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La Polynésie côté bière

Textes & photos : Delphine Barais


En l’espace de quelques mois, trois brasseries artisanales ont vu le jour à Tahiti :

Parahata beer, Hoa et Mātāvai. Chacune a son propre parcours, son équipe, sa vision, ses ingrédients et recettes mais toutes sont portées par la même envie d'offrir des breuvages savoureux, conçus à base de produits de qualité.


« La bière c’est quatre ingrédients » aiment à répéter Guillaume Desrez et Thomas Slowinski. Ils ont fondé Hoa. « Il y a de l’eau, du houblon, du malt et de la levure auxquels s’ajoutent, ou non, des épices. » A en croire Laurent Carmona, « les combinaisons sont infinies, ou presque » ! Lui a fondé Parahata Beer il y a trois ans. Depuis, il fait de la recherche et développement, peaufine ses recettes.


Les brasseurs ont plusieurs leviers pour se différencier. « Est-ce que vous savez, par exemple, qu’il existe des milliers d’espèces de houblon, qu’il en sort tous les ans, qu’on parle même de cuvées de houblon en fonction des années ? », interroge Laurent Carmona. Il y a au cours de la préparation de la bière « tout un tas de biomécanismes à connaître, c’est passionnant ! », insiste celui qui parle de travail bien fait, de transmission. « Je veux faire des choses dont je suis fier ! ».


Il y a de l'eau du houblon, du malt et de la levure auxquels s'ajoutent, ou non, des épices.

Un alcool vieux comme le monde, ou presque La bière est l’un des premiers alcools fabriqués par l’homme. Elle pourrait avoir vu le jour ver 8 000 av. J.C en Mésopotamie dès que les premières civilisations surent cultiver les céréales comme l’orge et l’épeautre (type de blé).


Étapes et processus

Chez Mātāvai, Hoa et Parahata Beer les étapes sont les mêmes, comme dans toute brasserie artisanale.

La céréale (souvent de l’orge), transformée en malt, est mélangée à de l’eau à haute température. C’est l’empâtage. Le malt, plus ou moins torréfié, est celui qui donne sa couleur à la bière. La chaleur permet de réveiller les enzymes qui vont extraire l’amidon des céréales pour les transformer en sucre.

Après cette étape, le liquide est filtré et transféré dans une cuve à ébullition où sont ajoutés le houblon (qui apporte amertume et arômes) et, éventuellement, les épices. Cela donne le moût. Ce dernier est placé, avec de la levure, dans des cuves à fermentation. À cette étape, les levures se multiplient. Quand il n’y a plus d’oxygène, elles se nourrissent des sucres et libèrent l’alcool.

À l’issue, la bière est mise en bouteille. Elle se conserve quelques mois seulement et se déguste « le plus tôt possible », les arômes et saveurs se dégradant avec le temps.



Conservation et dégustation

La bière artisanale étant un produit « vivant », elle se conserve au réfrigérateur, en position debout. Choisissez un verre adapté à humidifier légèrement avant de le remplir. Cela réduit la quantité de mousse. Cette pratique est en relation avec la formation de la mousse de la bière. La nucléation, comme le disent les chimistes, est favorisée par les impuretés. En fait, ce sont des dépôts microscopiques qui se trouvent sur la paroi des verres (même les plus propres) qui entraînent l’apparition de bulles. Des cristaux de sel, par exemple, se fixent sur les parois quand l’eau a séché ou encore des microfibres du torchon qui avait servi à l’essuyer. En rinçant le verre, vous réduisez la quantité de dépôt et donc de mousse.


Enfin, commencez toujours par consommer des bières à plus faible teneur en alcool et les moins aromatisées possible.



C'est l'avantage des petites brasseries, on peut sortir des nouveautés, intégrer des fruits, des épices, mettre au point des recettes vraiment originales.

A chacun son parcours

Mātāvai est installé à Arue. L’équipe est composée de Matthieu Daumont, à l’origine du projet, Jérémy Brement un ancien collègue et ami passionné de vins et de Loan Le Maol, brasseur professionnel. Mātāvai possède dans ses locaux une vieille brasserie anglaise de 25 ans d’âge dénichée dans un bout du monde breton. « Quand j’ai avancé sur mon projet de fabrication de bière artisanale, se souvient-il, je me suis mis à chercher le matériel. J’ai vu passer l’annonce de cette vieille brasserie anglaise. Le propriétaire breton voulait s’équiper de quelque chose de plus grand. »

Matthieu Daumont est allé en Bretagne pour la voir une première fois. Il y est retourné pour participer au démontage, avant de la ramener à Tahiti en janvier 2019. Lors de ses visites en Bretagne, il a rencontré Loan Le Maol, brasseur professionnel. Ce dernier était très attaché à la vieille dame pour avoir commencé sa vie professionnelle avec elle. Loan Le Moal travaillait pour une brasserie française de renom mais voulait changer d’air. Matthieu était en quête d’un brasseur. Le Breton a intégré Mātāvai.

Depuis, il suit de près toutes les étapes de fabrication des produits de la marque : la blonde, la blanche, l’ambrée, la triple ainsi que toutes les déclinaisons éphémères de Mātāvai.

« C’est l’avantage des petites brasseries, on peut sortir des nouveautés, intégrer des fruits, des épices, mettre au point des recettes vraiment originales », se réjouit Matthieu Daumont.

La brasserie de Mātāvai n’est pas dotée d’électronique, ni d’outil informatique. Tout se fait à la main, « à l’œil » et « au ressenti » et repose sur les talents du brasseur.


3B, premier sur le marché Polynésien

Les 3 Brasseurs Tahiti est la première micro-brasserie de Polynésie. Elle a ouvert le 13 juin 1998, produisant sur place des bières artisanales non pasteurisées ! Les 3 Brasseurs est une franchise française de micro-brasserie née en 1986 à Lille.


L’idée est simple à l’époque :

Ouvrir un restaurant dans lequel la bière sera de qualité et brassée sur place. La cuisine s’accorde avec la bière, elle se décline en plats originaires du nord de la France et d’Alsace (notamment des tartes flambées). En décembre 2019, une trentaine d’établissements de la franchise était recensée en France et en outre-mer.



 

Savoir-faire et amitié

Hoa aussi est une histoire de savoir-faire, de saveur et d’amitié, comme l’indique son nom (en tahitien, Hoa signifie l’ami). Guillaume Desrez et Thomas Slowinski ont grandi en Polynésie, ont suivi des études en France et ont fini par rentrer au fenua, l’un après l’autre. En Europe, la bière artisanale connaissait un grand succès, « on s’est dit qu’en Polynésie, elle pourrait connaître la même chose. On a voulu proposer un univers différent de la bière de soif pour les amateurs ».



Hoa propose une polynesian ale blonde, une bière blanche de tradition belge et une triple au gingembre. La marque propose en plus des bières éphémères. Ces bières racontent une histoire, « celle de l’endroit où on a imaginé pouvoir les consommer : vallée, lagon... »

L’aventure Hoa a démarré il y a deux ans. Guillaume Desrez s’est formé pendant un an au brassage de la bière en Australie et en France. Le duo a trouvé le hangar qu’il occupe à Fare Ute en janvier 2019. Il a fallu une année de travaux pour lui donner un air accueillant, chaleureux propice à la fabrication de la bière mais aussi à sa dégustation.


Craft beer, un engouement international

La bière est un marché mondial de près de 300 milliards de dollars. Plus de 200 milliards de litres sont consommés chaque année. Le secteur a chuté de 30 % ces trente dernières années aux Etats-Unis et en Europe. Mais la consommation de bière repart à la hausse depuis 2014 grâce à la bière artisanale !

L’engouement pour la bière artisanale va croissant en Europe mais aussi aux États-Unis. Pendant les cinquante dernières années, la bière a été massivement industrielle. Mais avec les nouvelles attentes des consommateurs vers plus de goûts, de découverte et de qualité, le marché de la bière s’est « déstandardisé ». Alors que dans les années 1970, les bières standards représentaient jusqu’à 70% des volumes, elles ne pèsent plus que 20%, toujours en recul de 6 à 8 % par an. L’essor des bières spéciales dans les années 1980, puis plus récemment des bières de spécialité et artisanales a transformé le marché en profondeur.

En 2007, la France ne comptait pas plus de 200 brasseries artisanales. Mais depuis 2013, une centaine d’unités se crée chaque année. Le célèbre Projet Amertume recense plus de 1600 micro-brasseries artisanales et indépendantes en France en 2019 !


 


C'est facile de faire une bière artisanale, c'est plus difficile de la refaire.

Laurent Carmona qui a fondé Parahata Beer ne commercialise par encore ses trésors. Il organise dans l’attente des soirées dégustation au cours desquelles il peut partager sa passion, parler de ses produits, les savourer en bonne compagnie. Il est toujours curieux du retour des consommateurs pour faire évoluer ses recettes au besoin. Il a déjà mis au point un certain nombre de bières. Il fait venir du houblon d’Afrique du sud, rentre toujours de ses séjours à l’étranger avec un malt à tester. « Certaines de mes recettes vont rester, d’autres non », annonce-t-il. Il est très satisfait par exemple de sa blanche au miri sauvage mais beaucoup moins de sa brune à la coco. « Elle ne plaît pas celle-ci, elle est un peu écœurante, la coco est trop prononcée. »

Il a à cœur par ailleurs de valoriser les sous-produits de la bière, d’utiliser un maximum de produits locaux, de réduire son impact environnemental. Par exemple, avec la drêche (résidu du brassage) il fait des biscuits pour chien ou de la farine qui sert à la réalisation de pâte fraîche ou de pain. D’autre part, il a besoin de deux litres d’eau pour faire un litre de bière alors que les chiffres tournent plutôt en général de quatre pour un.


L’offre des bières artisanales est désormais variée. Reste à savoir si la constance sera au rendez-vous.

Laurent Carmona prévient : « C’est facile de faire une bière artisanale, c’est plus difficile de la refaire. »







La brasserie de Tahiti surfe sur la vague

Attention à ne pas confondre Mātāvai et Manavai. Cette dernière est une gamme de quatre bières produites par la Brasserie de Tahiti qui affichent des recettes différentes : la blonde, la blanche et l'ambrée ont été lancées le 27 juillet, la IPA le 21 septembre dernier. Mais ces bières présentées comme artisanales sont toutes pasteurisées.









La bière artisanale n'est pas réglementée

L'expression bière artisanale désigne généralement une bière élaborée ou nationale. Ce terme peut cependant avoir plusieurs définitions, en fonction des contextes légaux et nationaux. Les bières artisanales sont issues de transformations opérées dans des brasseries dites artisanales qui sont souvent des petites tailles. Elles ne sont généralement pas pasteurisées ni filtrées (d'où le dépôt qui se trouve au fond des bouteilles et qui est tout à fait normal !). Elles ne contiennent pas d'additif et peuvent fermenter plusieurs fois. Les brasseries traditionnelles peuvent se charger du maltage de l’orge. En Polynésie, il n’existe aucune règlementation. Le terme de bière artisanale n’a donc pas de définition encadrée ou figée par la loi.






Millésime, du vin, des whiskys et des bières

Le caviste Millésime, qui vient d’ouvrir une cave-épicerie fine à Arue, s’est aussi spécialisé dans l’importation de bières artisanales de brasseries françaises et belges. Blanches, bock, porter, stout, ales, trappiste, lambic, de micro-brasseries ou d’abbayes historiques, une collection imposante de plus de cent cinquante bières différentes est ainsi à la disposition des amateurs du fenua pour la bulle fine de houblon.




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Dossier à retrouver dans votre magazine Tama'a #15


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