’une seconde expédition (1772-1775) par les membres de la Royal Society, persuadés qu’il existe un continent austral plus grand que les estimations de Cook sur la taille de l’Australie.


La mission « Terra Australis Incognita » débute en 1772, et fut dotée de deux navires : Resolution, commandé par Cook, et Adventure, par Tobias Furneaux (officier de la Marine Royale, et premier homme à avoir effectué le tour du monde dans les deux sens), équipés d’un chronomètre capable de calculer précisément la longitude.


Il conclut son rapport d’expédition sur la non-existence de la terre australe.

A son retour, l’explorateur est promu captain (officier supérieur de la Marine Royale), devient membre de la Royal Society se voit décerner la médaille Copley (la plus ancienne et la plus prestigieuse récompense de la Royal Society), et se fait qualifier du « plus grand navigateur d’Europe » par le Parlement.

L’expédition de Cook rapporta d’énormes quantités de matériaux astronomiques, géographiques, météorologiques, botaniques, zoologiques et anthropologiques. Ses explorations apportèrent de grandes contributions à un certain nombre de disciplines et inspirèrent des générations de naturalistes et d’astronomes.


Cook comprit quel mal mystérieux touchait les marins : le scorbut. Il crut dans les essais du médecin britannique James Lind, qui avait administré des agrumes à des matelots malades. James Cook chargea à bord une grosse quantité de choucroute et ordonna à ses marins de consommer beauxoup de fruits et de légumes chaque fois qu’ils mettraient pied à terre. Le scorbut ne devait emporter aucun de ses marins.


Conclusion en fin d’année.

L’expédition de Cook eut cependant un autre résultat bien moins bénin. Non content d’être un marin et un géographe expérimenté, Cook était un officier de marine. Or, si la Royal Society finança une grande partie de l’expédition, c’est bien la Royal Navy qui fournit le navire avec 5 matelots et fusiliers marins bien armés, ainsi que des pièces d’artillerie, des mousquets, de la poudre à canon et autres armements. Qui pourrait d’ailleurs affirmer que l’expédition de Cook était une expédition scientifique protégée par la force des armes ou une expédition militaire qui aurait embarqué quelques hommes de science ? Sans doute les deux à la fois.


Selon la coutume de l’époque qui consistait à revendiquer pour son souverain toute nouvelle terre « découverte » par un Européen, Cook revendiqua pour son roi bon nombre d’îles et de terres. Wallis avait déjà revendiqué Tahiti, Cook se chargea de l’Australie et de Aotearoa (Nouvelle-Zélande). Son expédition jeta les bases de l’occupation britannique dans le sud-ouest du Pacifique. On connaît la suite : 90% de la population maorie d’origine disparut. Ce ne fut pas plus glorieux en Australie ou en Tasmanie, dont la population avait survécu à 10 000 ans de splendide isolement mais qui avait entièrement disparu à peine un siècle après le passage de Cook.


On parle moins de Tahiti : le passage de James Cook fut pourtant un bouleversement aussi, à plusieurs niveaux, même si ce premier voyage passa relativement inaperçu.

Ce fut notamment la rencontre avec Tupaia qui fut la plus marquante. Or, si l’expédition de James Cook rencontra un tel succès dans le Pacifique sud, nul doute que ce fut grâce à la connaissance extrêmement large de Tupaia, dont nous vous raconterons l’histoire tout au long de cette année. Car si 2019 doit être consacrée à un personnage extraordinaire, que ce soit à Tupaia, tahu’a de Raiatea.



Sapiens, une brève histoire de l’humanité. Albin Michel, 2015. Sans nul doute l’un de livres de chevet que nous devrions tous avoir… histoire de nous remettre en perspective par rapport à notre histoire, notre Terre, notre futur.

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