Matehau et le greffage des agrumes
C’est une belle histoire que cette rencontre, face à la digue de Mataiea, au PK 44 et quelque. L’histoire d’un jeune licencié en chimie, qui a souhaité reprendre le fa’a’apu familial et le développer, fort de ses lectures et de ses études…
L’histoire d’un jeune Polynésien qui a une tendresse particulière pour les agrumes et de l’or dans les doigts.
Comme nombre de jeunes de son âge, Matehau Lui Mu You est parti suivre des études de chimie en métropole. Sa licence en poche, cet amoureux du fa’a’apu familial n’a qu’une idée en tête : revenir au fenua et cultiver ses plantes de prédilection, les arbres fruitiers locaux bien sûr (papayer, avocatier, manguier) et les cultures ornementales, mais surtout, sa passion depuis 2015, les agrumes. Oranges, pamplemousses, mandarines, mangoustan, pomme cannelle, goyave, citronniers de toutes tailles et de toutes espèces, il les cultive tous.
Matehau a été remarqué par de grands chefs de Tahiti, Teao de l’Umete pour le plus proche, qui aime lui acheter ses agrumes, « dont la texture et le goût qui en font de véritables atouts dans les préparations en cuisine ». Ses productions sont non traitées, totalement bio.
Le terrain de Matehau est ainsi parsemé d’œillets d’Inde, d’ail et d’oignons verts, de basilic, de rea tahiti et de rea tinito, toutes ces plantes qui repoussent bon nombre d’attaques sanitaires. Le seul traitement utilisé est l’huile blanche, contre les attaques d’insectes qui fripent les feuilles et font mourir un plant.
Mais c’est un traitement autorisé dans les jardins et vergers bio.
Le greffage efficace
Faute d’analyse des sols, il ignore si sa terre est réellement bonne pour la culture ou s’il a la main verte ; en attendant, régulièrement, il prépare consciencieusement son compost : trois brouettes de bourre de coco, deux brouettes d’herbe, une brouette d’algues ramassées au port de Faratea et le fameux EM, « micro-organismes efficaces » acheté à Araka pour maturer le compost. Ensuite, il suffit de tout mélanger et retourner souvent, durant 3-4 mois, avant d’obtenir un magnifique compost naturel.
Mais le bio n’est pas le seul atout de Matehau. Il est un champion des agrumes parce qu’il les récolte plus vite, en raison du greffage, sa technique de multiplication par excellence. “ D’autres préfèrent la marcotte, la bouture, nous on privilégie plutôt le greffage, plus résistant aux attaques et maladies ”. Un “ nous ” toujours plein d’humilité, qui cache un véritable savoir-faire. Car ce qu’il ne dit pas, c’est que c’est autrement plus complexe que les autres techniques.
La qualité du greffage va dépendre du porteur (ou porte-greffe) : c’est lui qui est résistant aux maladies, notamment la tristeza, phytovirus des agrumes répandu sur Tahiti et partout dans le monde. Le porteur, (il en utilise 4 ou 5 différents, que ce soit Flying Dragon, Cariso, Poncirus) sera plus résistant à ces attaques Ensuite, Matehau choisit le porteur adapté en fonction du greffon que l’on souhaite implanter dessus. Et ça marche.
Apprendre pour comprendre
Ce colosse aimable, au rythme paisible, analyse d’abord, mesure ses déplacements entre les centaines de pots plantés. Lui qui utilise son temps libre à lire les auteurs anglo-saxons spécialistes des techniques ou de l’agriculture naturelle économise les mouvements inutiles. Car le greffage exige de la précision et des gestes sûrs. Son papa, un ancien du SDR, lui a appris toutes les bases qu’il utilise. Ses lectures lui enseignent aujourd’hui les compléments de savoir nécessaires.
Lesquels ?
Cela dépend. Ainsi pour les ramboutans : “ La plupart des gens font une greffe par approche (variante de la greffe en placage, Ndlr). Mais si l’arbre fait 20 mètres de haut, tu ne peux pas approcher un autre pied à 20 m. Mais si tu veux vraiment cette variété, comment faire ? ”. Lui a trouvé une technique intéressante, en fente, tout en contournant le problème du bois sec. Il sourit : “ Il faut chercher, essayer, refaire, mais ça marche. Le pourquoi et le comment, ça c’est un peu mon secret ”.
Le véritable intérêt du greffage, qu’il faudrait développer à Tahiti, avec des profils comme celui de Matehau, est l’énorme gain de temps sur la fructification. Ainsi sur une certaine espèce de citrons, rares et précieux, qu’il a greffés : “ Mon voisin en a mis en terre il y a 7 ans et il n’a pas encore de fruits. Les miens, je les ai greffés il y a 18 mois et je récolterai des fruits mûrs dans quelques semaines…”. Grand avantage, auquel on peut ajouter l’usage de plants porteurs qui résistent à la plupart des maladies et pour lesquelles il ne faut plus de traitement. Une autre façon de cultiver et, bien sûr, de manger sain.
La fiabilité pour gagner du temps
La variété qu’il va reproduire pour Tama’a ! est un citrus volkameriana (très résistant aux attaques, champignon mal secco notamment). Sa technique s’appelle la greffe en fente, relativement “facile à reproduire” et qu’il utilise sur la plupart de ses arbres fruitiers. Elle assure plutôt bien la prise du greffon.
Il enlève les feuilles (pour éviter le stress hydrique) de la partie sélectionnée sur des pousses d'extrémité, tout en conservant le pétiole, puis l’habille : prépare la partie à encastrer en V, dans la zone sélectionnée du porte-greffe, où une fente très droite et bien au centre du rameau est réalisée. « C’est beaucoup plus fiable que le marcottage et tu peux en faire beaucoup. Le marcottage, il faut préparer la branche, attendre longtemps que les racines se développent. Avec le greffage, tu as déjà la racine, sur un porteur. Au bout de 2 semaines environ, le greffon part ». Il pratique parfois aussi la technique de l’écusson, mais pour d’autres plantes.
Dans son petit seau, des rubans “spéciale greffe” pour maintenir le greffon. Puis, un pochon en plastique non perforé pour conserver l’humidité dedans, pour ne pas que le greffon sèche.
La nature a tout prévu
La montagne se couvre de ses nuées sombres dont on sait qu’elles ne menacent personne, sinon quelques sommets qui luisent de pluies et de soleil. Un coq chante au loin, sans même savoir pourquoi. Le chien bâille à l’ombre du hangar. La journée s’écoule, au rythme des feuilles qui poussent et des fruits qui, le soir, embaument l’air de parfums sucrés enchanteurs.
Matehau a terminé ses greffages. Même les tomates y sont passées. Sur des pieds d’aubergine sauvage. On les considère comme de mauvaises herbes, récalcitrantes en plus, avec leurs épines, à se faire arracher des haies, des murets de séparation et des bas-côtés des chemins. Sauf que… ces aubergines sauvages (Solanum torvum, également appelées
aubergines pois) sont très résistantes, alors que la tomate est fragile : pluie, bactérioses, champignons, etc. Et ça tient beaucoup mieux avec l’aubergine sauvage, puisqu’ils sont de la même famille. Ce sont des tests qu’il a mis en place. Derrière, une tomate non greffée ne tient pas. D’un coin de l’œil, il confie : “ Tu vois ? Quand la nature a tout prévu… ”.
Le seul point noir, finalement, c’est l’étroitesse de sa pépinière, 2000 m2 environ.
« Nos terres familiales indivises s’étendaient auparavant de uta à tai, de la montagne à la mer comme on dit ici. Chacun a récupéré sa parcelle, mais il nous faudrait un vrai terrain. Nous avons rempli le dossier pour avoir un prêt du territoire, mais il a été recalé, sans qu’on en connaisse la raison…».
Les Territoriales à venir empêcheront sans doute que ce dossier soit étudié avant les élections, mais il nous paraît sensé de donner sa chance à ce jeune de 29 ans, dont les techniques éprouvées s’apparentent à une agriculture naturelle, suffisamment élaborée pour éviter l’emploi de traitements chimiques et qui plus est économiquement viable ? Nous aurons plaisir à suivre ce dossier.
À retrouver dans le magazine Tama’a n°02
(lien vers le site https://www.tahitimagazines.com/)
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