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Le feu Polynésien, des mythes aux rites

Pour rendre à la terre ce qu'elle nous a donné

Textes : Frédéric Torrente


Nō te fa’aho’i i tā te repo i hōro’a mai.


Le 25 mars dernier, alors que le confinement avait débuté depuis 5 jours, le maire de Moorea Maiao interdisait par un arrêté municipal (95/2020) aux habitants de l’île de brûler leurs déchets verts durant le confinement . Saine mesure, quand le brûlage des déchets pose plusieurs problèmes de voisinage et de pollution. Or, quelques heures à peine plus tard, une logorrhée raciste s’est emparée des réseaux sociaux : « ce sont des popa’a, des farani, qui ont demandé au maire de faire cesser le brûlage des déchets végétaux, nous ma’ohi, avons toujours fait ça, farani si vous n’êtes pas contents, cassez-vous... ».



Brûler ses déchets serait donc historique, une vraie tradition, au même titre que la chasse à la tourterelle dans le Médoc ou la soupe aux ailerons de requins à Hong Kong. Soit. Mais plutôt que de se fier à ces rumeurs de web, nous avons enquêté. Sur les rapports des anciens Polynésiens avec le feu, avec l’anthropologue Frédéric Torrente, puis dans diverses sources des 18e et 19e siècle, avant d’aller plus avant dans nos recherches, jusqu’à trouver, eurêka, la trace des brûleurs de déchets végétaux. Qui se sont pas ceux que l’on croit.



Le feu a toujours exercé sur L’Homme une grande fascination. La domestication du feu a été l’un des premiers actes marquants de l’humanité, ce qui explique qu’il est présent dans les mythes d’origine de tous les peuples. Les propriétés protectrices ou destructrices du feu ont été utilisées depuis la nuit des temps.


MYTHES D’ORIGINE DU FEU

Tous les peuples ont dans leur mythologie, leurs propres récits sur l’origine du feu.

De nombreux auteurs les ont magistralement mis en valeur, comme, par exemple, James Frazer dans Mythes sur l’origine du feu (1930), Claude Levi-Strauss dans Mythologiques (1964), ou Gaston Bachelard dans la Psychanalyse du feu (1949). Dans l’ensemble polynésien, les mythes sur l’origine du feu sont particulièrement riches et nombreux. Ils mettent en scène le feu (ahi) aux trois niveaux céleste, terrestre et souterrain, détenu et transmis par des divinités ou êtres fabuleux ayant la capacité à se déplacer d’un milieu à l’autre.





Ces mythes polynésiens montrent que sans le Soleil et le feu, la vie ne serait pas possible. L’idéologie polynésienne de la lumière et du feu occupe en effet une position centrale dans les temps anciens.

Retrouvez sur tahitimagazines.com,

rassemblés par Frédéric Torrente, l’ensemble des mythes des Îles de la Société, Des Tuamotu, Marquises, Cook, Hawai’i ou des Maoris de Nouvelle-Zélande.








LA PRODUCTION DU FEU PAR FRICTION

La coutume de produire du feu par friction est universelle. On choisit deux morceaux de bois (généralement taillés dans du bois de purau sec (hibiscus tiliaceus), l’un pointu et dur, l’autre muni d’un trou ou d’un sillon, et plus tendre. La pointe du premier bâton (‘aurima) tenu verticalement, est introduite dans le morceau de bois troué (‘au’ati, kaunati) ; on le fait tourner ou le frotte énergiquement (hika) jusqu’à ce que l’étincelle (pura), puis une flamme (ura) jaillissent.


De cette pratique perdue dans les temps immémoriaux est née plusieurs conceptions, elles aussi plus ou moins universelles, comme la métaphore de l’accouplement (hikahika). Le morceau de bois pointu est qualifié de mâle et le bois troué est qualifié de femelle ; le produit de cette friction donne parfois, dans certains mythes, un enfant à la place d’une flamme, et la première étincelle est une étincelle de vie (purapura).



Un chant de Paea a Avehe de l’atoll de ‘Anaa se rapporte au feu de Mahuike, dont la production par friction (hika) équivaut à la copulation (hikahika).


Chant sacré du Feu de Mahuike Frotte ! Va et viens ! Allume le feu de Mahuike ! Que l’effort est grand ! Mon kaurima (bâton de friction supérieur) caresse rapidement d’avant en arrière Le feu de Mahuike s’enflamme Mon souffle s’échappe en courts halètements !


Fagu no te ahi a Mahuike Hika, Hika, Hika te ahi a Mahuike ! Ka riri nui ! Ka unuunu taku kaurima Ka kā te ahi a Mahuike Ka hemo reka tako aho !


 

Chez les Maori, le bâton de friction supérieur, actif, est appelé : hika, kau-rimarima, kaikohure, kohure, kauhure ; kaureure, ureure. Le morceau de bois inférieur, statique est appelé kauati, kauahi, kaueti, kaunoti, kauoti.


A la période du contact européen puis de la modernité, le rapport avec le feu va être profondément modifié avec les techniques occidentales d’allumage et l’introduction de com- bustibles (pétrole), reléguant le procédé du feu par friction dans le passé, bien qu’il soit encore maîtrisé par certains aujourd’hui.




LE FEU DOMESTIQUE

C’est le feu domestique à l’origine du « foyer » dans les familles du monde entier.

Autrefois, le feu devait être entretenu (tāmaumau) afin de brûler continuellement (‘ā noa). La domestication du feu est liée à la cuisson des aliments. Selon Frazer, « l’aliment cuit a donné plus de force aux hommes d’une tribu qui, ayant conquis le feu de cuisine, ont mieux digéré les aliments préparés et se sont alors trouvés plus forts pour imposer leur joug à des tribus voisines ».

Cette force réelle, matérialisée, provenant d’une assimilation digestive plus facile, représente la putréfaction vaincue.

Dans la mythologie polynésienne, la cuisson des aliments est l’image archétypale d’un certain niveau de civilisation, dépassant les créatures pré ou mi-humaines mangeant généralement cru, comme les mokorea, les orovaru, les tagata gaeke (hommes-chiens).

La préparation de nourriture dans de grands fours, où l’action du feu se faisait lentement, lors de grands festins communautaires, exprimait en effet un certain rang et prestige, où la nourriture cuite circulait après avoir été partagée rituellement.


En dehors de certains aliments consommés crus, qualifiés par le suffixe ota ou ore (fruits, canne à sucre, certaines plantes et coquillages mâchés crus, poisson), ou macérés dans l’eau de mer miti (poulpe, crustacés, oursins), la viande et le poisson étaient généralement cuits (‘ā, ‘ā‘ā ou ‘ama) grillés (tunupā) ou lentement au four en terre (umu, ahi ma’a, kōpihe).


Le lexique des modes de cuisson est très complet, y compris celui sur les façons de manger (‘ai, kai, kau, tāmā’a).

Le feu domestique, était généralement conservé dans un fare tutu, abri pour cuire la nourriture, mais d’autres feux se trouvaient parfois dans les cases pour dormir, la fumée éloignant les moustiques et autres nuisibles et la lumière chassant les entités surnaturelles néfastes (vārua ‘ino) connues pour venir autour des vivants pendant leur sommeil.

La haute technicité des Polynésiens dans le procédé de cuisson en fours et dans les matériaux utilisés, qui révélait une grande connaissance empirique, a été affinée sur plus d’un millénaire. Du petit four domestique (ahima’a), au four cérémoniel (umu) des festins communautaires, jusqu’aux immenses fours de cuisson (‘ōpio) destinés à faire des réserves de fruits de l’arbre à pain pour la communauté, ces techniques ne manquèrent pas de génie, utilisant toutes les propriétés des végétaux (enveloppement dans les feuilles, bois spécifiques), de la pierre (choix de pierres de rivières, placement à l’intérieur des animaux), et des propriétés du feu à l’étouffée.

Aux Tuamotu, le four en terre (kopihe, umu) était le principal mode de cuisson. Des fours spécifiques étaient destinés à cuire le poisson diodon (umu hue), les oiseaux (umu kuriri), les requins (umu mago), les poulpes (umu pakekare, umu kanoe), les murènes (umu tuhua), le chien (umu gaeke), les coquillages (umu korora), noms que l’on retrouve aujourd’hui dans les toponymes des atolls. D’autres fours sacrés étaient dans les enceintes des marae pour y cuire la tortue (umu ika-nui) et l’offrir aux divinités. D’autres feux de cuisson étaient utilisés pour rôtir (rotika), bouillir (kekehia), sécher à la fumée.

Enfin, en dehors du domaine domestique, le feu était utilisé, associé l’eau, dans d’innombrables techniques, comme par exemple le bois qui était consumé de l’intérieur, sans flamme.


LE FEU RITUEL

Le feu avait également une grande importance dans la religion polynésienne ancienne. Disons simplement que le rouge (‘ura), vu à travers le soleil, le feu et le sang, la rougeur (ura) ou l’incandescence (‘ā, kā) étaient toujours la manifestation visible d’entités spirituelles, notamment des atua.

Le feu était ainsi omniprésent dans les rites religieux préchrétiens, tout comme dans les pratiques magiques ou de sorcellerie (ces dernières subsistant aujourd’hui encore).

Te ahi tapu Dans le lexique religieux ancestral, de nombreux termes expriment une relation avec le feu, ou son utilisation rituelle ; par exemple tahu (allumer un feu), est apparenté au vocable tahu’a, tahuga qualifiant des experts ou officiants. Lors des rites, autant le feu (ahi) que sa fumée (au) avait des vertus dans le domaine du sacré.


Le mot tahutahu, qui traduit l’idée de quelque chose de magique, ou de pratiques de sorcellerie, est lui aussi lié au feu et au fait de l’entretenir. Ceci est également valable pour le terme rahurahu, qui signifie à la fois « sacré/interdit » et « laisser couver un feu ».


Il existait donc en Polynésie une grande proximité entre le feu, le rite et l’incantation (ou sortilège).


Le feu purificateur

Gaston Bachelard écrivait que, dans toutes les civilisations, « le feu purifie tout ».

En Polynésie des temps anciens, le feu était utilisé dans les rituels de purification. En vertu de la loi inviolable du tapu (interdit à caractère sacré), des rites complexes étaient pratiqués en cas de transgression (hara), destinés à purifier le transgresseur. La faute était vue souvent comme un feu dévorant l’intérieur du corps, comme ceci est exprimé dans les préceptes des Teva : « Ne ferme pas les yeux sur les fautes commises dans ta famille, ces fautes deviendraient un feu dévorant dans ta maison » (Marau Ta’aroa, 1979).

L’eau et le feu étaient les principaux éléments permettant de « laver » cette souillure occasionnée par la transgression d’un tapu. On passait par exemple la main de la personne dans la fumée d’un feu tapu (ahi tapu), ou bien on brûlait systématique- ment tout objet contaminé (linge menstruel, vêtements ou fare d’un mort, etc.). Le feu, au même titre que l’eau, était donc purificateur, dans les pratiques religieuses polynésiennes préchrétiennes. Mais il faut bien noter que ce feu rituel était encadré de règles très complexes et codifiées, visant à rendre ce feu tapu, et de l’investir d’une puissance particulière (mana) venant des divinités. Ainsi, n’importe quel feu ne suffisait pas à purifier.

Avec l’introduction du christianisme, les rapports des Polynésiens au feu ont été modifiés et perturbés lors de l’effondrement du système des tapu.

Le feu destructeur A l’inverse, le feu pouvait être utilisé à des fins néfastes et destructrices. Comme dans toutes les sociétés, le feu détruit toute trace matérielle et il était largement utilisé dans les conflits, où les territoires des vaincus y compris leurs cultures étaient incendiés. Cette destruction par le feu est largement décrite dans les récits autant mythiques que ceux d’observateurs européens.


Le feu protecteur A l’inverse, le feu rituel pouvait être utilisé comme un mécanisme protecteur en cas de guerre ou de visites étrangères potentiellement dangereuses. Ainsi, les esprits ou âmes des ennemis étaient amenés à entrer dans le feu rituel allumé pour l’occasion, où ils étaient détruits ou rendus inoffensifs (Best 1924 : 203).


Ainsi, les feux allumés lors des conflits étaient une technique censée assurer une protection contre les entités spirituelles malveillantes/néfastes.

Dès les premières incursions européennes dans les îles polynésiennes, les explorateurs décrivirent que les insulaires allumaient de grands feux, et pensaient qu’il s’agissait de dispositifs d’alarme d’un danger potentiel pouvant être vu de loin.

Cet usage rituel d’incendier la brousse du rivage était largement répandu dans tous les atolls des Tuamotu, comme le remarquèrent unanimement Quiros à Hao (1606), Behrens à Takapoto (1722), Wallis à Nukutavake (1767) : « En même temps, certains des plus vieux hommes et femmes étaient très occupés à allumer des feux en différents endroits où nous avions la possibilité de débarquer, ce qui entraina que nos hommes supposent qu’ils vénéraient le feu, car ceux qui allumaient les incendies semblaient être très sérieux et faisaient plusieurs gestes bizarres, à un moment donné, en faisant deux ou trois fois le tour de chaque endroit chaque fois qu’ils incendiaient. Les jeunes hommes et femmes qui étaient autour, continuaient de regarder ceux qui allumaient des feux : quand les flammes s’éteignaient, ils avançaient d’un pas de plus, et semblaient particulièrement féroces » (Carrington 1978 : 118).


Ces grands feux qui apparaissaient en diverses îles à l’approche des navires étrangers, étaient allumés pour prévenir la population, comme les premiers navigateurs le croyaient, mais surtout procédaient d’un acte rituel destiné à écarter un danger potentiel :

le feu était en quelque sorte un écran invisible destiné à détruire des entités spirituelles en les faisant périr ou les neutralisant par le feu, ou bien à écarter d’autres entités inconnues potentiellement dangereuses.


Le feu et le pouvoir

Le pouvoir de certains chefs pouvait parfois être assimilé à celui du feu, c’est à dire à la fois protecteur et destructeur, symbolisant le pouvoir de vie ou de mort sur ses semblables.


Ceci est par exemple suggéré dans un chant du chef Vehiatua de Taiarapu :

« Moi, Vehiatua, le vent, le dieu du vent, à la tête des Teva-i-tai, je suis l’étoile de Vaiava, [...] je suis le feu vivant, je suis la vengeance, la colère de longue vie ... » (Marau Taaroa, 1974 : 147).


Dans les traditions, des phrases très explicites montrent que le chef est assimilé au rā (soleil), au ‘ura (pouvoir divin symbolisé par le rouge), à tout ce qui à la fois détruit et protège.



Le rituel de marche sur le feu

Un rituel, encore connu aujourd’hui, consistait à marcher sur un feu encore ardent. Pour procéder à la cérémonie de la marche sur le feu à Tahiti, les tāura invoquaient la présence de déesses du feu, Hina-nui-te-’ā’ara et Te-vahine-nui-tahu-ra’i. Ces deux femmes étaient revêtues de feuilles jaunes et vertes du tī (Cordyline terminalis), toujours considérées comme sacrées. Dans l’ouvrage de T. Henry, Tahiti aux temps anciens, figure le témoignage d’une cérémonie de marche sur le feu (ici, un umu tī, four à Cordyline terminalis) en 1885, à Avera, dans l’île de Ra’iatea. (retrouvez sur tahitimagazines l’extrait du livre de Teuira Henry, Tahiti aux temps anciens, 1964).

D’autres descriptions de ce rite commun à l’ensemble polynésien, attestent de l’importance de cette tentative initiatique de braver le feu, à l’aide du mana des dieux invoqués. Aujourd’hui, cette cérémonie du umu tī, même si elle ne concerne que la première partie du rite ancien écartant la cuisson des racines du tī, perdure grâce à l’œuvre de Raymond Teriierooiteirai Graffe qui fait magistralement revivre ce rite ancien, devenu un spectacle unique des festivités du Heiva.


Tous ceux qui y ont participé et marché sur des pierres chauffées à plus de 600°, ont eu loisir d’apprécier la grande maîtrise millénaire du feu et de la technique des fours, de ressentir la puissance des incantations et des gestes rituels, et de se remémorer certaines règles imposées par l’ancien système intransigeant des tapu encadrant les rites d’antan.


Ainsi, Raymond Teriierooiteirai Graffe peut se targuer fièrement d’être l’un des derniers gardiens de la tradition du feu de l’actuelle Polynésie française, dans la lignée de Mahui’e ou Te-vahine-nui-tahu-ra’i ; de montrer au monde moderne que la maîtrise du feu n’est pas un acte anodin et qu’elle s’entoure d’un certain nombre de règles, dans une continuité autant culturelle que naturelle au fondement des sciences empiriques polynésiennes.


Le feu et les interdits

Pour terminer, il nous reste à envisager dans quelle mesure les règles du tapu s’exerçaient autrefois. Les interdits permanents liés au feu étaient tout d’abord liés au feux sacrés (ahi tapu) réservés aux rites religieux dans des enceintes cérémonielles tapu, excluant les gens du commun, et restant une affaire d’initiés. Il existait une grande variété de rites sacrés utilisant le feu, sa fumée et le four de cuisson des offrandes, sur les marae à destination des divinités (atua, etua). Il n’était pas possible de mélanger les fours sacrés (ahi tapu) où étaient cuites les offrandes pour les divinités ou les chefs ou prêtres et les fours destinés à la nourriture des gens du commun.





D’autre part, il existait des fours pour la cuisson des aliments des hommes (ahi ta’ata, umu tagata) différents de ceux de la nourriture des femmes de haut rang (ahi tapairu) ou du commun (ahi). De nombreuses confusions ont été alors faites par les étrangers, obnubilés par l’idée du cannibalisme, qui pensaient que les ahi ta’ata étaient des fours où l’on cuisait les hommes, alors qu’il s’agissait tout simplement de séparation des différents procédés de cuisson (hommes/femmes, dieux/ hommes, etc.).


Il existait d’autre part des interdits temporaires, appelés rāhui, décrétés en des occasions exceptionnelles, comme la consécration ou la mort des grands ari’i. Dans la coutume du taimara décrite dans les Mémoires de Marau Ta’aroa, il était strictement interdit d’allumer des feux, y compris pour cuire la nourriture dans tout le district où la restriction était proclamée.

« Même les chiens ne devaient pas aboyer, ni les coqs chanter, aucun feu ne devait être allumé, le silence devait être absolu, le plus grand respect pour la cérémonie sacrée exigeait un silence de mort » (Marau Ta’aroa 1971: 66)


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Repères bibliographiques - Best, Eldson, 1924. The Maori Religion. Wellington. - Ferdon E. 1986. « Ethnohistoric evidence for the use of ritual fire as a protective mechanism in Polynesia ». Journal of Polynesian Society. - Gill, William. 1876. Myths and Songs from the South Pacific. King & Co. London. - Henry Teuira 1964. Tahiti aux temps anciens. Musée de l’Homme, n°1, Paris. - Ta’aroa, Marau. 1979. Mémoires de Marau Ta’aroa, dernière reine de Tahiti. Musée de l’Homme, Paris. - Tregear, Edward, 1891. The Maori-Polynesian Comparative Dictionary. Wellington.

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Les Feux végétaux, une pollution inutile qui n'a rien d'historique


Texte : Patrick Seurot


Une distinction très nette, une incompatibilité existe entre le feu sacré (ahi tapu), rituels, et les feux profanes (ahi noa), « surtout aux abords et sur les sites religieux, en raison d’une risque de désacralisation », rappelle Frédéric Torrente.


« Il était strictement interdit de faire du feu (privé) pendant les cérémonies sur les marae dans les environs du site. »


Il est intéressant de relire Les structures de combustion et leur interprétation archéologique. Quelques exemples en Polynésie par Catherine ORLIAC et Michel ORLIAC, Journal de la Société des Océanistes, n°66-67, tome 36, 1980. pp. 61-76. Où l’on apprend que des « incendies étaient allumés pour défricher avant d'implanter un édifice, de mettre en culture un jardin, ou pour débroussailler une plantation », ce que l’on a appelé, en agriculture, le brûlis.


Moerenhout décrit cette tech- nique employée à Punaauia (Tahiti) pour le pia « arrowroot » (Tacca leontopetaloides) : « Pour avoir cette plante dans sa perfection et en abondance, ils mettent le feu aux autres plantes sur la pente des collines. Les cendres et les fréquentes pluies font alors croître ce fruit avant aucun autre végétal ». Morrison indique que les collines où pousse le 'ā'eho (Erianthus floridulus, un roseau) « sont souvent incendiées pour débrousser le terrain ».


Les feux étaient bien sûr utilisés dans les fare, que ce soit pour s’éclairer mais aussi, en saison fraîche, pour se chauffer. Ellis décrivit ce type de foyer à Raiatea, puis à Hawaii : « un feu était allumé dans une cavité creusée à même le sol au milieu de la pièce et entouré de grandes dalles carrées nous pro- curant à la fois chaleur et lumière » (p. 804).


« Dans certaines régions au climat froid, comme en Nouvelle-Zé- lande, ces foyers pouvaient être emplis de pierres qui restituaient la chaleur pendant la nuit », ajoutent Cahetrine et Michel Orliac (J. Garanger in Laboratoire d'ethnologie préhistorique, p. 197). Le mutin James Morrison raconte également que les feux servaient aussi à éloigner les insectes nombreux dans certaines régions, notamment à Tubuai (Australes), où un feu « allumé à chaque porte » empêchait les moustiques de pénétrer.

Le feu servait aussi à diverses activités artisanales : fabrication de colorants, obtention de braises pour le dégrossissage d’objets en bois (Morrison 1966 : 165), fabrication de chaux par calcination du corail (P. Pétard, 1974).


Aux Tuamotu, une pratique d’écobuage des cocoteraies s’est répandue récemment, par souci de facilité principalement, afin de nettoyer la zone rapidement, tout en chassant les moustiques qui infestent les cocoteraies mal entretenues. Ce qui n’était pas le cas auparavant :


« Les anciens des Tuamotu racontent qu’à l'époque des rahui au XIXe s, sur les « secteurs » des atolls, toute la population tournait trois mois avec femmes enfants, chiens, porcs... et les cocoteraies et diverses plantations étaient très propres et très entretenues. », note Frédéric Torrente.

Quant aux déchets, il existait des fosses (pāfata) pour les restes des rites ou les arêtes de poisson ou tous les déchets du vivant, qui étaient traités rituellement par entreposage. Aucune source historique ne parle de brûler des déchets verts, ni aucun déchet, bien au contraire. Mais alors, d’où vient cette manie au demeurant très polluante ?



En fait, ce sont les Français qui ont apporté cette mauvaise habitude de leur banlieue pavillonnaire dans les tropiques. Relisez Albert T’Serstevens qui écrivait à la fin des années 50, juste avant le CEP et l’ouverture de l’aéroport : L’influence des blancs, et aussi bien des « demis » qui en ont les moyens, a réussi à modifier le paysage, je ne dis pas à l‘embellir. Ils ont apporté avec eux la haine des arbres, l’amour des pelouses ratissées et la passion des clôtures. Ils affectionnent aussi les haies taillées, les fils de fer barbelés, les treillis tendus entre des poteaux de ciment, les portillons rustiques, les barrières peintes en vert poireau ou les murs d’agglomérés tristes comme un pavillon de Bécon-les-Bruyères.


Pas un de ces nouveaux venus n’acquiert un terrain et ne fait bâtir sa maison qu’il ne commence pas abattre la plupart sinon la totalité des cocotiers. Ils planteront à la place de ces glorieux défunts des arbres vulgaires et des parterres de jardinets, brûlant jusqu’à la moindre feuille morte qui pourrait menacer leur herbe rase. Une mauvaise habitude adoptée par les Polynésiens de souche, et qui n’a absolument rien d’historique !

Voyez-vous, avant la période du CEP, le Polynésien avait du bon sens et réservait un coin de son jardin à ses déchets végétaux. Pourquoi ? Parce qu’au bout de 3 à 9 mois selon l’état de décomposition souhaité, ces déchets étaient devenus un magnifique mulch (paillis) ou compost nourrissant qui retournait à la terre nourricière, te fenua. Après les années 60, on s’est mis à brûler la richesse verte du fenua en même temps que l’on s’est gavé de sodas et de nourriture industrielle : il y a moins de 60 ans !


Avant cela, on n’aurait jamais osé brûler la terre mère et nourricière. Te fenua était respectée, crainte aussi. Tout ce qu’elle donnait, des feuilles aux fruits tombés des arbres, on les lui redonnait, tout simplement. Dans les îles hautes comme dans les atolls des Tuamotu, où l’on pratiquait les fosses à culture (maite) enrichies de tous les déchets végétaux que l’on trouvait, on constituait, en communauté, peu à peu, une couche de terre arable où l’on faisait alors pousser taro, ‘umara, ufi...

Ce qu’on appelle déchets végétaux étaient alors une véritable richesse. Le ronchonneur lambda rétorquera que « les tas de végétaux qui pourrissent font venir les rats et les moustiques ». Pas plus que les vieux pneus, dles soucoupes à plantes et tous les déchets planqués dans le vide-sa- nitaire du fare. Ainsi donc, cela fait 60 ans que l’on brûle l’or vert du fenua, en raison d’une mauvaise habitude importée, comme la syphilis, les moustiques et le miconia. Alors, n’est-il pas temps de cesser de brûler et de cultiver un riche compost ?


Entre gêne et pollution, des solutions


Permettez-nous tout d’abord un petit rappel écolo : le brûlage des déchets est partout interdit, pour plusieurs raisons :

• Tout d’abord, c’est très polluant et participe fortement, à Tahiti et Moorea notamment, où les feux sont les plus courants, à la dégradation de l’air.

C’est dérangeant pour le voisinage en raison des fumées et des odeurs (surtout quand on trouve autant de plastique que de déchets verts sur certains tas !)

Le brûlage à l’air libre des déchets verts est fortement émetteur de polluants atmosphériques : • des particules (PM), • des oxydes d’azote (NOx), • des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), • du monoxyde de carbone (CO), des composés organiques volatils (COV), • du benzène, • des dioxines et furanes,

Brûler 50 kg de végétaux qui pour- raient enrichir votre sol émet autant de particules qu’une voiture à moteur diesel récente qui parcourt 13000 km.

Alors, que faire de ses déchets verts si on ne souhaite plus les brûler, dans nos îles où une collecte en déchetterie ou un compostage communal n’existe pas ?

Du paillage : vous couvrez vos plantations et le sol de déchets organiques broyés pour le nourrir et/ou le protéger. Son propre compost, avec quelques parpaings et un peu d’huile de coude pour réduire le mieux possible palmes, feuilles, petits troncs (nous le faisons à Smile, c’est tout à fait possible !) La tonte mulching : laisser votre herbe pourrir directement sur place, elle enrichit votre gazon.



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Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine Investir à Tahiti #5



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