Alliances mets & vins
- 7 nov.
- 6 min de lecture
Un exercice particulier à 10 000 mètres d’altitude ! Olivier Poussier, meilleur sommelier de France 1990, mais également du monde 2000, est le sommelier consultant pour Air Tahiti Nui depuis 2017. Il est chargé de sélectionner les vins de la classe business, selon une philosophie qu’il a confiée à Reva Tahiti,
lors de son dernier passage à Papeete, en mai 2025. Interview aérienne avec Olivier Poussier
Interview : Agence Smile - Photos : Doris Ramseyer

Comment choisissez-vous les vins que vous mettez à bord et qui vont être dégustés lors de ce dîner spécial Club Tiare au Hilton Tahiti ?
Au-delà des attentes des clients, qui sont bien sûr très importantes, j’ai des repères sur les vins qui seront les plus à même d’être lisibles dans l’avion. En effet, quand vous êtes dans les airs, dans une atmosphère pressurisée, vous subissez quelques modifications organoleptiques : 25 % du potentiel aromatique est perdu. Même si, aujourd’hui, avec les Tahitian dreamliners, il y a moins de bruit, un fond sonore moins perturbant, une atmosphère plus douce qu’auparavant. Il n’empêche que la pressurisation est là et que les vins réagissent à l’altitude de façon différente, ce qui change leur perception.

Prenez l’exemple des bulles : en altitude, l’aspect de la bulle et son effervescence subissent des transformations. Les bulles deviennent beaucoup plus grossières, plus épaisses, plus percutantes qu’à terre, quels que soient la qualité et le niveau du champagne. Il faut aussi bien comprendre que l’altitude modifie les vins à structure et à relief tannique. En vol, les tannins sont mis en exergue.
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L’alliance mets et vins présentée en mai dernier au Hilton Tahiti a été préparée par Olivier Poussier à partir de la sélection des vins de la nouvelle carte Poerava business, qui sera mise en service à bord en début d’année 2026.
Mon rôle, en tant que sommelier, est également d’être prescripteur. Car le sommelier doit apporter sa touche.
Les profils de vins rouges que je sélectionne présentent des caractères de rondeur, de souplesse et de velouté. En vol, ils peuvent être légèrement plus dissociés qu’à terre, mais conserveront leurs traits principaux. En revanche, je ne vais pas choisir un vin à structure tannique imposante au sol, parce que je sais qu’il sera démultiplié en hauteur.
Pour les blancs, c’est différent. Les blancs ont moins de structure tannique, ils n’ont pas ces problèmes-là. Toutefois, on a une déperdition de l’aromatique en vol. Donc, je cherche des vins qui ont déjà un profil aromatique assez ouvert, qui sont faciles à comprendre, pas des vins sur la réduction.

De leur côté, les clients aiment retrouver des vins qu’ils connaissent, aux appellations fédératrices. Mon rôle, en tant que sommelier, c’est de garder cela en tête, mais également d’être prescripteur. Car le sommelier doit apporter sa touche. C’est ce que l’on a tenté de proposer à travers le tender* d’Air Tahiti Nui, avec la présence de vins français et étrangers qui représentent l’évolution du vignoble mondial, notamment tarifaire en ce qui concerne certains vignobles. Il s’agit d’une donnée à prendre en compte, puisque je dois, bien entendu, répondre lors de mes sélections à un cahier des charges. Nous disposons d’un beau budget chez Air Tahiti Nui, bien meilleur que dans d’autres compagnies internationales. Toutefois, avec l’augmentation du prix de certaines appellations, il faut faire des choix, à la fois qualitatifs et séduisants pour le consommateur, mais qui correspondent à un cadre économique.

Qu’est-ce qui vous guide aujourd’hui dans vos choix : la tendance du marché, l’originalité des vins que vous sélectionnez, l’accord avec les menus à bord ou avant tout leur « résistance », leur adaptation à une consommation à 10 000 mètres d’altitude ?
Il y a un peu de tout. Les accords à bord, c’est difficile. D’une part, les menus changent tous les trimestres, la cave une fois par an. Puis, les repas ne sont pas les mêmes sur les diverses routes, alors que la carte des vins reste identique sur tous les vols. Il s’avère donc compliqué de faire des accords mets et vins pointus. En fait, c’est la composition de la carte qui doit répondre à ce problème. C’est-à-dire que nos suggestions et nos propositions reposent sur des vins dont la texture diffère : un rouge léger sur le fruit, un rouge trapu et puissant, un blanc à support acide et minéral, un rosé ou un blanc gras et généreux. Avec les « coups de cœur », on met un blanc plutôt à l’opposé de celui qui est sur la carte à l’année, pour que les choix soient variés, complémentaires. Cela permet au client de privilégier soit un vin vif, nerveux, pointu, avec une belle acidité, soit un vin un peu opulent, riche. Pour les rouges, un vin de soif et de plaisir immédiat, sans aspérité, et puis un rouge avec un peu plus de caractère, plus vineux que celui-ci. La composition de notre carte est ainsi définie : présenter des vins de profil multiple qui donneront l’occasion aux voyageurs, qui recevront quelques conseils avisés, d’opter pour les plus probants.
Un bon vin, c’est souvent un souvenir qui reste : avez-vous connaissance de passagers qui ont pris contact avec un domaine après avoir découvert un de leurs vins sur un vol ATN ?
Souvent. Il faut dire que si la sélection d’Air Tahiti Nui s’avère très attractive, elle est aussi bien valorisée, avec la carte des vins présentée à bord et des commentaires qui mettent en avant les vins, les régions, ce qui attire l’attention.
Enfin, la dégustation à bord est en quelque sorte « le jugement de la paix ». Nombre de Polynésiens qui voyagent en classe Poerava business cherchent à retrouver ces vins à Tahiti, ce qui est d’ailleurs possible quand les importateurs locaux les distribuent. Je pense que les voyageurs reconnaissent la valeur ajoutée, la pertinence d’une carte des vins bien faite, car elle propose des vins fédérateurs, connus ou reconnus, tandis que d’autres invitent à la découverte.

Comment avez-vous travaillé avec l’équipe de restauration de l’hôtel Hilton Tahiti ? Le travail de sélection des plats commence-t-il à partir des vins ? Avez-vous soumis des idées de plat ?
L’équipe a travaillé à partir des vins qu’on leur a présentés. De mon côté, j’ai fait des propositions de matières principales en précisant : « Ici, vous avez le pouilly-fumé du domaine Denizot 2023. C’est un sauvignon qui pousse sur des terroirs de silex et de calcaire, avec des arômes d’aneth, de fenouil, des notes d’agrumes, de zestes de citron… »
Alors, le chef a préparé un tartare de poisson au yuzu. « Là, on a un rouge de Bordeaux, la Dame de Malescot qui est vraiment sur la souplesse. Il est composé de 35 % de merlot qui amène beaucoup de rondeur et de finesse. C’est un bordeaux 2021, un millésime frais d’influence atlantique, qui a peu d’alcool. » Nous avons eu l’idée d’un accord vin rouge et poisson, avec un pavé de thon en tataki parsemé de quelques graines de sésame, de sarrasin et un peu de sauce soyu. Le chef a terminé avec un laquage léger de sauce au vin rouge concentrée.
Pour le fromage, avec une pâte pressée comme un comté jeune, j’ai choisi le Mâcon-Villages blanc. Parce que le fromage, c’est aussi un accord de blancs.
Enfin, sur le dessert, avec le jurançon, nous avons travaillé sur un fruit exotique. Je leur avais simplement dit : « Faites ce que vous voulez à partir d’ananas, de mangue, de fruits de la passion, de papaye… » Une fois ces quelques consignes données, des directions à prendre, le chef s’exprime. Puis il me renvoie les menus. On modifie si besoin quelques détails et c’est prêt.

L’objectif final est-il de mettre en valeur les vins ou un juste équilibre de dégustation des mets et des vins ?
Oui, je crois qu’un menu réussi, c’est un menu dans lequel la cuisine est appréciée à sa juste valeur et les vins aussi. Si les plats sont supérieurs aux vins, ou inversement, ce n’est pas une bonne chose. Un dîner réussi, c’est quand les deux sont en symbiose et en totale association. La difficulté à laquelle on a dû faire face ici, ce sont les températures de service. Sous des climats tropicaux, les vins montent vite en température. Il faut savoir maîtriser ce paramètre en les plaçant dans de l’eau fraîche, accompagnée de poignées de glaçons, les sortir au dernier moment, pas trop froids, sinon les tannins ressortent. Le paradoxe ici, comme à La Réunion et dans d’autres pays qui ont ce genre de climat, c’est qu’il fait chaud et que le vin que l’on a envie de consommer doit avoir des vertus désaltérantes. Il y a plus de place pour boire des vins de soif et de plaisir immédiat que des vins de concentration.
Néanmoins, certains Tahitiens aiment les grands vins, les grandes éti-quettes, les vins de vieillissement. Dans ce cas, la gestion de la température s’avère d’autant plus capitale. C’est la chose la plus compliquée. Mais c’est toujours très excitant, quelles que soient les contraintes, de proposer une nouvelle carte des vins, de présenter aux voyageurs notre approche, le travail de sélection, montrer que celle-ci n’est pas sortie d’un chapeau. Je prends toujours beaucoup de plaisir à cela.
* Cette nouvelle carte sera à bord des Tahitian Dreamliners d’Air Tahiti Nui en début d’année 2026







