Hotu, le 1er Gin du Fenua
- 8 nov. 2024
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Fin 2023, après que le projet a mûri durant trois années environ, Hotu, le premier gin polynésien né à Moorea, a été présenté au public. Succès immédiat !
La volonté dès le départ, fut de donner à ce gin une identité polynésienne. Les baies de genièvre ne poussant pas en Polynésie, c’est la seule matière première importée. Pour le reste, les terroirs de nos îles ont fourni les secrets de leurs arômes et de leurs saveurs.
© Texte : Agence SMILE - Photos : Manutea

Pour créer un gin, la législation impose le marqueur « baie de genévrier ». Ensuite, on peut mélanger autant d’ingrédients que l’on
souhaite. L’équipe de Manutea s’est déplacée deux fois en France, pour visiter des distilleries qui fabriquent du gin, notamment la
distillerie de Provence à Forcalquier (gin XII), en Alsace (Miclo) et une fois en Allemagne.
Manutea travaille avec un herboriste en France. C’est ainsi que l’équipe de Moorea a fait venir coriandre, cardamome, racine d’iris, d’angélique que leur fournisseur avait proposées. Ce sont des matières premières qu’on retrouve de manière assez commune dans le
gin. Des tests ont alors été menés avec ces matières premières, enrichies par l’introduction de botanique locale, principalement des agrumes, du miri (basilic) et de la citronnelle. Au fur et à mesure des essais labo – il y a un côté très parfumerie dans le gin : macération dans de l’eau de vie à 45°, distillation en alambic, avec l’agitateur, et une macération qui va durer 24h selon les matières (il n’y a pas les mêmes quantités d’ingrédients dans ces mélanges). Or, au fur et à mesure des essais, tous les ingrédients d’importation ont été retirés, pour ne garder dans la recette que des matières premières locales (hors baies de genièvre).
Des batchs à taille humaine
Une fois consolidés recette et process, avec 9 ingrédients polynésiens, on a fait un premier batch de gin hotu, avec une distillation le 2 juillet 2023. Comme on le fait pour nos rhums agricoles, l’eau de vie est ensuite reposée en cuve inox, avec une réduction lente, un brassage, une aération pendant 3 mois. Cela permettait d’intégrer l’alcool, de donner de la souplesse et du gras, de retirer les alcools volatiles un peu agressifs. Hotu a été lancé en octobre 2023 avec 1200 bouteilles qu’on a vendues avant la fin de l’année 2023. Ils avaient la chance d’avoir deux ambassadeurs de chez Monin, dont un mixologue, Ils ont tourné avec les bouteilles test, alors que le produit n’était pas encore lancé, sur Bora, Taha’a, les différents hôtels de la place. Cela a créé un pré-lancement très positif. On ne pensait pas que les ventes iraient aussi vite. Donc là, on a un second batch de 2000 bouteilles qui arrive. On pourra pas faire plus que 2000 de toute façon. Donc l’idée c’est de répéter des batchs de 2000 bouteilles, à chaque distillation.

Les ingrédients du gin Hotu : Les baies de genévrier, marqueur obligatoire. Le bouquet d’agrumes que l’on sent au premier nez est composé de citron vert, pamplemousse et combawa. Le fruit de la passion apporte un complément aux notes citronnées.
Puis on bascule sur la partie plantes, avec la citronnelle, le miri (basilic), le tiare Tahiti pour
le petit côté capiteux. Sur la finale, du curcuma et du gingembre, le tout mélangé avec une
eau de vie neutre.

Plusieurs déclinaisons
Les nouveaux batchs présentent sur leur étiquette le tracé de la baie de ‘Opunohu. C’est la première fois que Manutea utilise cet effet loupe, avec un décor dans le fond, pour ses bouteilles. La première version a semblé un peu trop chargée à l’équipe, qui ne manque pas de projet pour son gin.
Tout d’abord, une version Old Tom va être développée. Old Tom est un gin élevé dans un fût de bourbon. Cette finition apporte une coloration et un goût un peu différent. Cela atténue un peu le côté «parfumerie», mais on reste quand même dans l’univers du Gin. Manutea regarde aussi la recette des Autumn Gin, dont les Anglais sont friands, avec des ingrédients saisonniers. Citadel notamment en a produit.
Ces finitions apportent un côté qui colle bien à l’esprit de Noël, un peu pudding, ces notions de caramel, le côté torréfié.
Cette version sera embouteillée en fin d’année 2024. Manutea a le projet de proposer à chaque fin d’année un « gin de Noël » avec ce vieillissement d’un an en fûts, pour offrir aux amateurs une édition limitée de Noël. Ce sera de petits batchs d’environ 350 bouteilles : un cadeau idéal sous le sapin.
Des agrumes & des fleurs
Si Hotu dans les versions proposées fonctionne, Manutea verra à proposer une version pink avec notamment de l’hibiscus, pour aller chercher un petit côté rosé, plus floral du coup, plus capiteux, moins agrumé. L’équipe ne manque pas d’idées de déclinaisons, même d’une seconde recette sous réserve que les volumes du premier Hotu continuent de bien fonctionner.
La question de l’assemblage
Avez-vous fait un peu le tour des fleurs et plantes qui peuvent dessiner Hotu gin ?
« Nous n’avons pas fait le tour du tout. On n’a pas encore testé d’autres fleurs, d’autres plantes potentielles. Mais encore une fois, c’est complètement illimité dans le choix. À un moment donné, on a parlé de vanille, pour le côté capiteux.
Je regarde aussi de temps en temps le livre de Paul Pétard, Plantes utiles de Polynésie et rā’au Tahiti. Je regarde dedans les descriptions botaniques des plantes, parce que parfois on peut être surpris, il peut y avoir des choses qui sont aromatiquement séduisantes mais pas forcément très bonnes pour la santé, ou qui peuvent déclencher des effets secondaires indésirables.
Même si les plantes sont distillées, ce n’est pas l’objectif. Il nous manque bien sûr l’inventaire de tous les rā’au traditionnels des anciens, qui connaissaient toutes les plantes endémiques puis indigènes (importées mais qui font partie du patrimoine polynésien), les fruits et les fleurs, et qui leur attribuaient des propriétés médicinales précises. Ce serait un travail passionnant à mener, parce qu’au départ, le gin avait cette connotation médicinale, d’abord antiseptique, puis en alcool associé avec la quinquina (source
de quinine) en rendant son absorption moins amère, pour lutter notamment contre le paludisme.
Une réalité économique
A notre question : « Le gin Hotu sera-t-il plus cher que les autres gins ? » Manutea prend l’exemple des rhums : pourquoi une telle différence de prix entre les rhums polynésiens et, par exemple, les rhums de Martinique ou de Guadeloupe ? Un rhum blanc Manutea à 50 degrés sort à 50 euros chez un caviste quand tous leurs confrères martiniquais, guadeloupéens sont eux, entre 15 et 20 euros en grande distribution.

Drèches d’ananas, exemple de déchet valorisable
Les drèches d’ananas sont des résidus solides qui restent après l’extraction du jus ou d’autres parties comestibles de l’ananas. Elles sont principalement constituées de fibres, de pulpe, de peau et parfois de graines de l’ananas. Voici quelques utilisations courantes des drèches d’ananas :
ALIMENTATION ANIMALE :
Les drèches d’ananas sont souvent utilisées comme alimentation pour le bétail en raison de leur teneur en fibres et en nutriments.
COMPOSTAGE :
Elles peuvent être ajoutées au compost pour enrichir le sol en matière organique et en nutriments.
BIOGAZ :
Les drèches d’ananas peuvent être utilisées dans des installations de biogaz pour produire de l’énergie renouvelable.
INDUSTRIE ALIMENTAIRE :
Dans certains cas, les drèches peuvent être utilisées pour produire des farines riches en fibres ou comme ingrédient dans des produits alimentaires tels que les barres de céréales.
COSMÉTIQUES ET PRODUITS DE SOIN :
Les résidus peuvent également être utilisés dans la fabrication de produits cosmétiques pour leurs propriétés exfoliantes et nutritives.

« Il y a le volume d’une part, mais surtout les aides. Dans les DROM (les Départements d’outre-mer), la filière canne à sucre est subventionnée, ici (Tahiti est une Collectivité d’outre-mer) pas assez, sinon les aides à la plantation et l’accompagnement à la certification (DAG). Les subventions obtenues auprès du syndicat permettent de financer l’Indication géographique, reconnaissance de qualité et d’origine. L’organisme Certipaq qui va mettre en place le plan de contrôle (recensement et relevés topographiques de toutes les parcelles et de toutes les variétés de cannes) a un coût. Les aides de la DAG permettent de financer cela. L’État subventionne le syndicat à hauteur de 50 000 €, ce qui permet de financer nos actions, notamment nos missions de développement à l’export. Une aide de l’État (Direction générale de l’Outre-Mer) enfin vient compenser les taxes perçues sur les rhums polynésiens qui pénètrent le marché européen, considérés comme des productions de pays tiers. Fiscalement, les rhums polynésiens ne sont pas reconnus comme une production française. Nos confrères antillais payent donc deux fois moins de taxes que nous. Cela leur donne un avantage comparatif ».
Et le rhum dans tout cela ?
Combien il faudrait idéalement d’hectares de canne à sucre pour répondre à l’ensemble des marchés et faire baisser les prix de façon conséquente ?
« On estime aujourd’hui qu’il doit y avoir en tout et pour tout 80 hectares plantés en canne à sucre. À partir de 500 hectares, on fait des économies d’échelle. Ce n’est pas impossible qu’il y ait 100 hectares dès 2025, ce qui permettrait de faire 500 000 bouteilles en Polynésie. 300 hectares, 1,5 million de bouteilles.
Peut-on viser 1 000 hectares en 2035 ?
Aujourd’hui en Martinique, c’est 6 000 hectares de canne à sucre, 9 000 à la Guadeloupe et 22 000 à La Réunion. La marge de progression reste conséquente. Ce qui est intéressant pour le développement durable. Dans les Caraïbes ou à la Réunion, ils sont en énergie propre à 100% depuis 2024, grâce à la bagasse » (déchets de canne à sucre, Ndlr).
Bien vu pour l'environnement :
Probablement au premier trimestre 2025 Manutea va mettre en place une cuve en inox de 30 ou 50 litres de rhum blanc, avec un petit robinet sur le bar de la boutique. Les gens pourront revenir avec leurs bouteilles Manutea en verre et la remplir. Ils ne paieront donc plus le verre, qui impacte indéniablement le prix du rhum (augmentation de plus de 20% sur le verre depuis 2019). Il est évident que dans cette démarche écologique, les bouteilles en plastique ne seront pas autorisées.
Les bouteilles sont jusqu’à présent de 70 cl. Avec les nouvelles plantations (10 hectares récoltés en 2023, 12 hectares plantés, et un objectif de 20 hectares*), les récoltes vont permettre d’augmenter la production et de proposer aux clients, touristes notamment, des petits contenants.
* Difficile d’aller plus loin sur Moorea, d’autres îles sont étudiées, comme Tahiti, Raiatea, ou aux Marquises…
Manutea est encore loin de pouvoir faire tourner sa structure en énergie biosourcée.
Mais Etienne Houot parle plutôt d’unités de méthanisation pour revaloriser leurs déchets verts, comme leurs vinasses de distillations. Des unités de méthanisation existent en métropole, et apportent un confort d’autonomie en énergie. Ce sont des choses intéressantes à mettre en place au fenua.

Vaimana, la première vodka du fenua.
Au mois de mars 2024, Manutea a lancé Vaimana, une vodka bio à partir de drèches* d’ananas bio, encore gorgées de sucre et qui sont mises en fermentation.
Avec cette réalisation, Manutea boucle ce qu’avait fait Miclo il y a 40 ans, puisque le fondateur de Rotui avait alors lancé une eau de vie d’ananas. La vodka a l’avantage de pouvoir être fabriquée à partir de n’importe quelle matière première agricole.
Quand elle est issue de céréales ou de pommes de terre, ce n’est généralement pas mentionné sur l’étiquette. Mais dès qu’elle est issue d’une autre matière agricole, il faut indiquer : « vodka issue de… »
Côté dégustation, Vaimana reste une vodka neutre, mais avec une subtile pointe d’ananas, volontairement subtile. Le souhait de Manutea est qu’un barman de Polynésie ou dans le monde puisse la travailler comme n’importe quelle autre vodka et qu’il n’y ait pas une exubérance autour de l’ananas.

La vodka est une fermentation d’une matière première agricole (ici les drèches d’ananas) puis elle est distillée. Certaines marques internationales parfois célèbres font des doubles ou triples distillations. Il y
a un petit côté « noble » dans ce process. Certaines marques poussent même jusqu’à 10 distillations ou plus.
Cela neutralise complètement les arômes de vodka de céréales, qui sont très neutres. Par-là, ces marques cherchent à obtenir un côté souple, gras en bouche, un peu comme un bon whisky. Mais cela a un coût exorbitant en termes d’énergie et ce n’était pas l’objectif de Manutea. Ici, le principe est une seule distillation et la conservation de cette petite pointe aromatique. Le liquide obtenu des drèches est
distillé dans l’ancien alambic de Manutea (11 plateaux, contre 4 pour le nouvel alambic), ce qui permet d’avoir un résultat qui s’approche de la neutralité souhaitée, tout en restant sur une simple passe pour ne pas complètement gommer la petite note d’ananas.
Des blind tests ont été menés avec des vodkas achetées sur le marché, justement pour voir s’il y avait une différence. Il y a bien cet arôme d’ananas qui se distingue, ce qui donne tout son intérêt à Vaimana.
