Perliculture
- 10 sept.
- 6 min de lecture
Des espèces lagonaires testées comme indicateurs de pollution plastique.
Depuis une trentaine d’années, la perliculture, la deuxième ressource économique de Polynésie française, fonctionne avec des dispositifs en plastique, plus solides que les matériaux naturels. Conséquences : l’amoncellement des déchets, la pollution de l’eau, les répercussions sur l’huître et sa perle. Ce secteur pourrait-il précipiter sa propre chute ? C’est la question que s’est posée Maëva Goulais, docteur en biologie marine. De 2021 à 2024, elle réalise une thèse qui repose sur le suivi d’espèces tropicales – dont la majorité n’avait encore jamais été étudiée – afin de déterminer l’impact de la pollution plastique sur l’écosystème marin tropical et sa capacité de résilience, tout en apportant des pistes et des suggestions à cette problématique.
Texte : Doris Ramseyer - Photos : © Doris Ramseyer, Maëva Goulais (schémas et portrait), Tahitienne de Service public (TSP)


Doctorante en biologie marine, Maëva Goulais commence en 2021 une thèse sur la toxicité du plastique perlicole en s’appuyant notamment sur le développement de certaines espèces des lagons polynésiens. Elle souhaite apporter sa pierre à l’édifice, car l’impact des activités humaines sur les écosystèmes l’intéresse particulièrement.
Sa recherche se base en Polynésie française, au CIP (Centre Ifremer du Pacifique) à Vairao, car les espèces tropicales ont jusqu’alors peu été étudiées, au contraire de leurs homologues des milieux tempérés. Maëva est encadrée par un microbiologiste et un expert de la pollution plastique ; elle collabore également avec la DRM (Direction des ressources marines).
Les plastiques : une pollution triptyque
La chercheuse décrit trois types de pollution au plastique. La première est physique : ce sont les déchets volumineux qui peuvent étouffer les animaux, ainsi que les petites particules issues de la dégradation du plastique, ingérées par ces derniers.
La deuxième, c’est la pollution chimique : elle sévit, car elle provient des divers additifs intégrés au plastique, et relargués en milieu naturel : une contamination invisible et pourtant très délétère. La troisième est une pollution biologique : les plastiques flottant sur la mer sont colonisés par des espèces invasives ou non, pathogènes ou non, capables de parcourir ainsi de grandes distances, dont le danger qu’elle représente peut s’avérer de taille. Ces trois types de pollution agissent toutes les trois en même temps. Le plastique visible paraît le plus dangereux, mais les autres sont plus insidieuses que ce dernier, explique Maëva.

Des espèces bio-indicatrices de la pollution
La doctorante se penche sur la pollution chimique – et méconnue – dans le domaine perlicole : on a immergé 50 grammes de corde en polyéthylène (PE) et en polypropylène (PP) (ndlr : prélevées sur les lignes de bouées de 200 mètres), avec 50 grammes de collecteurs en plastique, dans 1 litre d’eau de mer pendant 24 heures. Ce matériel a ensuite été filtré pour n’en conserver que le jus : c’est le lixiviat de plastique, dilué plusieurs fois jusqu’à obtenir différentes concentrations. Les analyses chimiques, effectuées en France, démontrent la présence de phtalates, d’hydrocarbures, et de nombreux pesticides, dangereux pour certaines espèces.
Les chercheurs choisissent 5 espèces tropicales : les crevettes Litopenaeus stylirostris, les oursins Tripneustes gratilla, les holothuries Holothuria whitmaei (rori), les huîtres perlières Pinctada margaritifera et les huîtres de roche Saccostrea cucullata. Les oeufs fécondés de chacune de ces espèces sont plongés dans les lixiviats de plastique.
Après 24 heures d’immersion, on a observé combien de larves s’étaient bien développées, lesquelles présentaient une malformation et quel était leur taux de mortalité. Afin de déterminer la sensibilité des espèces, une concentration moyenne CE501 du lixiviat est réalisée. Les holothuries se révèlent les plus sensibles, mais toutes les espèces sont concernées. Aucune n’a résisté à une concentration de plastique élevée, et toutes ont démontré de gros problèmes de développement des larves, remarque Maëva. En conclusion de sa thèse, cette dernière préconise le choix du rori comme espèce pour calibrer la dangerosité d’une pollution plastique, au vu de sa sensibilité et de sa grande distribution dans les zones tropicales.

Les échantillons d’eau et de lixiviat de plastique n’ont pas pu être analysés à Tahiti par manque de dispositifs, engendrant une logistique compliquée et onéreuse pour les acheminer jusqu’à Brest. Pour réaliser des mesures de manière plus simple, il faudrait travailler avec des larves tropicales. Elles serviraient à évaluer la qualité de l’eau du lagon, déterminée par l’état de santé des individus. Un bon développement serait le signe d’une eau qualitative ; des malformations et/ou un taux de mortalité important serait l’indice d’une eau polluée, qu’il faudrait analyser de manière plus approfondie, avec des mesures à prendre. Il s’agit d’un outil facile et pas cher, note Maëva.
Les répercussion sur les huîtres perlières
Parallèlement à l’approche toxicologique sur les espèces tropicales, les chercheurs suivent pendant 6 mois 1 200 huîtres, réparties par lots de 300 individus sur deux atolls perlicoles : Takapoto et Takaroa, et deux atolls non perlicoles : Tikehau et Anaa. Si le rori est utilisé pour les tests larvaires en microplastiques, il s’avère primordial de s’intéresser également à l’état de santé des huîtres, présentes dans de nombreux lagons, au vu de la place qu’elles occupent dans l’économie locale. Résultat : toutes les huîtres, et tous les échantillons d’eaux prélevées, contiennent des particules de plastique. La perliculture n’est pas le seul facteur incriminé, car le plastique est présent dans tous les atolls, y compris les moins habités.
Ce type de pollution affecte la croissance, la reproduction et le système immunitaire de Pinctada margaritifera, des faits démontrés en laboratoire. Si, pour l’instant, 2 études ont déjà montré la présence de particules de microplastiques dans des perles, le phénomène reste actuellement assez isolé. Cependant, si aucune mesure n’est prise et que la pollution plastique continue, il est possible que, dans le futur, de plus en plus d’huîtres et de perles soient affectées par la présence de microplastiques, ce qui pourrait altérer la qualité des perles de Tahiti. Les huîtres se retrouvent ainsi en première ligne de la pollution plastique perlicole, tout comme les autres organismes présents dans le lagon.

Quelles solutions ?
La majorité des perliculteurs rencontrés par la doctorante souhaitent travailler avec des pratiques durables, mais ne bénéficient pas de moyens satisfaisants. Aujourd’hui, il n’existe pas d’autre solution envisageable au plastique, même si des recherches – à l’état de prototypes – sont menées sur des matériaux biosourcés, moins polluants et plus pérennes que ce dernier.
Selon Maëva, c’est au niveau politique que doivent être prises certaines mesures pour que l’on se serve de matériaux plus vertueux que l’actuel et que l’on évite d’atteindre des seuils dangereux de pollution plastique, nuisibles pour l’écosystème lagonaire non seulement en Polynésie, mais également à l’échelle mondiale. Elle expose : premièrement, l’idée serait de réduire le seuil autorisé des lignes de collectage dans les atolls où elles sont très nombreuses. Car les collecteurs ne sont souvent pas usités plus de 2 à 3 ans, ce qui pose davantage de problèmes de pollution et de stockage.
Deuxièmement, il faudrait interdire les plastiques contenant des additifs dangereux (connus pour leur nocivité sur les organismes marins) ou, alors, mettre en place un protocole pour éliminer au maximum les additifs, en faisant dégorger les plastiques avant de les immerger, et agir avec une réglementation. Mais c’est compliqué, car les fabricants ne sont pas obligés de déclarer la composition de leurs plastiques. Le remarquable travail de Maëva Goulais pourra contribuer à aider aux décisions en matière de gestion des lagons perlicoles.

Car le bon état pour aller loin :
Des articles scientifiques sur ces études :
• Les espèces bio-indicatrices de toxicité plastique dans les environnements tropicaux.
• Le plastique est dans les détails : l’impact de la pollution plastique par une expérience mésocosmique.
Vidéos de vulgarisations sur le sujet :
• Bleu océan : Traquer le plastique – France TV emission du mardi 22 octobre-2024.
• Kid Reporters n° 54 – YouTube
• Maëva Goulais et les microplastiques, THÈSEZ-VOUS ?
#16 – YouTube
Source schéma 1 : https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2024.176185
Source schéma 2 : https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2024.176185









