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Prédation et résilience des lagons perlicoles

  • 14 août
  • 6 min de lecture

Champions de l’adaptation dont dépend leur survie, les prédateurs des huîtres perlières rivalisent d’ingéniosité pour arriver à leurs fins, déjouant les pièges qui leur sont tendus. Quelles solutions existent pour éviter les dégâts qu’ils infligent à la filière ? Peuvent-elles être écologiques ? Docteur Cédrik Lo, de la cellule innovation et valorisation en perliculture à la DRM (Direction des ressources marines), fait le point sur le sujet, en expliquant aussi les risques de la surexploitation des lagons.


Texte text : Doris Ramseyer - Photos : © voir see copyrights


© Ben Thouard
© Ben Thouard

« Les poissons s’adaptent à la source de nourriture la plus accessible ! », explique le docteur Cédrik Lo, de la cellule innovation et valorisation en perliculture à la DRM. Les huîtres, arrimées aux supports immergés dans le lagon, représentent un irrésistible garde-manger à portée des dents de poissons, un phénomène qui apparaît dès les débuts du développement de la filière.

 

La prédation lagonaire

Grâce à des travaux, des films et des études réalisés dans certaines îles, plusieurs prédateurs sont identifiés : trois espèces de balistes sévissent essentiellement aux Tuamotu, suivies par les raies aigles, les tortues imbriquées, les tétrodons (huehue) et, récemment observés, de petits crabes dont le comportement se répercute sur l’huître perlière au stade juvénile. En avril 2023, une grande enquête a été menée aux Tuamotu (Ahe, Apataki et Arutua) et aux îles de la Société (Raiatea et Taha’a) pour discerner plus précisément les prédateurs et étoffer les conclusions des recherches du Criobe (Centre de recherches insulaires et Observatoire de l’environnement).

 

En 2012, plusieurs moyens de lutte ont été testés pour vérifier leur efficacité dans le milieu. Par exemple, un filet électromagnétique, conçu par la société belge Aquatek-Technology, utilisé à la Réunion pour lutter contre les attaques des squales, s’est révélé aussi efficace pour repousser les raies. Des tests sonores ont été effectués à Moorea, Manihi et Rangiroa, avec des sons imitant ceux des prédateurs (barracuda, par exemple) ou des moteurs de bateau. Des barrières lumineuses, électriques, acoustiques et chimiques (éponges émettant des substances pour repousser les prédateurs ou lianes répulsives) ont été expérimentées sur plusieurs îles. Les perliculteurs ont, eux aussi, testé des moyens pour limiter la prédation (guirlandes de CD, augmentation de la longueur des chapelets de nacre, pêche des prédateurs…). Constat : les prédateurs développent une accoutumance systématique à tous les dispositifs. L’adaptation à leur environnement, aussi extraordinaire qu’instinctive, s’avère vitale pour leur reproduction et leur survie.


Un problème complexe

Selon Cédrik Lo, prendre en compte le comportement des poissons apparaît essentiel : c’est de l’éthologie. Il cite l’exemple d’un atoll déserté par la perliculture, dans lequel les poissons prédateurs de nacres, n’ayant plus accès à cette ressource alimentaire, se sont rabattus sur le stock de nacres sauvages, avant de revenir progressivement à une nourriture traditionnelle. Il se questionne par ailleurs sur la possibilité de dévier les voies de migration des raies léopards, qui répondent à des cycles et des saisons, pour les mener hors des zones de collectage, en leur proposant d’autres coquillages, tels que les Pinctada maculata.

 

Ce problème existe dans tout le Pacifique et en Asie, avec des prédateurs spécifiques à ces régions. La taille des huîtres correspond à celle des poissons : lesquels se développent au diapason de celle des mollusques. Le nettoyage des coquilles d’huître, pour ôter les épibiontes (mollusques, ascidies, algues et éponges qui vivent à leur surface), est une manœuvre qui agresse ces dernières : elles émettent alors des substances de stress captées par les poissons, qui surgissent aussitôt. Les prédateurs sont également capables de repérer les zones fragilisées des huîtres colonisées par des éponges perforantes ou cliones et les mordent en continu jusqu’à ce qu’elles cèdent.

 

© Mathieu Gatinaud - La Réunion © tétrodon pintade- dr


La lutte contre la prédation, complexe et continuelle, exige réactivité et adaptation. Les solutions doivent être diversifiées et convenir aux différents types de prédation, aux comportements des poissons, à leur espèce, à leur taille et à la typologie des lagons.

 

Des collecteurs biosourcés toujours à l’étude

Pour contrer l’appétit des prédateurs, les perliculteurs protègent leurs productions (naissains sur collecteurs ou nacres sur chapelets) avec des grillages en plastique, induisant des coûts supplémentaires. De nouveaux collecteurs biosourcés (lire Poerava 2024) sont à l’étude. Plus onéreux que leurs équivalents en plastique, ils sont moins impactants pour le milieu et les huîtres perlières. « Nous recherchons des matériaux non larvicides, non toxiques, plus durables, biosourcés, biodégradables et fabriqués localement », note Cédrik Lo. La DRM travaille ainsi avec l’UPF (Université de Polynésie Française) qui collabore auprès d’une entreprise polynésienne (Plastiserd) et l’Institut Scion en Nouvelle-Zélande.


Ces collecteurs, appelés Bioplates, sont actuellement testés avec des perliculteurs sur trois sites : à Takapoto, Ahe et Mangareva. Les résultats obtenus après dix-huit mois se révèlent très prometteurs et confirment que ces collecteurs biodégradables offrent un rendement supérieur (nombre de nacres/cm²) ; leur nettoyage demande aux perliculteurs moins de travail que les précédents et ils représentent une solution concrète au problème du plastique. L’espacement entre les coupelles a été déterminé afin de minimiser le risque de prédation. Les Bioplates ont fait l’objet d’un brevet international, actuellement en prématuration par la SATT-AxLR (Société d’accélération du transfert de technologies, implantée en Occitanie-Est).


Résilience des lagons

Dans les années 1990, le PGRN (programme général de recherche sur la nacre) a été mis en place à Takapoto par le Pays, l’État et l’Union européenne, à la suite des tragiques crises survenues dans certains lagons entre 1985 et 1990. « Les atolls sont résilients, mais pour combien de temps ? », s’interroge le responsable du projet perliculture. « Les efflorescences algales, responsables de l’anoxie des lagons, sont cycliques, mais durent plus longtemps qu’auparavant. » Ces blooms engendrent des répercussions notables pour le lagon, les habitants et la filière, avec des fermes abandonnées dont les structures et les déchets sont parfois laissés en l’état.

 

En 2013-2014, Takaroa, un atoll semi-fermé, connaît un vaitīa (efflorescence algale, en pa’umotu) intense sur l’ensemble du lagon, à toutes les profondeurs, et pour une période exceptionnellement longue. « Les huîtres sont asphyxiées par l’excès de phytoplancton et certaines espèces calcaires ou siliceuses peuvent même créer des lésions au niveau des branchies des bivalves », précise Martine Rodier, spécialiste des microalgues à l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Après 2014, la plupart des perliculteurs abandonnent leur activité. Certains la recommencent avec, toutefois, un collectage moindre et des huîtres dont la croissance peut être affectée par le manque de nourriture adéquate. « Après une telle crise, la reprise et le retour à la normale sont très lents à cause des profonds déséquilibres causés par un vaitīa, à la fois dans la chaîne alimentaire de tout le système lagonaire, mais aussi par la reconstruction lente du stock naturel de reproducteurs, eux aussi, éradiqués par le vaitīa. »

 

À Takapoto, un atoll fermé, impacté par un épisode de vaitīa en 2008, le collectage et l’élevage des huîtres perlières sont également relancés, sachant qu’il faut environ dix ans pour qu’un lagon reprenne une activité perlicole. Un programme de recherche nommé MANA (MANagement of Atolls) a visé des lagons perlicoles au fonctionnement contrasté, identifiant les processus susceptibles d’influencer le collectage, suivant les stocks naturels de nacres et les forçages climatiques, en utilisant des modèles hydrodynamiques. Ce programme a été financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche) et la DRM, piloté par l’IRD (UMR ENTROPIE), en collaboration de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), qui collecte des données distinctes pour comprendre le fonctionnement de ces différents lagons.

 

À l’aide de leur bec crochu, les tortues imbriquées parviennent à briser les coquilles des huîtres perlières pour en consommer les chairs. © Tortue imbriquée - dr
À l’aide de leur bec crochu, les tortues imbriquées parviennent à briser les coquilles des huîtres perlières pour en consommer les chairs. © Tortue imbriquée - dr

Pérenniser la filière

Par ailleurs, Cédrik Lo insiste sur l’importance du restockage des huîtres perlières dans les lagons, ce qui permettrait d’optimiser le sex-ratio (les grandes nacres femelles, peu abondantes dans le lagon) pour pérenniser le collectage. Les coquilles de grande taille (supérieures à douze centimètres), issues d’élevages perlicoles déclarés (car il est interdit de prélever les nacres sauvages dans les lagons), pourraient être ainsi valorisées, notamment grâce au travail des artisans polynésiens. Un art à maintenir et à développer par son importance culturelle et sociale au fenua.

 

« L’histoire de la perliculture est intimement liée à la recherche et son développement est jalonné de découvertes-clés et de maîtrises de nouvelles technologies. [...] Toutes ces solutions et tous ces résultats mettent cependant en avant la nécessité de préserver la ressource sauvage et, tout d’abord, la santé de nos lagons, seul moyen de garantir une perliculture durable. Il est important de rappeler que la science ne pourra pas apporter toutes les solutions et que ce sont d’abord les pratiques, les comportements et finalement la volonté collective de bien faire qui détermineront l’avenir de cette filière », explique Cédric Ponsonnet, directeur de la DRM de 2017 à 2025.



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