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Pandanus des atolls LE FARA DU SOURIRE

Les légumes oubliés, panais, crosne, rutabaga, topinambour, arroche ou orties ont envahi les marchés de métropole, notamment lors des saisons d’automne et d’hiver, de manière à privilégier les circuits courts et la variété alimentaire. Au fenua, nous avons aussi nos légumes et fruits oubliés, qui peuvent notamment être consommés en période de disette : Pia, ufi, nahe (fougère), ti... ou fare, le fruit du pandanus.



Imaginez une pomme qui, sous le regard bienveillant du Créateur ou d’un savant fou, aurait fricoté avec un ananas et un kumquat. Le fruit serait sucré, légèrement acidulé, avec des arômes de fleur d’oranger et de guimauve... En fait, ce fruit existe et, s’il n’est pas le résultat improbable d’un tel croisement, il a suivi une évolution remarquable, complexe et savoureuse. Même si certains lui trouvent plus un air de Pokémon que de fruit.

Ce mystérieux fruit vient d’un arbre qui s’appelle le «hala» ou «fara», selon les régions de l’Océanie polynésienne et que l’on connaît en français sous l’appellation pandanus. Il pousse généralement en bord de plage, les pieds dans le sable blanc, parfois dans l’eau bleu clair des lagons, sur le socle corallien directement aussi, car il a des besoins minimaux et s’adapte partout. Ses voisins ont d’ailleurs souvent le même régime frugal, tel le mikimiki.


De multiples usages Pandanus tectorius, pulposus ou odoratissimus, il est appelé fara en Polynésie orientale. Il est de la famille des Pandanées et parfois plus répandu que le cocotier, car ses exigences édaphiques (relatives au sol en tant que milieu biologique) sont pratiquement nulles : il pousse sur tous les sols et à toutes les altitudes :

« Après le cocotier, le fara ou pandanus est l'arbre le plus précieux, surtout sur les îles basses; son bois sert à la construction des cases, ses feuilles sont utilisées pour les toits et les nattes et ses fruits sont comestibles.» Teuira Henry


Les feuilles du fara sont bien souvent préférées à celles des ni’au (cocotiers) pour la toiture, – sauf celle de l’espèce paeore dont les feuilles sont trop longues et trop minces –, car elles sont plus souples et plus résistantes : leur revêtement pourra durer 7 à 8 ans.


Dans les Australes, la variété Laevis (Kunth) est très utilisée en « sparterie », le nom donné à la fabrication d’objets en fibres végétales (jonc, alfa, crin, ni’au , fara) qui sont de ce fait vannées ou tissées), car sans épines.


Dans les Iles Tuamotu il existe un fara avec des feuilles rouges ou tachetées de brun ; il sert à faire des bordures décoratives de nattes.



La racine du pandanus est riche en fibres flexibles. Si elle sert en cuisine pour certaines recettes (brute, pour fixer les feuilles qui entourent le ma’a à cuire, ou bouillie), elle était aussi employée pour certains cordages.


Les anciens Polynésiens travaillaient les racines, comme celles de l’igname, du tī, du manioc ou d’autres tubercules plus rares (pia). Une fois cuite, les racines étaient pétries jusqu’à devenir une pâte comme celle du ‘uru. Elle pouvait alors être conservée longtemps.


Ressemblant aux figues et aux dattes séchées comme source de glucides et de certains autres nutriments, elle contient beaucoup plus de niacine (vitamine B3) et de fer. Enfin les drupes non comestibles (les fruits de certaines espèces ne le sont pas), aux couleurs vives et au parfum délicat, sont toujours un ornement recherché, sous forme de couronnes, de colliers au moment des fêtes.


Une drôle d’allure Les racines aériennes de forme cylindrique et d’environ cinq centimètres de diamètre s’étendent obliquement à partir du tronc l’étayant ainsi comme des cannes flottantes. De nombreuses racines adventives semblables aux rameaux mais terminées par un germe vert s’en détachent en des points variables et se dirigent vers le sol qu’elles n’atteignent souvent qu’après un long trajet ; leur ensemble forme alors un faisceau pyramidal qui semble soutenir la tige.


Lorsqu’elles commencent à pousser, les racines sont comestibles ; on les mange rôties et elles ressemblent un peu à un igname qui contiendrait beaucoup d’eau. Les habitants des îles basses qui n’ont presque pas de légumes les apprécient beaucoup.

Certaines espèces sont cultivées, propagées facilement au moyen des bourgeons qui se forment spontanément aux aisselles des feuilles inférieures ;


Le fruit peut également flotter et se répandre sans l’aide de l’homme.


Leur aspect étrange a toujours frappé les voyageurs européens. Comme toute plante monocotylédone, ce ne sont pas de vrais arbres et leur tige n’est pas un vrai tronc. Cette tige ou faux-tronc, d’un diamètre sensiblement égal du sommet à la base, est recouverte d’une écorce lisse et marbrée.

Les forêts de Pandanus sont appelées des pandanaies.


Qualités nutritionnelles La fleur mâle du fara est appelée hīnano. Les feuilles sont appelées raufara. Une fois séchées et disposées en ‘ā’ēho, elles s’appellent rauoro. La plus connue est le pae’ore, variété sans épines qui est cultivée pour ses feuilles, employées dans la fabrication des chapeaux, nattes et autres objets de vannerie, notamment aux Australes. D’autres affichent une protection épineuse, qui cache, au creux de ses lances fourchues, une espèce d’ananas dur et dodu, vert tout d’abord et dont on doit surveiller le mûrissement. La boule précieuse se pare alors de jaune, d’orange, parfois de rouge. C’est le moment de la cueillette et de la dégustation.


Une fois ouvert (il se sépare en deux facile- ment par torsion quand il est mûr), on dé- couvre un noyau blanc, d’où se déploient des dizaines de drupes au dégradé jaune, orange et rouge. Avec cette allure, pas étonnant qu’on lui voue un petit culte. En effet, le fara ou hala est l’objet de nombreux mythes et proverbes. Quant à sa dégustation, c’est une activité à part entière. S’il est une bonne source de vitamine C, de provitamine A (bêta-carotène) et est assez sucré, sa texture est bien lointaine de celle de l’ananas, (sinon son aspect fibreux et dur quand on s’approche du cœur).


Bref, on le mâchouille plus qu’on ne le mange.

Pour Loison Gille, Jarin Claude et Crosnier Jacques, spécialistes de l’alimentation et de la nutrition dans le Pacifique Sud*, cité par Christophe Serra-Mallol), « sa consistance fibreuse, qui contraignait le consommateur à la mastication, avait sans doute une influence importante sur l’entretien de la dentition ». Le fruit des variétés tahitiennes ayant un goût âcre n’est pas utilisé comme nourriture, mais dans les Tuamotu, certaines variétés sont réputées pour leurs tiges et leurs endospermes qui ont un rôle important dans la nourriture des natifs.


Le syncarpe (se dit de ces fruits composés, comme pour l’ananas) a autrefois fourni la principale source d’alimentation végétale pour les populations des Tuamotu, surtout là où le cocotier était absent. Lorsque la sève a été extraite du fruit, la matière fibreuse peut être utilisée pour faire des pinceaux ou des blaireaux, une certaine partie de la feuille est utilisée par les Tahitiens pour rouler des cigarettes et certains le préfèrent même au papier.



Une vraie gastronomie

Les fruits, nommés galipes, se conservaient facilement et étaient mangés cuits en cas de disette. Si, de nos jours, plus personne ne consomme du pandanus en Polynésie française, en revanche le fruit est encore mangé aux Kiribati, aux Îles Marshall et aux Îles Cook où le nombre d’espèces et de variétés est bien plus large. Au îles Marshall, les locaux font sécher la purée extraite du pandanus sur des plaques de métal maintenues au soleil pendant plus d’une semaine. Une fois séchée, la pâte est roulée et emballée dans des feuilles. De cette façon, la purée de pandanus se conserve beaucoup plus longtemps. Les vacoas retrouvent la même utilisation à la Réunion. Les feuilles de Pandanus amaryllifolius sont également utilisées en Asie du Sud-Est pour parfumer des préparations sucrées comme le riz, la nata de coco ou d’autres comme les crêpes au pandanus réputées dans toute l’Indonésie, les dadar.

Elles servent aussi en additif alimentaire appelé : essence de pandan.


C’est en effet une plante aromatique tropicale traditionnelle de la gastronomie asiatique, notamment au Vietnam, en Indonésie et en Bir- manie. Parfois appelée “Pandan”, cette plante vivace au port dressé possède de longues feuilles parfumées, à la saveur subtile d’amande vanillée et d’herbe fraîchement coupée.




Aujourd’hui très tendance, de nombreux chef américains mais aussi britanniques utilisent le pandanus dans leur cuisine, notamment dans les pancakes, gâteaux et dans les glaces. La célèbre et très médiatique chef anglaise Nigella Lawson a déclarée qu’il s’agissait du “nouveau matcha” !


Feuilles, fruit, racine, rien ne se perd

Les feuilles se cuisinent à l’état frais pour obtenir un jus. Ce jus est principalement utilisé comme exhausteur de goût dans les préparations culinaires et notamment dans les plats à base de riz gluant, ou encore sous forme de boissons, ou de bonbons. Outre l’arôme, les feuilles de pandanus donnent aussi à la nourriture une couleur verte. Ce colorant naturel est notamment utilisé dans la réalisation du “Dadar Gulung”, les fameuse crêpes vertes balinaises. Il est également possible d’ajouter du jus de pandanus à vos recettes de milkshakes, riz au lait ou de cupcakes.

Autre option, on peut aussi directement faire un nœud avec la feuille fraîche de fara avant de la faire infuser dans une pâte à gâteau ou à flan, comme on le ferait avec de la vanille. Il est aussi possible d’utiliser le Pandanus pour créer des petites papillotes avec les feuilles afin d’apporter saveur et tendresse aux viandes, notamment avec le poulet et le poisson lors de la cuisson. C’est donc un gastronome qui s’ignore et qui mériterait bien toute votre attention.


* in Médecine tropicale, vol. 33, mai-juin 1973, p. 25


Que de variétés !

11 variétés étaient connues par les anciens Polynésiens (Dana Lepofsky, The Ethnobotany of Cultivated Plants of the Maohi of the Society Islands, Economic Botany, Vol. 57, No. 1 (Spring, 2003), pp. 82.

Elles sont décrites par Teuira Henry dans son livre Ancient Tahiti (p. 61-63) :

« C’est une plante endogène possédant une sève épaisse et huileuse. Les feuilles lancéolées ont de un à deux mètres de longueur et portent de chaque côté ainsi que sur la nervure de petites épines dirigées vers la pointe. Les feuilles sont réparties régulièrement, l’une dans l’autre en spirale autour de la tige cylindrique. »



« Le fara pousse sur tous les terrains sur les terres basses les variétés principales sont :

  • Fara-'iri, très répandu, utilisé pour faire des nattes;

  • Fara-paeore, variété de qualité avec de longues feuilles sans épines, on s'en sert pour les travaux délicats;

  • Fara-peue (fara à nattes) longues feuilles flexibles utilisées, comme son nom l'indique à la fabrication des nattes.»

Il existe six variétés qui poussent dans la montagne : fari-ai-ai (fara à manger) qui a des strobiles renfermant de larges endospermes ; fara-ofaa (le fara des nids) qui conserve ses feuilles mortes et dans lesquelles les oiseaux viennent faire leurs nids ; fara-pao’o une variété géante, fara-papa, qui pousse dans les rochers, fara-uao, dans lequel le uao, oiseau de montagne, dont l’espèce a disparu, faisait son nid. Près de la mer, dans les terrains sablonneux on trouve : le fara-pure-pure dont les feuilles sèches ont des taches brunes et noires ; le fara-uruhi qui forme d’épaisses haies le long des plages.

La taille des fara varie suivant les lieux où ils poussent, sur les atolls et dans les terres basses ils peuvent atteindre de cinq à sept mètres, mais dans la montagne ils sont si malingres que l’on peut les enjamber.


En 1891, Paul Gauguin a rendu célèbre le pandanus dans sa toile « I raro te oviri - sous les pandanus.»






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Dossier à retrouver dans votre magazine Tama’a #18 - juin 2021


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