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Qui se souvient des arbres ?

Recherches : Kauri Museum - ville de Matahoke - Northland - NZ

Texte et photos : Patrick Seurot


En Nouvelle-Zélande, Aotearoa pour les intimes du Pacifique sud, nous adorons regarder gambader les moutons dans leurs vastes prairies. En fait, ils ne sont pas très beaux, sinon quand ils sont de doux agneaux aux longs cils. A défaut d’en admirer l’esthétique, nous aimons les deviner, taches blanches innombrables dans les trèfles verts du pays des Māoris. Un jour, nous avons voulu savoir s’ils avaient toujours été là. Entendez par là, quand ils ont été importés.



Tout a commencé avec les colons anglais, à la veille (1808 selon les premiers chiffres) et au lendemain du traité de Waitangi de 1840, qui signa la paix entre les Britanniques et les chefs de la Confédération des Tribus unies de Aotearoa, future Nouvelle-Zélande, ainsi que d'autres chefs tribaux māoris. Dès 1858, on comptait 1,5 millions de têtes. Plus de 35 millions aujourd’hui. Evidemment, pour cela, il fallut les nourrir : mais comment trouver des pâturages sur une terre qui était recouverte, hors zones montagneuses, par 1,2 millions d’hectares de forêts humides subtropicales ? Vous l’aurez compris : en ratiboisant tout ce qui était plus haut qu’une fougère.


Cela tombait bien, les constructions d’alors étaient en bois.

Et du bois, pour les espars des navires comme les charpentes des maisons, on en avait bien besoin.

La forêt primaire comptait nombre de kauri, taraire, kohekohe, towai, manoao, toatoa, tanekaha ou rata. Or, les kauris étaient droits comme des mâts et hauts comme des tours. De plus, la sève de ces géants des forêts, la gomme, était belle comme de l’ambre : quand on la découvrit, on n’arrêta plus de l’exploiter. La résine jeune du kauri était récoltée pour servir d'allume-feu et celle tombée au pied des arbres ou fossilisée (dite copal) fut utilisée pour produire des vernis d'ébénisterie ou en joaillerie.



La triste histoire des kauris naît à ce moment-là.

Les Māoris connaissaient bien l’Agathis australis, conifère communément appelé kauri.

Cette espèce, si elle n'est pas la plus haute du monde, est en Nouvelle-Zélande celle qui forme les plus gros troncs, comparables en diamètre à ceux des séquoias. Un Kauri de 800 ans est un jeune homme (ou une jeune femme) qui quitte l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. Sa vie peut aller jusqu’à plus de 2000 ans.

Au crépuscule de ce règne qui a vu tant d’arbres et d’hommes autour de lui vivre et mourir, le kauri peut atteindre une taille de 50 mètres de haut pour une circonférence de 10 mètres. Soit un immeuble de 17 étages !


Les Māoris coupaient de jeunes kauris, après une cérémonie d’hommages et de prières, pour les utiliser dans la construction de leurs temples ou de leurs waka. Les colons, eux, priaient pour que leurs courbatures les quittent avant leur travail du lendemain : à partir de 1820 et pendant plus d’un siècle, ils taillèrent, à la hache tout d’abord, puis avec des machines qu’ils inventèrent, et soumirent ces troncs immenses jusqu’alors invaincus.

Peu à peu, la forêt de l’île du nord laissa sa place à des pâtures à perte de vue.


La grande et belle forêt primaire qui couvrait 12 000 km2 avant l’arrivée des colons fut décimée : en 1900, seuls 10% seulement de ces géants étaient encore debout.

Les Māoris avaient un respect mêlé de crainte pour ces arbres.

Pour eux, ils étaient les souverains d’un monde dont les hommes ne comprenaient pas tout. Ces grands arbres parlaient avec leurs longs bras de branches et de feuilles, se querellaient avec les orages, se battaient avec les éclairs, coupaient la violence des vents, apportaient l’ombre nécessaire aux clans quand la chaleur était trop forte, abritaient la faune et développaient la flore à leur pied. ils étaient les dieux d’un monde aujourd’hui disparu. Mais ils en portent encore les titres.



A Waipoua, dans le nord de l’île du nord, quand la route serpente entre ces arbres géants en direction des confins de la terre, vers Cape Reinga, trônent les derniers rois des forêts du Pacifique sud. Il ne faut qu’une courte promenade à l’ombre des fougères pour tomber sur le Seigneur de la forêt : Tāne Mahuta. Avec 13,77 m de circonférence et 51,5 m de haut, il coupe le souffle. Un silence presque religieux règne alentour, tandis

qu’il semble veillé par les arbres tout autour. Pour les Māoris, Tāne Mahuta est né de l’amour de Ranginui, le père du ciel et de Papatūānuku, la terre mère, pour permettre à l’espace et à la lumière de fleurir à la vie, pour l’éternité.


Certains lui donnent plus de 2000 ans : cela signifie qu’il régnait déjà sur Aotearoa avant l’arrivée des Māoris et bien avant celle des Européens.


Dans ce qu’il reste de l’ancienne forêt primaire, on ne peut manquer d’aller rendre hommage au Père de la Forêt, Te Matua Ngahere, qui affiche encore fièrement ses plus de 3000 ans et ses 16,6 m de circonférence.

Car c’est bien de cela dont il s’agit finalement : un hommage, presque une prière des humains insignifiants que nous sommes à ces géants de la nature. Combien de visiteurs semblent illuminés par ces ancêtres ?

Combien se sentent rassérénés, quand d’autres pleurent la tristesse d’un monde disparu ?


Il a fallu attendre 1952 pour que les 9 105 hectares de la forêt de Waipoua soient enfin sanctuarisés.

C’était d’autant plus important que cette forêt est essentielle dans la protection de la faune menacée : le pigeon des bois, appelé ici Kukupa, mais aussi les mésange, tui, fauvette grise, coucou brillant, martin-pêcheur et même l'escargot du Kauri, qui se délecte de tous les invertébrés du coin.


Depuis 1987, c’est le département de conservation qui garde cette forêt, avec les membres de la tribu Roroa.

Ils veillent notamment à ce que les touristes n’apportent aucun virus qui pourrait menacer

ces géants. En effet, le dépérissement de nombreux kauris, à cause d'un phytophage a été découvert dans les années 1970. Cette maladie cause d’abord le jaunissement des feuilles et, à terme la mort de branches puis celle de l'arbre. Elle peut être propagée

par les chaussures des randonneurs ou par des mammifères comme les cochons sauvages.

 

Ne passez pas en Nouvelle-Zélande sans aller voir les kauris. Même les plus jeunes sont fascinants. Tous nous interrogent sur notre rapport actuel à la nature, au plus grand que nous, et au temps qui passe à une échelle qui n’est pas la nôtre.


Les 10 meilleurs endroits pour admirer les kauris

• Waipoua Forest, Kauri Coast

• Trounson Kauri Park, Kauri Coast

• Puketi Forest, Bay of Islands

• The A. H. Reed Kauri Park, Whangarei

• Tane Moana Walkway, Tutukaka Coast

• Kauri Cove, Coromandel

• Twin Kauri Scenic Reserve, Coromandel

• Cascade Kauri Regional Park, Auckland

• Great Barrier Forest, Great Barrier Island

• Hunua Ranges, Auckland



InstanTANE #08


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