Olivier Poussier : L'art du vin en haute altitude avec Air Tahiti Nui
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Olivier Poussier, meilleur sommelier de France 1990, mais également du monde 2000, est le sommelier consultant pour Air Tahiti Nui depuis 2017. Il est chargé de sélectionner les vins de la classe business, selon une philosophie qu’il a confiée à Reva Tahiti, lors de son dernier passage à Papeete, en mai 2025.

Depuis votre première sélection pour Air Tahiti Nui, comment a évolué votre regard sur les attentes des voyageurs en matière de vins à bord ?
Cela fait longtemps que je travaille dans l’aérien. Je connais bien les engagements que cela représente. Au-delà des attentes des clients, qui sont bien sûr très importantes, j’ai aussi des repères sur les vins qui seront les plus à même d’être lisibles, au regard de la dégustation dans un avion. En effet, quand vous êtes dans les airs, dans une atmosphère pressurisée, vous subissez quelques modifications organoleptiques : 25 % du potentiel aromatique est perdu. Même si, aujourd’hui, avec les Tahitian dreamliners, il y a moins de bruit, un fond sonore moins perturbant, une atmosphère plus douce qu’auparavant. Il n’empêche que la pressurisation est là et que les vins réagissent à l’altitude de façon différente, ce qui change leur perception.
Prenez l’exemple des bulles : en altitude, l’aspect de la bulle et son effervescence subissent des transformations. Les bulles deviennent beaucoup plus grossières, plus épaisses, plus percutantes qu’à terre, quels que soient la qualité et le niveau du champagne.
Il faut aussi bien comprendre que l’altitude modifie les vins à structure et à relief tannique. Ainsi, les tannins sont mis en exergue.
De leur côté, les clients aiment retrouver des vins qu’ils connaissent, aux appellations fédératrices. Mon rôle, en tant que sommelier, c’est de garder cela en tête, mais également d’être prescripteur. Car le sommelier doit apporter sa touche. C’est ce que l’on a tenté de proposer à travers le tender* d’Air Tahiti Nui, avec la présence de vins français et étrangers qui représentent l’évolution du vignoble mondial, notamment tarifaire en ce qui concerne certains vignobles. Il s’agit donc d’une donnée à prendre en compte, puisque je dois, bien entendu, répondre lors de mes sélections à un cahier des charges. Nous disposons d’un beau budget chez Air Tahiti Nui, bien meilleur que dans d’autres compagnies internationales. Toutefois, avec l’augmentation du prix de certaines appellations, on ne peut plus choisir certains vins. Parfois, on rencontre aussi un problème de quantité et de volume disponibles. Donc, il faut faire des choix, à la fois qualitatifs et séduisants pour le consommateur, mais qui correspondent à un cadre économique.
* Ndlr : la carte existante à bord à l’année.

En quoi cette nouvelle carte des vins raconte-t-elle une autre histoire que celle de la précédente sélection ?
Il est évident que lorsque je suis arrivé à Air Tahiti Nui, lors de mes premières sélections en 2017, j’ai regardé l’existentiel, puis j’ai ajouté ma patte. Depuis, chaque année, nous écrivons une page différente. On se doit, pour le voyageur à bord, de lui offrir des propositions diverses et variées. Nous avons donc changé un certain nombre de régions. Le blanc, l’année dernière, était un vin de la vallée du Rhône. Cette année, on est revenu en Bourgogne. Le deuxième vin rouge était un vin de la vallée du Rhône méridionale et on est passé sur un vin du Languedoc. Pour le rosé, si nous sommes restés en Côtes de Provence, nous sommes passés sur un autre domaine, un autre terroir (Roquefort-la-Bédoule). On apporte ainsi de nouvelles petites touches, des modifications au voyage à travers le vignoble français. Enfin, en plus de la partie tender, il y a les « coups de cœur », avec une sélection de vins mis à bord, chacun leur tour, en fonction des vols. Nous avons notamment un pinot blanc italien du Haut-Adige ou un second vin de cru classé de Bordeaux aussi, Franck Phélan, Saint-Estèphe 2017, que nous retrouverons prochainement sur les vols.
Qu’est-ce qui vous guide aujourd’hui dans vos choix : la tendance du marché, l’originalité des vins que vous sélectionnez, l’accord avec les menus à bord ou avant tout leur « résistance », leur « adaptation » à une consommation à 10 000 pieds ?
Il y a un peu de tout. Les accords à bord, c’est difficile. D’une part, les menus changent tous les trimestres, la cave une fois par an. Puis, les repas ne sont pas les mêmes sur les diverses routes, alors que la carte des vins reste identique sur tous les vols. Il s’avère donc compliqué de faire des accords mets et vins pointus. En fait, c’est la composition de la carte qui doit répondre à ce problème. C’est-à-dire que nos suggestions et nos propositions reposent sur des vins dont la texture diffère : un rouge léger sur le fruit, un rouge trapu et puissant, un blanc à support acide et minéral, un rosé ou un blanc gras et généreux. Avec les « coups de cœur », on met un blanc plutôt à l’opposé de celui qui est sur la carte à l’année, pour que les choix soient variés, complémentaires. Cela permet au client de privilégier soit un vin vif, nerveux, pointu, avec une belle acidité, soit un vin un peu opulent, riche. Pour les rouges, un vin de soif et de plaisir immédiat, sans aspérité, et puis un rouge avec un peu plus de caractère, plus vineux que celui-ci. La composition de notre carte est ainsi définie : présenter des vins de profil multiple qui donneront l’occasion aux voyageurs, qui recevront quelques conseils avisés, d’opter pour les plus probants.
Est-ce l’équipage qui va orienter le client ?
Oui, la formation que je dispense à l’équipe va notamment les amener à dire : « Aujourd’hui, en plus du vin blanc, nous avons aussi un rosé. » Car la formation sur les accords mets-vins a servi à démontrer que le rosé pouvait être une autre option au vin blanc avec nombre de plats. Le rosé a cette notion de polyvalence, sur des viandes comme sur des poissons.
Grâce à cela, nous avons plusieurs cordes à notre arc afin de cibler un accord le plus précis possible.
Autre exemple : le vin de dessert de la carte, un jurançon, est dans un axe précis. Il se fonde sur des sucrés salés, des fromages persillés, des entrées de foie gras avec un chutney. Il peut être dégusté sur un aigre-doux, des plats à connotation asiatique. Il répond aussi à une dynamique de fruits exotiques en dessert. Or, durant la formation, une hôtesse de l’air me pose cette question : « Mais si on a une tartelette chocolat-caramel, qu’est-ce qu’on fait ? » Je lui apporte des détails : « Notre vin de dessert est plutôt sur des profils de fruits. Pour des desserts lactés, chocolat, caramel, vous avez une possibilité de servir, frais, mais pas trop, un rhum ambré ou une eau-de-vie de cognac, légèrement rafraîchie pour aller sur le cacao. » Et cela fonctionne très bien. Ces formations permettent de donner au personnel navigant des petits conseils utiles.

Former un équipage, ce n’est pas former des sommeliers : quel est l’objectif de ces formations ? Qu’espérez-vous leur transmettre ?
Vous avez raison. On ne va pas faire des sommeliers avec une formation qui dure deux heures. Mais je leur apprends les fondamentaux, des choses à respecter en matière de présentation, d’ouverture de bouteille, de service du vin à la bonne température. Nous définissons aussi le niveau du vin dans le verre, pour que le client puisse le tourner dans le verre, l’aérer, l’oxygéner : il faut donc être mesuré dans le volume. De plus, il est préférable d’y revenir parce que le réchauffement du vin reste à prendre en compte. Garder les vins à une bonne température s’avère important. Fort d’expérience, je vois bien de quelle manière ces derniers se comportent en vol. Par exemple, une bouteille de blanc laissée sur le chariot est fraîche en début de service, mais va vite monter en température. Il faut se montrer vigilant. À ces multiples détails s’ajoutent quelques conseils.
Admettons qu’un voyageur choisisse son menu avec une tendance végétarienne ou poisson, on peut dans ce cas lui proposer soit un rouge léger sur le fruit, soit un blanc. Si le client retient le filet de bœuf Rossini, évidemment, on lui présentera les rouges puissants. Comme on a deux rouges sur carte, on lui dira alors : l’option la plus intéressante, ce serait peut-être ce vin-là, parce qu’il a plus de corps et de chair que celui-ci, il a une meilleure capacité à s’opposer à une viande de bœuf goûteuse et à une sauce réduite.
Le personnel navigant est armé de fiches en complément des formations, durant lesquelles nous essayons de répondre aux questions auxquelles ils et elles sont confrontés au quotidien. Les hôtesses de l’air et les stewards, ce sont des métiers de service. Cela signifie être à l’écoute du client et s’efforcer au maximum de le conseiller.
Peut-on parler d’un « vin de voyage » ? Existe-t-il des vins qui, selon vous, supportent particulièrement bien les conditions du vol ? Comment arrivez-vous à vous projeter pour savoir que tel ou tel vin conservera ses qualités à bord ?
C’est l’expérience qui permet de faire les meilleurs choix dans l’aérien. Il est primordial en amont de penser à des profils de vin qui vont s’épanouir le plus et être les plus ouverts possible en altitude. Bordeaux, par exemple, est une appellation que les Tahitiens aiment. Je l’adore, moi aussi. Mon choix de Bordeaux, sur la nouvelle carte*, s’est porté sur un second vin d’un grand cru classé de Margaux, Malescot Saint-Exupéry, qui se nomme la Dame de Malescot. Je l’ai présélectionné au départ parce que son profil présentait des caractères de rondeur, de souplesse et de velouté. En vol, il sera légèrement plus dissocié qu’à terre, mais conservera ses traits principaux. En revanche, je ne vais pas choisir un vin à structure tannique imposante au sol, parce que je sais qu’il sera démultiplié en hauteur. Cela signifie qu’il y a des profils de millésime que je ne prends pas. Je privilégie les vins équilibrés, aux tannins bien policés, bien équilibrés, bien fondus. C’est une méthode de sélection. Il y a une multitude de vins que j’aime, malheureusement ils sont trop jeunes, car leur jeune millésime offre un bois qui n’est pas encore intégré et les tanins ne sont pas fondus. Ça me plairait de les proposer, mais je ne les retiens pas parce que je sais que, dans l’aérien, ils n’offriront pas à leur qualité optimale.
Pour les blancs, c’est différent. Les blancs ont moins de structure tannique, ils n’ont pas ces problèmes-là. Toutefois, on a une déperdition de l’aromatique en vol. Donc, je cherche des vins qui ont déjà un profil aromatique assez ouvert, qui sont faciles à comprendre, pas des vins sur la réduction. Je ne vais pas prendre ceux qui sont confinés parce qu’ils sont jeunes, qui font ce que l’on appelle la « maladie de bouteille » et n’ont pas libéré toute leur complexité possible. Quand nous avons goûté au sol et qu’on a effectué la présélection avec Alexander Gerner, nous avions à peu près soixante-dix vins. Nous n’en avons retenu que cinq. Mais, sur ces soixante-dix vins, j’avais déjà opéré une présélection de ce que j’aime, des millésimes qui me semblent intéressants. Il est évident que la finalité consiste à rassembler ces profils sur la carte des vins. Tous mes choix ont été réalisés en ce sens, en amont.
* Cette nouvelle carte sera à bord des Tahitian Dreamliners d’Air Tahiti Nui en début d’année 2026
Un bon vin, c’est souvent un souvenir qui reste : avez-vous connaissance de passagers qui ont pris contact avec un domaine après avoir découvert un de leurs vins sur un vol ATN ?
Souvent. Il faut dire que si la sélection d’Air Tahiti Nui s’avère très attractive, elle est aussi valorisée, avec la carte des vins présentée à bord et des commentaires qui mettent en avant les vins, les régions, ce qui attire l’attention. Enfin, la dégustation à bord est en quelque sorte « le jugement de la paix ». Nombre de Tahitiens qui voyagent en business cherchent à retrouver ces vins à Tahiti, ce qui reste possible quand les importateurs locaux les distribuent. Je pense que les voyageurs reconnaissent la valeur ajoutée, la pertinence d’une carte des vins bien faite, car elle propose des vins fédérateurs, connus, reconnus, tandis que d’autres invitent à la découverte.

Vous avez travaillé avec l’équipe de restauration de l’hôtel L’Alliance mets et vins. Le travail de sélection a-t-il commencé à partir des vins ? Si oui, avez-vous présélectionné des produits, soumis des idées de plat ? Ou bien l’équipe a-t-elle travaillé à partir de notes de dégustation de votre part ?
Ils ont travaillé à partir des vins qu’on leur a présentés. De mon côté, j’ai fait des propositions de matières principales en précisant : « Ici, vous avez le pouilly-fumé du domaine Denizot 2023. C’est un sauvignon qui pousse sur des terroirs de silex et de calcaire, avec des arômes d’aneth, de fenouil, des notes d’agrumes, de zestes de citron… » Alors, le chef a préparé un tartare de poisson au yuzu. « Là, on a un rouge de Bordeaux, la Dame de Malescot qui est vraiment sur la souplesse. Il est composé de 35 % de merlot qui amène beaucoup de rondeur et de finesse. C’est un bordeaux 2021, un millésime frais d’influence atlantique, qui a peu d’alcool. » Nous avons eu l’idée d’un accord vin rouge et poisson, avec un pavé de thon en tataki parsemé de quelques graines de sésame, de sarrasin et un peu de sauce soyu. Le chef a terminé avec un laquage de sauce au vin rouge concentrée. Pour le fromage, une pâte pressée comme un comté jeune, j’ai choisi le Mâcon-Villages blanc. Parce que le fromage, c’est aussi un accord de blanc. Enfin, sur le dessert, avec le jurançon, nous avons travaillé sur un fruit exotique. Je leur avais dit : « Faites ce que vous voulez à partir d’ananas, de mangue, de fruits de la passion, de papaye… » La consigne, c’est une alliance mets et vins. Après cette direction à prendre, le chef s’exprime. Puis, il me renvoie les menus. On modifie si besoin quelques détails et c’est prêt.
L’objectif final est-il de mettre en valeur les vins ou un juste équilibre de dégustation des mets et des vins ?
Oui, je crois qu’un menu réussi, c’est un menu dans lequel la cuisine est appréciée à sa juste valeur et les vins aussi. Si les plats sont supérieurs aux vins, ou inversement, ce n’est pas une bonne chose. Un dîner réussi, c’est quand les deux sont en symbiose et en totale association. La difficulté à laquelle on a dû faire face ici, ce sont les températures de service. Sous des climats tropicaux, les vins montent vite en température. Il faut savoir maîtriser ce paramètre en les plaçant dans de l’eau fraîche, accompagnée de poignées de glaçons, les sortir au dernier moment, pas trop froids, sinon les tannins ressortent. Le paradoxe ici, comme à La Réunion et dans d’autres pays qui ont ce genre de climat, c’est qu’il fait chaud et que le vin que l’on a envie de consommer doit avoir des vertus désaltérantes. Il y a plus de place pour boire des vins de soif et de plaisir immédiat que des vins de concentration. Néanmoins, certains Tahitiens aiment les grands vins, les grandes étiquettes, les vins de vieillissement. Dans ce cas, la gestion de la température s’avère d’autant plus capitale. C’est la chose la plus compliquée. Mais c’est toujours très excitant, quelles que soient les contraintes, de proposer une nouvelle carte des vins, de présenter aux voyageurs notre approche, le travail de sélection, montrer que celle-ci n’est pas sortie d’un chapeau. Je prends toujours beaucoup de plaisir à cela.
Pour terminer : parmi les nouveautés 2026, quel vin conseilleriez-vous à l’équipage de faire découvrir à quelqu’un qui ne prendrait qu’un verre à bord d’un Tahitian Dreamliner ?
La découverte de l'année prochaine, c'est certainement les Terrasses du Larzac que j'ai mis à bord. Les Terrasses du Larzac est une jeune appellation de régime contrôlée créée en 2014, il y a 10 ans. Avant, c'était l'appellation Coteaux du Languedoc - Terrasses du Larzac. Cette appellation a une vraie légitimité parce qu'elle est située dans la partie septentrionale du Languedoc, comme son nom l'indique, au pied des contreforts du Larzac. Elle bénéficie d'une altitude, d'une fraîcheur de climat, d'amplitude thermique entre le jour et la nuit qui font que la maturité des raisins se fait plus lentement qu'ailleurs. Les pluviométries apportées par le plateau du Larzac sont importantes : 850 mm d'eau par an, alors que si vous descendez de 100 kilomètres au sud, les vignobles sont à 250-300 mm seulement. Avec le réchauffement climatique, la vigne subit alors le stress hydrique. Cela signifie que la maturité est bloquée par le manque d'eau. Même si la vigne déstresse avec les premières pluies, les tannins ne s'en remettent jamais.Pour sa diversité de climats, de terroirs, d'orientation, de géologie, de cépages, les Terrasses du Larzac est une appellation existante très intéressante, Elle n’existe qu’en rouge pour le moment, mais elle mérite d’avoir des vins blancs.
J'ai choisi un domaine qui est magnifique, le Mas Fabregous, qui est 60% syrah, grenache et carignan et qui est situé sur le village de Soubès, à 450 mètres d'altitude, à côté de Pégairolles-de-l'Escalette. Ce sont les dernières communes les plus au nord des Terrasses du Larzac.
Ces vins remplissent leur rôle. Ils ont une identité aromatique qui correspond à ce qu'on est en droit d'attendre d’un vin du sud : les épices, les parfums du maquis, la garrigue, la tapenade d'olive noire. Le fruit est toujours très scintillant, très juteux. Le vin reste puissant bien sûr –Languedoc oblige. Mais c’est un vin qui respire la Méditerranée et le sud sans en avoir les inconvénients, c'est-à-dire sans être trop alcooleux, ou trop cuit dans les arômes et les saveurs.Mas Fabregous 2023 serait mon coup de cœur.