L’oubliée des cuisines polynésiennes
Les terres riches et grasses des îles hautes abritaient des populations polynésiennes passées maîtresses dans l’art de cultiver toutes sortes de tubercules. Parmi eux, le pia. Egalement connu sous les noms d’arrow-root (anglais) ou de marante (français) et utilisé en remplacement d’autres tubercules plus courants, il ne manque pas de qualités.
Au début du 19e siècle, les navires européens qui parcouraient les archipels polynésiens des Mers du sud, depuis Fidji jusqu’aux Australes, de Hawaii à Tonga étaient en quête de plusieurs richesses naturelles : le bois de santal, la nacre, l’huile de coprah, la bêche de mer (rori) ou encore l’arrowroot.
RACINE À FLÈCHE
Un tubercule étrange que cette « racine à flèche » ou « herbe à flèche », surnom donné en raison de la forme de sa feuille sans doute, ou bien, autre explication avancée, parce que les Indiens Arawak (Améridiens des Antilles) l’utilisaient pour guérir les blessures dues aux flèches de leurs ennemis. Elle fut tôt utilisée dans les cuisines asiatiques et européennes pour son amidon (85% en ce qui concerne ce tubercule). La farine de l’arrow-root est toujours très prisée en Angleterre et dans divers autres pays d’Asie, où elle est utilisée dans les biscuits et les desserts, les sauces et certains bouillons.
Amidon naturel
L’arrow-root ou pia (Tacca pinnatifida ou Tacca leontopetaloides) était considéré par les anciens Polynésiens comme un aliment de remplacement. Il y avait plusieurs raisons à cela : du fait du temps de préparation nécessaire d’abord (près d’une semaine) ; des effets secondaires de son ingestion (consommée bouillie, elle peut avoir un effet laxatif) ; enfin, en raison de l’abondance des autres tubercules, comme le ufi (igname), le taro ou, à compter du 15e siècle sans doute, des patates douces (’umara), rapportées ou apportées d’Amérique latine par les explorateurs polynésiens ou pré-Incas. Parfois cultivé, il poussait, selon Christophe Serra-Mallol* « spontanément sur les hautes berges sablonneuses de la mer ou sur les basses pentes montagneuses ». C’est effectivement dans les vallées et les versants abrités des montagnes que la plante se plaît le plus.
Les feuilles larges et découpées ressemblent à celles du papayer et poussent solitaires sur une tige qui peut atteindre un mètre cinquante de long. La tige qui porte les fleurs, encore plus longue, donne une paille blanche et brillante dont on fait des couronnes.
Il existe plusieurs variétés de pia en Polynésie. Le pia-raroto’a est une belle variété de Canna provenant de Rarotonga. Il donne des tubercules dont on tire un amidon semblable à l’arrow-root et qu’on peut aussi manger au four. La plante pousse facilement et donne de larges fleurs rouge foncé.
La préparation du pia demandait un certain temps : après avoir râpé les racines avec une pierre volcanique, un morceau de corail ou de nacre, les morceaux obtenus étaient plongés dans un récipient avec de l’eau douce. « Lorsque la farine se déposait au fond on changeait l’eau et ainsi de suite pendant cinq ou six jours. Ensuite, on la séchait, et elle avait alors l’aspect d’une fine farine utilisée cuite, mélangée à divers ingrédients, jouant ainsi le rôle de l’amidon. »
Des qualités culinaires éprouvées
L’arrow-root est une poudre très fine obtenue à partir du rhizome de cette plante tropicale. On lui prête une action bénéfique sur le système digestif dans les cas d’acidité gastrique ou de désordre intestinal et elle semble agir sur l’équilibre de la flore intestinale.
C’est une fécule naturellement sans gluten qui s’utilise de la même façon que l’amidon de maïs, de tapioca ou de pomme de terre pour lier des fonds de sauce. La poudre est à diluer à froid, avec un peu d’eau, de lait ou de bouillon avant de la rajouter au mélange que l’on souhaite faire épaissir. Attention, placée sur feu doux et remuée constamment pour éviter les grumeaux. , il en faut peu pour provoquer un épaississement rapide. Comptez 1 cuillère à soupe pour 20 cl de liquide). Vous le verrez, le résultat obtenu est très fin, neutre, léger. C’est aussi pour cela qu’il est apprécié en desserts, mais aussi les pâtes à beignet, façon tempura. Ainsi, au lieu de tremper vos aliments à panner dans de l’oeuf puis dans de la chapelure, roulez les dans la farine salée d’arrow-root et faites-les dorer dans une poêle huilée. Résultat garanti !
L’arrow-root peut être utilisée à sec, mélangée à de la farine sans gluten pour en compenser l’absence et éviter à votre pâte à tarte de s’effriter. Pour les sauces, il est préférable de l’utiliser en fin de cuisson, car lors d’une cuisson à haute température, elle peut se décomposer. Dans certains pays comme à la Réunion, elle est même utilisée en ingrédient principal dans la pâtisserie. On s’en sert notamment dans la fabrication de bonbons fondants et sont délicieux.
La poudre fut traditionnellement utilisée en ra’au Tahiti pour ses vertus adoucissantes, anti-inflammatoires et calmantes, notmament pour les intestins fragilisés. Riche en calcium, elle peut s’utiliser en talc végétal pour soigner l’eczéma, les échauffements, les irritations cutanées. Elle est composée à 80% de sucres lents et elle est pauvre en protéines. Elle est donc un excellent produit énergétique (cf. nos chips de pia).
Ses propriétés dépolluantes ont été prouvées. Si vous n’en aimez pas le goût et que votre rapport à la cuisine consiste à faire réchauffer des plats, alors n’hésitez pas à égayer votre intérieur par un plan d’arrow-root : il nettoiera l’air et absorbera les ondes électromagnétiques.
Pour résumer, l’arrow-root est un épaississant et liant naturel, doublé d’une chair qui ne manque pas de saveurs. Un bon ingrédient donc, à ajouter dans votre placard !
* Changement social et traditions alimentaires : approche socio-anthropologique de l’alimentation à Tahiti (îles de la Société, Polynésie française), thèse souvent citée dans Tama’a, soutenue en 2007 à l’Université de Polynésie française, sous la direction de Bruno Saura.
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Dossier à retrouver dans votre magazine Tama'a #19 - août 2021
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