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Pain du Fenua. Une boulangerie qui s'enracine

  • 8 nov.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 nov.

Installé comme boulanger à Raiatea depuis 2020, Benoît Babinger a pour ambition de régaler ses congénères avec des pains dotés de réelles qualités nutritionnelles. La première des nécessités n’est-elle pas de s’alimenter convenablement ? Dans cette optique, l’artisan se tourne vers les farines locales, complètes et ultra fraîches.


© Texte Text : Gaëlle Poyade - Photos : Jean-Marie Gravot


Rien de moins improvisé que la fabrication du pain et pourtant que d’imagination dans les recettes de Pain du Fenua !
Rien de moins improvisé que la fabrication du pain et pourtant que d’imagination dans les recettes de Pain du Fenua !

Gourmande et nourrissante, telle est la carte de Pain du fenua. D’un côté, la panière déborde de miches, campagne et tournesol, qui satisfont les amoureux du pain à l’ancienne, car elles sont réalisées uniquement au levain naturel. S’y ajoutent pléthore de pains spéciaux dont le moulé amande-noisette-raisin, le moulé taro ou encore le moulé māpē. De l’autre côté, la gamme comble les petits creux avec des brioches individuelles ou familiales, aux généreuses pépites de chocolat, ou bien avec une offre « sur le pouce » constituée de pains viennois, de fougasses et d’autres pains burgers.



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Pour multiplier ces pains, Benoît Babinger s’appuie sur une expérience de vingt ans. Dans son atelier situé à Avera, l’artisan fait preuve d’une concentration multitâche. Peser chaque ingrédient, homogénéiser la pâte à l’aide du pétrin, surveiller la fermentation, façonner les pâtons, enfourner et veiller à la cuisson sont autant d’étapes cruciales. Qu’il saupoudre d’un nuage de farine son plan de travail ou qu’il époussette le surplus de farine sur ses pâtons en cours de façonnage, le boulanger méticuleux a des gestes assurés et doux, donnant à son artisanat un supplément d’âme.


Ce boulanger méticuleux a des gestes assurés et doux

L’évolution du métier de boulanger

« Je travaille à l’ancienne, en direct », explique Benoît, « c’est-à-dire que je réalise toutes les étapes à la suite, de la fabrication de la pâte à la cuisson des produits, soit de 7 heures du matin à 14 heures ». Le boulanger solitaire a choisi cette organisation qui lui permet de vendre ses créations lui-même, au marché d’Uturoa, une matinée sur deux. « La majorité des boulangeries fonctionnent, elles, en indirect, avec un système de blocage à froid », rapporte le professionnel. « En journée, les mitrons fabriquent la pâte, la font lever et la mettent au frigo pour stopper la fermentation. Au cours de la nuit, le frigo se transforme en chambre de pousse, de sorte que la fermentation reprend. Aux aurores, les ouvriers n’ont plus qu’à cuire le pain qui est

aussitôt placé en boutique. »


L’enjeu des farines locales

’Uru, taro, māpē, coco, bananes… nombre de vivriers peuvent être transformés en farine et agrandir l’offre culinaire. Transformées sur place et de manière artisanale, ces farines sont complètes et, bien sûr, ultrafraîches. En outre, à l’heure où nombre de personnes deviennent intolérantes, voire allergiques au gluten, ces farines qui n’en contiennent pas sont une solution santé intéressante.


Je travaille à l’ancienne, en direct


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Pour toutes ces raisons, Benoît Babinger, qui a déjà proposé des moulés mixtes taro-blé ainsi que māpē-blé, s’est penché sur les farines made in fenua. Il a rapidement eu vent de l’activité de culture et de transformation de taro de l’agricultrice Mirna Tuheiava, installée au sud de Raiatea. Celle-ci produit du taro qui est vendu découpé et congelé en magasin. Or, lors de la découpe en rondelles, pour ne pas gaspiller les morceaux trop petits, elle a eu l’idée d’en faire de la farine.


Coopération avec l’agricultrice BIO

Mus par des ambitions communes – le bio, l’antigaspi, les produits locaux –, l’agricultrice et le boulanger entament en 2023 une belle collaboration professionnelle. Les chutes de taro coupées en lamelles sont desséchées, soit au déshydrateur, soit au soleil, mixées, puis passées au moulin à farine, afin d’obtenir une mouture fine. « Ensemble, nous allons aussi fabriquer de la farine de ’uru », ajoute Benoît Babinger, car Mirna a planté tout un verger, « de sorte qu’à l’avenir, nous n’aurons pas de rupture saisonnière. Quant à la farine de māpē, je recherche un fournisseur qui me vendrait les fruits crus et décortiqués, et pas cuits comme c’est l’habitude ».


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Revisiter les recettes

Motivé, l’artisan procède à des expériences avec, par exemple, la farine de banane qu’il a lui-même obtenue. Ses crêpes, cuisinées exclusivement à la farine de taro, ont déjà passé le test familial ! Côté boulangerie, l’incorporation de ces nouvelles farines se fait progressivement car, sans gluten, elles exigent un travail spécifique de la pâte. « Il faut trouver l’alchimie entre toutes ces farines locales et les intégrer, chacune, à la juste proportion afin d’obtenir un pain goûteux, moelleux et croustillant.

À force d’essais, j’espère bien trouver une formule composée d’ingrédients cent pour cent polynésiens », confie-t-il.








Productrice de taro dans le sud de Raiatea, Mirna Tuheiava transforme elle-même ce vivrier en sachets prêts à cuire et, à l’occasion, en farine.
Productrice de taro dans le sud de Raiatea, Mirna Tuheiava transforme elle-même ce vivrier en sachets prêts à cuire et, à l’occasion, en farine.

Artisanat et commerce : un couple mal marié

Pour atteindre ce but, il faudrait que le coût de revient des farines locales baisse franchement. Faute d’équipement professionnel, l’épluchage manuel du taro comme du ’uru est long comme un jour sans pain, aboutissant à une farine de taro évaluée à 2 800 francs le kilo1. Pour disposer de farines made in Raiatea abordables, il y a encore du pain sur la planche. Mais la conviction reste forte ! En cohérence avec la politique actuelle prônant l’autosuffisance alimentaire, des mesures d’aide seraient les bienvenues afin d’encourager l’initiative citoyenne de ce tandem agricultrice-boulanger.

Sur l'île de Raiatea, ces confections artisanales sont nées de la coopération entre le boulanger Benoit Babinger et l’agricultrice Mirna Tuheiava.

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Se mettre à l’abri des ruptures de stock

La majorité des ingrédients utilisés en boulangerie ne sont pas fabriqués sur place ; d’où l’extrême dépendance des produits panifiés vis-à-vis des importations. « En novembre 2024, les boulangers qui travaillent avec les farines de froment PPN2 ont été limités dans leur production à la suite des difficultés d’approvisionnement. Des quotas de livraison leur ont été imposés », rapporte Benoît Babinger. Or, les farines locales permettent non seulement de s’affranchir de cette dépendance extérieure, mais aussi elles garantissent une fraîcheur à toute épreuve. « Du fait de notre situation d’isolement, la farine de blé n’arrive qu’après deux mois de bateau », souligne le boulanger, « et donc, passablement oxydée. Je fais alors des mélanges pour obtenir une meilleure consistance ».


Pour se prémunir de toute rupture concernant d’autres ingrédients ; noix, noisettes, chocolat, graines de tournesol... Benoît réfléchit à des substances locales qui pourraient les remplacer. « Je m’intéresse de près à la noix de Navelle3. Cependant, le marché n’existe pas, alors je dois fouiner par moi-même pour dénicher des propriétaires d’arbres qui voudraient bien me la vendre déjà décortiquée et séchée. »

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