Poke Poke, le food truck où l'on mange bien & où l'on ne jette rien !
- 5 juin
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Depuis 2023, une roulotte à la carène bleu carangue se reflète dans le lagon de Raiatea. s’inspirant du repas traditionnel Hawaïen, à base de poisson cru, Poke Poke accueille, dans ses bols, une incroyable diversité d’ingrédients, végétaux pour l’essentiel. Avec un objectif affiché : que manger à l’extérieur. Ne génère pas de déchets plastiques.
© Texte : Gaëlle Poyade - Photos : Jean-Marie Gravot

Chaque midi, du mardi au vendredi, Poke Poke met en place sa terrasse éphémère sur le tahua To'a Huri Nihi, à Uturoa. Face au lagon qualifié, ici, de « piscine », Xionara Maimiti Azzopardi régale une population hétéroclite qui apprécie sa cuisine fraîche, saine et locale. À 38 ans, la jeune femme exerce une activité qui reflète ses valeurs mûries tout au long de son parcours. « Je suis demi polynésienne par mon père », raconte-t-elle, « bien que née à Tahiti, j ai grandi en métropole ; alors, à 22 ans, je suis partie à la rencontre de la branche paternelle. C'est ainsi que je me suis installée à Raiatea, où j ai travaillé comme hôtesse-cuisinière sur les bateaux de charter pendant dix ans ».
À l'instar de ses parents qui tenaient, dans l arrière-pays de Montpellier, un restaurant charmant entre vignes et plage, Xionara se met à inventer ses propres rece es. Lorsque son ventre s'arrondit, elle réfléchit à un projet professionnel personnel, cette fois. D'où l'idée du food truck privilégiant une nourriture équilibrée, puisée dans les ressources locales.

Raiatea : de sacrés fa’a’apu !
« 90 % de mes ingrédients, soit la quasitotalité des fruits, des légumes et des protéines, proviennent de Raiatea », se réjouit la restauratrice.
Un exploit, puisque sa carte propose, en permanence, une quarantaine d ingrédients, parmi lesquels le client est invité à en choisir environ dix. Afin de constituer son poke, ce dernier opte pour une base de lentilles, de riz ou de vermicelles, désigne une protéine (thon frais, poisson fumé (1), oeufs ou tofu (2) agrémentée d'une sauce originale) et sélectionne enfin
divers fruits, légumes et aromates. « L'agriculture s'est énormément développée à Raiatea ces quatre dernières années », reprend Xionara Azzopardi, « c'est une chance de disposer d'autant de producteurs, dont certains engagés en bio. Ainsi, je me fournis en bananes fe'i, salade verte, pastèque auprès de la coopérative bio qui vend en direct dans l un des hangars de la gare maritime. OEufs, tomates, concombres, courgettes cultivés dans le fa a apu bio Hamoa Taputaputātea. Quant au lait de coco frais, il m'est fourni par l'entreprise Tihoti Tarua, partie prenante d'une alimentation traditionnelle ».
L'objectif est de se concentrer sur les possibilités alimentaires de l'île
Dans son jardin potager, Xionara prélève nombre de feuilles comestibles ; trèfle rouge, fanes de 'ūmara (patates douces),
épinards, chou kanak… En plus des combavas, des racines de gingembre et de curcuma, elle fait pousser des fleurs comme la clitoria
qui colore en mauve ses citronnades, ou encore l'ixora.
L'objectif est de se concentrer sur les possibilités alimentaires de l'île. « Pour décorer leur assiette et apporter du croquant à leur plat, les clients peuvent ajouter des toppings, qui sont soit des algues wakamé, des cacahuètes, des graines de chia, de goji ou de courge », explique-t-elle, « en ressources locales, je propose des bananes séchées et du coco toasté ; j'aimerais augmenter la gamme avec des copeaux de māpē ou encore l'algue rouge Gracilaria qui était consommée jadis en Polynésie ».
Pas de vaisselle jetable chez Poke Poke ! Tous les couverts sont réutilisables et un système de consigne est mis en place pour la vente à emporter.
Troc : des fruits contre des bons repas
Dans cette logique d'approvisionnement au plus près, la gérante de la roulotte a naturellement eu l'idée d'un système de troc avec les détenteurs de vergers ; laquelle a plu, si bien que six de ses fournisseurs s y sont mis aujourd'hui.
Ainsi, avocat, mangue, papaye verte, corossol, banane, fruit de la passion sont acquis par ce biais. « J'offre des bons pour des poke bols en échange de uits, sur la base de leur prix de vente », détaille Xionara, « si cet échange de denrées concerne essentiellement des particuliers, certains professionnels le préfèrent à un échange monétaire. La société Alunox m a créé un plan de travail amovible ; non seulement elle m'a offert la main-d'oeuvre mais, en plus, elle a troqué le coût de la matière contre des repas », rapporte la gérante du food truck, « régulièrement, des gens me donnent un régime de bananes, quelques courges, de belles racines de gingembre… Toutes ces attentions me touchent énormément ».
Le zéro déchet
Qu'une activité de restauration rapide et, a fortiori, de vente à emporter ne génère aucun déchet est une gageure, voire une utopie. La roulotte Poke Poke semble pourtant avoir relevé le défi. Sur place, la vaisselle est composée de jolies assiettes en faïence, de pots de confiture en guise de verres, de couverts et de pailles en inox. Les convives qui déjeunent sur de ravissantes nappes en tissu cousues main profitent donc d'une vaisselle digne de ce nom, réutilisée à volonté.

Quant aux plats à emporter, ils se combinent avec un système de consigne qui supprime les emballages jetables. Il s agit de boîtes en verre de la marque Duplex. Bien entendu, les clients réguliers sont invités à apporter leurs propres contenants. À destination des touristes et autres visiteurs occasionnels, le food truck a prévu des bols biodégradables, fabriqués en amidon de maïs, une matière compostable. « Ce sont des solutions adaptées lorsque je travaille au coeur de manifestations exceptionnelles, comme l'accueil de l Hawaiki Nui, les foires agricoles de l'île ou encore certains événements privés qui me sollicitent comme traiteur. »
À l'intérieur de la camionnette qui sert de cuisine, même credo. Les sauces qui lient les poke, telles que la Sashimi Style ou la Creamy Peanuts, sont stockées dans des petits pots de bébé en verre afin de maximiser la récupération des récipients. Pour s'engager encore davantage, l'entrepreneuse vient de signer la charte Nana Sac Plastique portée par le collectif éponyme. Le concept consiste à ne plus recourir à aucun emballage plastique à usage unique. « Au sein de ma propre activité de cuisine, je réussis ce challenge », a rme Xionara, « côté fournisseurs aussi, quasiment pour tous. » Parmi la quarantaine d ingrédients achetés,
seuls le riz, vendu en sachet plastique, et le thon recouvert d'un film plastique alimentaire – cela pour des raisons d hygiène – ne sont pas dans les clous. Cela donne à réfléchir au chef d'entreprise car, d'un point de vue pollution, elle se sent responsable des emballages engendrés par ses commandes auprès de ses fournisseurs.
La notion de responsabilité environnementale n'est, chez elle, pas un vain mot !


Nouveautés et gourmandises
Récemment, la roulotte a ajouté à sa carte des minipancakes
thon-fromage, des croquettes veggies et des gaufres salées. Celles-ci reposent sur une base brocolifromage, à laquelle s'ajoutent avocat, courgette, micropousses (3), poisson fumé ainsi qu une crème chantilly au citron vert ! Vous l'aurez deviné, la dégustation se poursuit aussi avec un panel de desserts et de goûters.
« Je suis contente de nourrir toutes les générations », déclare
Xionara, « rien ne me fait plus plaisir que d'entendre cette
petite fille de 10 ans parler de sa glace préférée, la mangue
basilic ! » En effet, côté sorbets, tous réalisés avec des fruits locaux, l'innovation prime. On peut lécher un coco-doudou, un pastèque-basilic, un piña-mojito ou une glace au corossol. Quant au sorbet tiare-lime, il di use sur la langue le parfum troublant de la fleur de tiare ! C est une belle surprise qui confère à la restauration ambulante ses lettres de gastronomie.
(1) Espadon ou thazard fumé par Uratua Création Raiatea.
(2) Tofu bio fabriqué à Moorea par l entreprise Tofu Mooz.
(3) Micropousses, eurs comestibles, herbes aromatiques,
produites à Raiatea par la société Eden.