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Hereiti Seaman

Une vie saine aux Marquises


© Textes : Virginie Gillet - Photos Hereiti Seaman, DR.


Certains semblent mener dix existences parallèles avec une fluidité magnifique tandis que beaucoup peinent déjà à gérer une seule vie. Sereine, dévouée, inspirante et généreuse, Hereiti Seaman, 25 ans, qui vient de publier un livre de recettes de cuisine édité Au Vent des îles, fait visiblement partie de cette caste d’élus à l’œuvre partout et sur tous les fronts. Rencontre.


Née à Papeete le 27 mai 1994 d’une maman originaire de Moorea et d’un papa australien, qui avait lui-même une maman tahitienne, Hereiti a passé les 13 premières années de sa vie à Bora Bora avant de partir toute seule à Hawaï, au moment de la séparation de ses parents, suivre ses années de lycée au sein d’une école « isolée et perchée dans la montagne ». Elle y restera 6 ans. La jeune femme y fait l’apprentissage de l’autonomie et d’une forme de pensée très personnelle. Très vite, un constat : l’école « ne sera jamais son truc. Je ne pensais qu’à être dehors. Enfermée, je n’avais pas l’impression d’apprendre beaucoup. Je n’ai jamais trouvé quoi faire ». Après avoir abandonné l’idée d’études d’art à San Francisco, la jeune femme revient durant un an à Tahiti pour suivre un cursus d’assistant manager qu’elle abandonnera vite et non diplômée. Seule option possible à ses yeux pour trouver du travail : les îles. Hésitant entre Bora et les Marquises, d’où son amoureux est originaire, le couple qu’elle forme désormais avec son compagnon choisit finalement Atuona, à Hiva Oa, où elle ne tarde pas à s’inventer un destin beaucoup plus proche de sa profondeur et de ses convictions…


Tama’a : Ta démarche actuelle, ton mode de vie en réalité, recouvre de nombreux aspects. Par quoi les interrogations personnelles qui t’ont emmenée sur cette voie ont-elle commencé ?

Hereiti Seaman : “Ma première préoccupation, vers l’âge de 15 ans, s’est portée sur l’alimentation. J’ai commencé à m’interroger par rapport à d’où venaient les aliments dans mon assiette. Durant mon séjour à Hawaï, j'avais glané des informations sur les élevages animaux et c’était quelque chose auquel je ne voulais pas participer. Je prenais soin de mon corps et je ne supportais pas l’idée de faire, dans le même temps, du mal aux autres, personnes comme animaux. J’ai donc arrêté de consommer de la viande et du poisson à l’âge de 15 ans, très rapidement et facilement, tout en continuant à manger des œufs, du lait et du fromage. À cette époque, j’avais encore le sentiment que ces produits ne portaient pas préjudice aux animaux. Plus tard, une fois installée aux Marquises, j’ai découvert que si. C’est là que je suis devenue végan.”

Est-ce qu’il y avait par rapport à ces préoccupations une sorte de « sensibilité familiale » ou est-ce qu’il y a eu un élément déclencheur ?

“Mon entourage n’était pas sensibilisé du tout à ces préoccupations, qui me sont venues naturellement à l’adolescence. Durant mon séjour à Hawaï, nous avons organisé des vacances familiales durant lesquelles nous sommes allés à Chinatown. Dans ce quartier, il y avait un marché d’animaux où on trouvait littéralement de tout. En voyant une cage remplie de grenouilles agglutinées dans des conditions sordides, je me suis demandé pourquoi on faisait ça. Ensuite, j’ai réalisé que le fait de consommer certaines espèces et pas d’autres relevait de l’hypocrisie. C’est sûr que ça a été un élément déclencheur.”


Beaucoup de gens qui envisagent de devenir végétariens pensent qu’il suffit pour cela de supprimer la viande ; est-ce que c’est le cas ?

“Dès le début, j’ai tout de suite fait des recherches, surtout quand je suis devenue vegan, car forcément on te parle immédiatement de carences et je fais très attention à cet aspect des choses. je me suis toujours sentie bien, j’ai toujours fait du sport. Mais depuis 5 ou 6 ans, je subis également des tests régulièrement, des prises de sang, afin de vérifier que tout va bien. Et le résultat, c’est que je n’ai jamais eu de carences ! Même mon docteur, qui n’est d’ailleurs a priori pas favorable à ces modes d’alimentation, en est très étonnée. Au début, j’avais juste un taux un peu bas en vitamine B12, donc depuis je me supplémente. C’est d’ailleurs la seule supplémentation que j’aie jamais prise. En revanche, c’est vrai, j’ai complètement réadapté mon alimentation, qui est aujourd’hui essentiellement à base de légumineuses, de fruits et de légumes. Je consomme notamment beaucoup de pota, brocolis, roquette, épinards, pois chiches, toutes sortes de haricots… Le reste est constitué de noix et de graines.”

Comment tout ceci a-t-il fini par prendre la forme d’un livre ?

“Ça a commencé par du partage. Lors de fêtes avec les amis, j’emmenais des plats végétariens et les gens ont bien souvent été très étonnés de la variété et des saveurs de ces plats alors qu’ils s’attendaient à des choses tristes et fades. Ils m’ont posé beaucoup de questions, demandé des recettes et, de fil en aiguille, je me suis dit que ça pourrait intéresser d’autres personnes. Après avoir constaté que ce n’était pas du tout développé ici, j’ai donc créé ma page Facebook Vegan Tahiti pour partager des recettes et ça a suscité beaucoup d’intérêt. Au point de m’inciter à créer, en 2017, ma chaîne YouTube du même nom. Si j’ai inventé pas mal de recettes, il y en a aussi un certain nombre que j’ai piochées sur Internet mais en les mettant totalement à ma sauce. Beaucoup viennent aussi de ma grand-mère paternelle, apprises avec elle durant mon enfance car c’était l’un de nos passe-temps favoris quand nous étions ensemble. Dans la continuité de tout ça, j’ai été contactée par un journal local pour une interview portant sur le véganisme. Cette interview a retenu l’attention de Christian Robert, le fondateur des éditions Au Vent des îles, qui m’a rapidement proposé un projet de livre de cuisine. ”


Le yoga est l’autre grande passion de ta vie… Que peux-tu nous en dire aussi ?

“J’ai commencé à pratiquer à la suite d’une période de stress, toute seule, en suivant des tutos sur Internet. Je faisais déjà pas mal de sport, mais j’ai éprouvé le besoin de me rencontrer davantage sur mes émotions, d’être plus consciente de tout ce qui se passait à l’intérieur de moi. J’ai commencé aux Marquises, avec des copines qui n’en avaient jamais fait non plus parce que la pratique n’y était pas connue. Très rapidement, j’ai eu l’occasion de faire une retraite avec Sharleen, bien connue dans ce milieu, à Moorea ; elle a été mon modèle et m’a incitée à devenir professeur. Je suis donc partie un mois en Inde, à Rishikesh, me former pour cela, car je voulais apprendre plus que les postures, la dimension spirituelle de ces pratiques. J’en suis rentrée diplômée, en juillet 2018, de l’Alliance de yoga internationale. De retour sur mon île, j’ai commencé à donner des cours sur un terrain vague, devant la montagne, à une quinzaine d’élèves avant d’ouvrir une salle, Te Anuanua Yoga. J’ai retenu des Indiens qu’ils donnent tout alors qu’ils n’ont pas grand-chose. Donc aujourd’hui, je m’efforce de pratiquer des tarifs très accessibles pour toucher le plus de monde possible. En marge de la connexion à la nature et des vibrations exceptionnelles que l’on rencontre aux Marquises, les gens y ont une vie pleine. Ils ont donc aussi besoin de prendre du temps pour eux, de prendre soin d’eux et de renouer avec leurs capacités.”


Quelle dimension supplémentaire apporte à ton parcours le fait de le vivre aux Marquises justement ? Êtes-tu particulièrement inspirée par ces îles ?

“Les mentalités n’y sont pas forcément plus évoluées qu’ailleurs sur certains aspects de la vie quotidienne, d’ailleurs il y a encore beaucoup de travail à y faire, mais c’est vrai que la beauté de la nature y incite particulièrement à ne pas être superficiel et à ne pas porter préjudice à tout ça. Cela inspire la préservation du monde entier en essayant de faire sa petite part là où chacun d’entre nous se trouve afin de ne pas porter préjudice à ce qui nous est donné. Je crois aussi qu’il faut savoir renouer avec des choses que les anciens faisaient en les adaptant à la modernité.”


Quels sont à ce stade tes objectifs, tes projets, tes espoirs, tes messages peut-être ?

“Disons que j’ai déjà une vie très chargée car pour l’heure je continue à gérer, avec mon copain, notre bureau de location de voitures (leur première société créée sur place, NDLR) ainsi qu’une galerie d’art marquisien. J’assure aussi des cours d’anglais particuliers aux enfants tout en faisant tourner le studio de yoga. Je fais également partie de l’équipe des sauveteurs en mer de Hiva Oa, très souvent appelée pour des interventions. Et j’ai récemment encore créé une association de protection de l’environnement, Tutuki e ho, pour sensibiliser les gens et leur apprendre à faire les bons gestes. Sans oublier que je veux continuer à faire mes vidéos et mes recettes… Tout ça laisse assez peu de place à de nouveaux projets (rire) ! En revanche, j’ai vraiment envie de continuer à apprendre des gens et de partager avec eux ce que je connais. Mon idéal ce serait vraiment de voir naître une cohabitation plus respectueuse entre la nature et tous les êtres. Venir en aide à la nature et aux animaux c’est venir en aide aux humains. Peut-être que c’est ce que nous retiendrons tous collectivement des événements de ce début d’année… Je l’espère.”

 

« Hereiti et sa cuisine végétale »

C’est le titre du livre de 207 pages qui vient de paraître aux éditions Au vent des îles et dans lequel Hereiti aura finalement compilé en près d’un an et demi presque une centaine de recettes « végétales » (« car le mot vegan fait encore fuir les gens »), desserts, mets pour le petit déjeuner, plats principaux, jus, smoothies, sauces, pâtes, « faux fromages », etc. Mais la jeune femme voulait qu’il soit bien davantage que cela, bien plus qu’un livre de cuisine, qu’il lui ressemble et reflète sa façon de voir les choses et son style de vie. Vous y trouverez donc également des traces savamment distillées de son parcours, mais aussi plus prosaïquement sa liste de courses, les endroits où trouver les aliments, les différentes définitions distinguant aujourd’hui les végans des végétariens ou encore des flexitariens, des portes ouvertes sur les mondes de la spiritualité et du yoga ou encore des astuces pour répondre à ses propres aspirations à la préservation de l’environnement, comme par exemple des pistes pour réduire sa consommation de plastiques à usage unique ou encore mieux réfléchir à sa consommation d’énergie… En un mot, un ouvrage « holistique » fait « pour aider à choisir ce qu’on veut dans sa vie ». Un programme joliment éclairé et bienvenu par ces temps de croisée des chemins.

 


Mai 2020

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