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Tupaia, le navigateur polynésien

Octobre 1769, Aotearoa


Vers 1200, une vaste migration de clans polynésiens issus de Havai’i, (Ra'iātea), mais aussi, sans doute, des îles amies, Vavau (Bora Bora), Tematatoerau (Huahine), Aimeho (Moorea) ou Tahiti, entreprit la vaste exploration du sud-ouest de Moana, le grand océan du Pacifique sud : depuis 500 ans déjà, toutes les terres de l’est, jusqu’à Mangareva (Gambier), Rapa Nui (île de Pâques) ou Pitcairn, mais aussi les îles du nord (Hawaii), ont été colonisées. Les grandes pirogues doubles de migration emportent toutes les provisions nécessaires : « les animaux, les plantes et les outils […], mais aussi leurs savoirs traditionnels.


À bord de ces vaisseaux, on trouvait des tahu’a de toutes les spécialités : prêtres, bâtisseurs, constructeurs de pirogues et jardiniers, tous riches de connaissances et de savoir-faire »

(Joan Druett, p. 235). De leurs « petites » îles de Polynésie orientale, ils apportèrent tout ce qu’ils purent. Ils arrivèrent après des semaines de navigation aux étoiles, aux vents et aux courants sur une île qu’ils nommèrent He ika a Maui (le poisson du dieu Maui) ou Aotearoa.


Selon certaines légendes, l’un des fameux explorateurs de cette partie du monde, Kupe, appela l’île ainsi en la voyant couverte de nuages blancs, Ao tea roa, littéralement « nuage blanc long ».

Une version plus « étymologique » pense qu’il s’agit en fait du nom des longues pirogues de migration et d’exploration, Aotea roa. Te whenua o Aotearoa peut être traduit par Le Pays du long nuage blanc.


Cette version s’est répandue au 19ème siècle et a bientôt désigné les deux îles.

Certains animaux importés, comme les porcs et les volailles, certaines plantes aussi, ne tinrent pas. Mais les terres qu’ils découvraient, inhabitées, étaient riches, vastes, immenses même. Après avoir installé les clans

sur toute l’île du nord, ils entreprirent de coloniser l’île du sud, Te Wahi Pounamu, (le lieu des roches vertes).

La terre du sud était encore plus vaste que celle du nord, avec des fjords, des montagnes infranchissables,

des forêts impénétrables. Ces Ma’ohi développèrent leur culture, à partir de celle de leurs ancêtres, qu’ils chérissaient dans un lointain souvenir, celui de la terre sacrée, Havai’i, Ra'iātea.


Si l’hiver surprit la première génération, si les séismes périodiques inquiétèrent les premiers venus, dès le 14ème siècle ces explorateurs étaient devenus agriculteurs chasseurs cueilleurs, artisans, sculpteurs, tatoueurs : le peuple ma’ohi de Nouvelle-Zélande s’était approprié les deux grandes îles et prospérait, malgré les conflits.

 

YOUNG NICK’S HEAD

Le 6 octobre 1769, à 2h de l’après-midi, écrivions-nous dans InstanTANE 08, le matelot Nicholas Young, alors en pause en haut du mât, voyait l’horizon rompre sa monotonie en dessinant les terres de l’île du nord. L’avancée dans l’océan, sorte de promontoire, fut aussitôt nommée, comme l’exigeait la tradition, du nom de celui qui avait vu la terre le premier : Young Nick’s Head, Cap du jeune Nick. L’Endeavour mit en panne, en raison de la brume, et longea à bonne distance les côtes.

 

LE TSUNAMI QUI ENGLOUTIT LES ANCIENS MAORIS

Les chroniques historiques chinoises affirment qu’en juin 1430, une comète serait tombée dans le sud du l’océan Pacifique ; d’autres sources pensent à une éruption volcanique sous-marine d’une ampleur rare. Toujours est-il que Aoteaora fut ravagée par un tsunami d’une violence extrême. Les terres cultivées furent noyées par l’eau salée et bon nombre de Maoris emportés par les flots. Les survivants, écrit Joan Druett, moururent le plus souvent de faim, de froid, de maladies. Si dans certaines tribus mieux épargnées on réussit à sauver certaines whakapapa 2, les généalogies, fondements mêmes de la tribu (ngati), du clan (hapu) et de l’individu (tangata), en revanche les bâtiments, les armes, les outils, furent emportés, tout comme nombre de vieillards et de tahu’a, prêtres détenteurs de la tradition. Les ressources alimentaires étaient rares, les conflits entre tribus se multiplièrent. A ce moment-là, Ka kotia te taitapu ki Hawaiki3, le lien avec l’île sacrée Havai’i, fut rompu.

350 ans avant l’arrivée de l’Endeavour.

 

PREMIER VILLAGE

Le 7 octobre au matin, les Anglais se rendirent compte que la terre était vaste et haute : les falaises de l’île du nord plongeaient dans la mer chargée d’écume.


« Tous les hommes s’accordent pour dire que c’est sûrement là le continent que nous cherchons », écrivit Banks, enthousiaste, dans son journal.



Partout les signes d’une terre riche, fertile « partout revêtue d’arbres verts » ( James Roberts). Partout des feux, le long de la terre. Quand Cook indiqua un mouillage, le long d’une grande plage de sable blanc, les autochtones s’activèrent sur le rivage, où reposaient des pirogues. Derrière les maisons dont l’auvent touchait presque terre, une colline était entourée d’une haute palissade : les Polynésiens de Nouvelle-Zélande avaient construit des forts, pā, en bois, telles les mottes féodales du 11ème siècle en Europe occidentale. Quand Cook, accompagné des deux botanistes Banks et Solander ainsi que du docteur William Munkhouse, chirurgien du bord, se rendit

à terre avec une dizaine de soldats, le village avait été déserté. Tupaia n’avait pas été invité à descendre avec eux. Le Tahu’a devait bouillir de colère… Plus tard, l’aspirant John Bootie sera impressionné « par la chaleur, l’absence d’humidité et la propreté de l’habitation, notant que son toit était recouvert d’un chaume serré

et de bonne facture, « à la manière de nos maisons en Angleterre. » (Druett, p. 239)

 

LA FIN DE TE MARO

Alors que Cook et les autres s’aventurent dans le village, des coups de feu retentirent. Les matelots avaient été surpris par quatre Polynésiens et tiraient en l’air pour les effrayer. Les autres, lances brandies, n’avaient pas peur. Alors qu’ils avançaient, le chef des soldats tira une balle et tua celui qu’il considérait comme le chef

des natifs. Les trois autres tirèrent alors la dépouille sur quelques mètres, avant de comprendre qu’il était mort.

Il s’appelait Te Maro, de la tribu des Teitanga a Hauiti. Il était mort sur le coup. S’il n’affichait pas une taille impressionnante, sa carrure était puissante. Surtout, les Anglais s’arrêtèrent sur les spirales tatouées sur sa joue droite et quatre arcs sombres gravés sur la partie gauche de son front. « C’était là une apparence excessivement nouvelle et singulière, écrivit Munkhouse, et qui semblait vouloir donner au visage un air féroce. ». Les cheveux noirs et touffus de l’homme étaient noués en chignon sur le haut de son crâne. « Ses dents étaient régulières

et petites, mais pas blanches, ses traits grossiers mais bien proportionnés, son nez bien dessiné, ses oreilles percées, sa barbe courte. » (Druett, p. 241)

Le lendemain, 8 octobre, la plage était envahie d’une cinquantaine de guerriers d’un autre ngati, les Rongowhakaata, venu de leur village plus dans les terres, sur la rivière Waipoua. Cette fois-ci, Cook se fit accompagné de Tupaia, habillé à l’anglaise, armé d’un mousquet. Ils s’arrêtèrent sur la rive opposée où se trouvaient les guerriers maoris. Cook, avec Banks et Solander à ses côtés, tenta d’ouvrir le dialogue, ce à quoi les Maoris opposèrent un haka de guerre. Les trois Anglais battirent en retraite. C’est alors que Tupaia s’avança de façon solennelle et leur parla, dans une langue qu’ils comprenaient. Leur stupéfaction fut totale. Quelques minutes plus tard, un des Maoris, d’un âge avancé, traversa la rivière, grimpa sur un rocher nommé Toka a Taiau (le Rocher des alliances). Il invita James Cook à le rejoindre. Après une hésitation, le capitaine posa son mousquet, entra dans l’eau et vint retrouver ce chef.


L’ancien se pencha vers le capitaine et frotta son nez contre le sien. Ce fut le premier salut traditionnel maori, le hongi.
 

PREMIERS ÉCHANGES

Alors les Maoris traversèrent la rivière et débutèrent les tentatives d’échange avec les Anglais. Contrairement aux Polynésiens orientaux, verroteries et clous ne les intéressaient nullement : seuls les sabres et les armes à feu étaient objets d’échanges. Ce que les Anglais ne pouvaient pas permettre. Druett a cette formule :

« Comme Tupaia commençait à le comprendre, c’était là une race de guerriers. » (p. 243-244).


Tupaia supplia les Anglais de faire attention. Peine perdue, la situation dégénéra rapidement et les Britanniques durent faire feu à plusieurs reprises. L’un des Maoris, Te Rakau, qui avait tenté de s’emparer d’un sabre court, fut touché par le docteur Munkhouse. Il mourut quelques instants plus tard. Serré dans sa main, un mère pounamu l’arme la plus prestigieuse de l’arsenal maori, faite de jade poli indiquait que c’était un chef important. « Conclure une trève avec lui aurait marqué un grand pas en avant », note Joan Druett. Au lieu de cela, la méfiance fut installée.


Le 9 octobre, Cook fit capturer des pêcheurs, pour les faire monter à bord et leur montrer que les Britanniques étaient leurs amis. Comme ils résistaient, quatre d’entre eux furent tués ! Les trois autres, d’abord proscrits, furent conquis par la nourriture (du bœuf salé et des gâteaux de mer durs comme du bois !) et rassurés par Tupaia qui put répondre à leurs questions.


Le 10 octobre, alors que des centaines de guerriers maoris commençaient à envahir la baie, enfin le dialogue put être entrepris avec Tupaia, suite à une introduction flatteuse de l’un des jeunes pêcheurs, Te Haurangi. Finalement, le père de l’un des trois jeunes traversa la rivière, portant une branche verte qu’il remit à Tupaia (comme la feuille de fe’i que l’on remettait à Tahiti). Tous deux, accroupis, parlèrent longuement. Aucun accord d’approvisionnement en eau ou bois ne fut cependant trouvé, la région étant en guerre entre les tribus Teitanga-a-Hauiti du nord-est de la baie, à laquelle Te Maro appartenait, et les Rongowhakaata du sud -ouest

de la baie, dont étaient issus les trois jeunes pêcheurs.

 

TROUVER UN MOUILLAGE

Le 11 octobre, l’Endeavour leva l’ancre pour trouver meilleur port et quitta cette baie que Cook avait baptisé Poverty Bay, la Baie de la pauvreté (en fait la baie Teoneroa)

« puisqu’elle ne nous a pas fourni une seule

des choses que nous désirions. »

Et, sans Tupaia qui avait sauvé les Anglais

à deux reprises sur les rives, par d’intenses négociations et en faisant valoir son statut,

nul doute que cela aurait été pire.


L’après-midi cependant, des pirogues de la tribu Rongowhakaata rejoignit le bateau. L’une d’elle, à voile,

vint se ranger le long du bord. Ses quatre occupants, dont le chef du rocher Toka a Taiau, montèrent à bord. Tandis qu’ils se mirent à échanger avec Tupaia, notamment, sans doute, de sa fonction réelle, puisque le tahu’a de Ra’iatea leur montra ses tatouages de hanche, prouvant son rang d’arioi, le troc avec les Maoris s’engagea.

Le tapa de Tahiti remportait chez eux un grand succès, car ils pouvaient échanger un mère de jade pour


une pièce d’étoffe tahitienne (Druett, p. 257).


Le 12 octobre, l’Endeavour cherchait toujours un port où ancrer le bateau. Alors qu’ils faisaient le tour d’une île que Cook nomma Portland, ils se trouvèrent en difficulté. D’emblée des centaines de guerriers qui ne manquaient aucun de leurs gestes montèrent dans leurs pirogues. Seuls des tirs de mitraille firent un bruit tel que les guerriers stoppèrent leur attaque. Si personne n’avait été tué, la journée était un nouvel échec diplomatique.


Le 13 octobre, impossible de manœuvrer pour se rapprocher de la terre : partout des waka taua, ces pirogues de guerre finement sculptées, avec « les doubles rangées de guerriers tatoués dont les pagaies plongeaient dans l’eau et en rejaillissaient, luisantes, sur un rythme parfait » (Druett, p. 261). Bientôt, sept énormes pirogues encerclent l’Endeavour, d’où résonnent de splendides chants de guerre. Devant tant de puissance et de beauté, les marins anglais répondent par une série de hourras. Le midi du même jour, six autres waka taua s’approchèrent du navire : la conversation avec Tupaia s’engagea. Ce dernier leur confia venir de Ra’iatea,

l’île mère sacrée Havai’i, que les Maoris avaient conservé en souvenir sous le nom Rangiatea.


Cela n’empêcha pas, le 14 au matin, une tentative d’enlèvement de Taiata par les Maoris se termina à nouveau en effusion de sang. Cela se produisit sous un promontoire imposant, que Cook, surnomma Cape Kidnappers.

 


TOLAGA BAY

Le 16 octobre, un changement brusque de vent fut perçu comme un signe pour James Cook, qui ordonna

de faire demi-tour au lieu-dit Cape Turnagain (Cap Demi-tour… à quoi tiennent parfois les noms de lieux !)

tout en quittant une vaste baie qu’il nomma Hawkes Bay pour naviguer au large.


Le 18 se rapprochant du rivage, des échanges eurent de nouveau lieu avec des chefs, ariki, sans incidents. Tupaia, en conversant avec eux, apprit à Cook que de bons mouillages protégés avec de l’eau douce

se trouvaient plus au nord. C’est ainsi que le 20 octobre au matin, l’ancre fut jetée dans une petite baie de sable noir, Uawa, que Roberts et d’autres Anglais avaient compris comme étant la baie « Togadoo », et nommée Tolaga Bay par Cook (Druett, p. 267). Le grand chef de cette région portait une cape couverte de plumes rares d’un perroquet rouge (tel le maro ura des chefs de Tahiti) et s’appelait Whakata te Aoterangi. Ils restèrent

à Tolaga Bay jusqu’au 29 octobre, 6 h du matin.

Tandis que Tupaia, James Cook et les Britanniques se rendent enfin à terre, après 13 jours à parcourir la côte

est de l’île du nord, InstanTANE quitte le suivi chronologique que nous avions adoptée au numéro 06, mois

par mois, pour accompagner Tupaia en détail dans sa découverte des coutumes de ses lointains cousins.


InstanTANE n°09

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