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Le cocotier des temps immémoriaux jusqu'à nos jours

Aujourd’hui, le cocotier et ses fruits sont d’usage courant dans la société, que ce soit pour boire, accompagner les repas ou pour l’habitat, la confection d’objets artisanaux, pour chasser les moustiques ou allumer un feu ... Mais cet arbre a une histoire très particulière dans les îles du Pacifique insulaire.


L’une des cocoteraies de Mataiva


Frédéric Torrente, anthropologue

Dans les mythes d’origine, partout dans le Pacifique, le cocotier est issu de la tête de Tuna, l’anguille mythique géante, décapitée par le dieu Maui. Cette analogie du cocotier à l’anguille, symbole de la migration, en dit long sur son caractère voyageur. En effet, les premiers cocotiers ayant poussé sur les îles encore désertes d’hommes sont arrivés au gré des courants marins et par la mer, tout comme l’anguille, et sont arrivés à terre. Puis, lors des migrations polynésiennes, certaines variétés de cocotiers domestiquées par les Proto-Polynésiens, sélectionnées pour leurs différents usages, ont été emmenées sur les pirogues pour les transplanter dans les îles à peupler. Là aussi, l’analogie prend tout son sens. Le cocotier qui, comme l’anguille a voyagé, est le symbole de processus migratoires.


Cocos nucifera, représentation botanique


Le COCOtier qui, comme l’anguille a voyagé, est le symbole de processus migratoires.

Procession du deuilleur lors de l’enterrement d’un ari’i. Le cocotier est omniprésent sur les premières représentations européennes de la Polynésie, au 18e siècle (ici 1778).


L’origine de l’univers

Dans un mythe cosmogonique recueilli par le Révérend William W. Gill à Pukapuka aux Iles Cook (dans la 2e moitié du XIX e siècle), c’est une noix de coco qui est censée contenir l’uni- vers des origines, qui se développera à partir du germe qu’elle contient. Après avoir éclaté et laissé entrer la lumière solaire, le monde apparaîtra avec la vie.

Ce lien du cocotier avec les commencements est exprimé par son nom « niu » qui signifie le cocotier mais aussi la fondation d’un marae. Ce nom a voyagé, tout comme les noix germées, à travers le Pacifique insulaire, sur les pirogues, diffusant ainsi des variétés utilisées par les Polynésiens, soigneusement sélection- nés sur des siècles d’utilisation, y compris pour leur usage médicinal.

La linguistique a permis de connaître avec précision les processus de diffusion du terme proto-polynésien niu qui faisait donc partie du stock des premiers migrants du Pacifique insulaire. En témoignent les nombreux objets sculptés à partir du cocotier, répartis dans les musées du monde entier. D’autre part, la fibre de bourre de coco appelée ‘āha (kaha), le sennit des anglo-saxons, rentre dans la com- position de nombreux objets religieux de la Polynésie ancestrale (to’o, kaha...). Le lexique relatif au cocotier et à ses fruits ou feuilles est très riche dans les langues polynésiennes, qu’il s’agisse de la nomenclature précise des espèces, des différents stades de croissance de ses noix, de ses diverses parties, ou des technologies ou objets qui lui sont liées. On peut se reporter à l’ouvrage bilingue Naku teie Hakari, Le cocotier aux Tuamotu, édité par l’association Te reo te Tuāmotu, pour appréhender ses différents usages ou ses représentations culturelles contemporaines, des centaines d’usages qu’il n’est pas possible de détailler ici.


C’est une noix de COCO qui est censée contenir l’univers des origines, qui se développera à partir du germe qu’elle contient

Le cocotier est présent dans toutes les propriétés des îles hautes.


Depuis des temps immémoriaux, le cocotier (niu, ha’ari, hakari) a constitué l’arbre providentiel aux milles usages. Tout d’abord, il assura le premier besoin de l’homme qui est de boire. Le lait de coco obtenu en râpant la pulpe des noix et en exprimant le liquide ne date pas d’aujourd’hui. Il a toujours été utilisé pour accompagner les aliments consommés crus ou cuits. Si, dans les îles hautes, le fruit de l’arbre à pain était la principale nourriture végétale (dont le cycle a déterminé l’élaboration de calendriers précis), sur les atolls, le cocotier, le pia (tacca Leontopetaloides) et le pandanus représentaient une source de nourriture non négligeable.


Du cocotier traditionnel...

Lors des premiers contacts avec les navigateurs européens dans les atolls, ce sont les noix de coco qui servent de première monnaie d’échange. Dès l’intensification des visites des navires occidentaux, c’est l’huile de coco qui la remplacera. Le développement des plantations de cocotiers est initié dès 1850 par les missionnaires de la London Missionary Society, puis par les missionnaires catholiques. Les zones nord et ouest des Tuamotu possédaient déjà des milliers de cocotiers vers 1850, avant que les catholiques décident d’étendre la plantation dans l’est de l’archipel.

Les gens de l’atoll de ‘Anaa revendiquent le fait d’avoir introduit le cocotier aux Tuamotu, à partir des îles hautes, et d’être à l’origine de sa diffusion dans l’archipel, en l’utilisant comme un prétexte pour légitimer leur hégémonie sur l’archipel aux temps des guerres Parata (du XVIIIe siècle jusqu’en 1819). C’est dans le district de Tekahora de l’île de ’Anaa qu’est censé avoir été introduit le premier cocotier des Tuamotu. En 1854, ‘Anaa est d’ailleurs le premier atoll à exporter 130 tonnes d’huile de coco. Les cocoteraies sont placées sous rāhui ou restrictions temporaires, fonctionnant selon un système de mise en jachère, couplé à l’exploitation du lagon. Ainsi, les habitants tournaient saisonnièrement dans plusieurs secteurs de l’atoll. Les plantations placées sous rāhui avaient une marque distinctive appelée pūtiki, placée autour d’un cocotier pour marquer l’interdit (cf. dessin de Paea a Avehe).


En 1854, ‘Anaa est d’ailleurs le premier atoll à exporter 130 tonnes d’huile de coco

De 1860 à 1870, ils y font transporter de la terre arable et des cocos germés, mais le cyclone de 1878 mit à mal ces jeunes plantations. D’autres cocoteraient se développent à Fakahina et Rangiroa. Ce n’est véritablement qu’à partir de 1880, avec la création des Établissements Français de l’Océanie, que débutèrent les exportations du coprah.


Marquage d’une plantation placée sous restriction temporaire (rahui) sur l’atoll de Anaa en 1890 (Paea a Avehe, Manuscrit Stimson, 1930)


A gauche : Le cocotier est présent dans toutes les propriétés des îles hautes.

Au milieu : Les cocotiers n’étaient pas présents dans tous les atolls, surtout dans l’est des Tuamotu, avant que les missionnaires ne fassent planter les cocoteraies en remplacement de la forêt primaire. Comme ici à Vairaatea ou à Nukutavake.

A droite : Cocotiers dessinés par le grand prêtre Tupaia


... À l’exploitation du coprah

Au début 1900, la cocoteraie est présente sur la quasi-totalité des atolls, transformant ainsi à jamais leur paysage originel. Aujourd’hui, la végétation primaire qui ne subsiste qu’en isolats dans quelques rares atolls. Ces cocoteraies ont été ravagées par les cyclones de 1903 et 1906. Il fallut à nouveau replanter. A l’inverse des plantations coloniales des îles hautes (coton, canne à sucre, café...), œuvre et propriété de familles européennes et « demies », l’exploitation de la cocoteraie aux Tuamotu resta principalement voire purement polynésienne, même si les sociétés commerciales de Tahiti créèrent rapidement des créances obligeant certains Pa’umotu à vendre des terres ou à les abandonner à des concessions. En 1910, la Société française des cocoteraies des Tuamotu (SFCT) intensifia les plantations sur les atolls concédés, comme Marutea sud par exemple (Toullelan, 1990). Depuis, le paysage des Tuamotu a vu le cocotier remplacer sa végétation originelle et modifier l’occupation humaine de l’espace en « secteurs » placés sous contrôle du rāhui. « Faire le coprah » devint l’expression consacrée pour le nouveau genre de vie des gens des Tua- motu, ces derniers devenant salariés par des sociétés de Tahiti.


L’activité économique liée au coprah est passée dans les mentalités comme « une richesse venant des ancêtres »

Ce travail pénible comporte plusieurs aspects : entretien de la cocoteraie, ramassage des noix mûres, préparation du coprah et séchage, conditionnement, transport des secteurs au point d’exportation. C’est ainsi que de nombreux Pa’umotu d’ordinaire pêcheurs devinrent « agriculteurs », comme on peut le constater à la simple consultation des documents d’état civil des atolls. Le coprah deviendra le chef de file des exportations des E.F.O. (50 000 hectares exploités autour de 1930), suivi de la nacre déjà en baisse à cette époque, en raison du pillage commercial des lagons à nacres.


© LQ


Paradoxalement, l’activité économique liée au coprah est passée dans les mentalités comme « une richesse venant des ancêtres » (‘ohipa faufa’a tumu). Comme le fait remarquer à juste titre Baré (1992), la notion de souche (tumu) « si évocatrice d’une relation directe entre la terre et ce qui est ainsi qualifié, peut être étendue à nombre d’aspects perçus comme “intérieurs” ». En effet, le travail du coprah, bien que d’origine importée et rappelant l’époque coloniale, est assimilé dans la langue d’aujourd’hui à une activité économique « souche », pensée comme venant de l’intérieur (no rapae), puisqu’elle était la manière d’être (peu) des ancêtres pendant plus d’un siècle. Aujourd’hui, aller faire le coprah (haere puha) au même titre que la pêche de subsistance est une pratique identitaire, mise en avant par le célèbre chanteur Barthélémy.

Malgré les aléas des autres activités économiques de l’archipel des Tuamotu centrées principalement sur la mer (perliculture, aquaculture, pisciculture), c’est encore aujourd’hui le coprah qui reste le revenu principal de la plu- part des Pa’umotu et leur permet une certaine mobilité au sein d’un archipel qui représente le quart des atolls de la planète.






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