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Îles Cook, l'autre pays des "perles noires"

  • 31 août
  • 6 min de lecture

Quand on parle de perles de culture issues des huîtres perlières Pinctada margaritifera, aussi connues sous le nom de Black Pearls, « perles noires » on pense bien sûr à Tahiti. On oublie que les îles Cook partagent également une belle page d’histoire autour de cette gemme océanique, en particulier les atolls du nord de l’archipel. Parmi eux, Manihiki reste un atoll producteur de premier plan.


© Texte Text : Alix Baer - Photos : Office de tourisme des îles Cook


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De la perliculture à la bijouterie

A 2h40 au sud-ouest de Papeete, Rarotonga est l’île principal d’un archipel, Cook, qui géographiquement n’en a que le nom. En effet, ses 15 îles hautes et îles basses sont disséminées sur près de 2 millions de km2. Les atolls du nord partagent de nombreux points communs avec ceux de l’archipel des Tuamotu.


Parmi eux, Manihiki. Ce petit atoll corallien du nord de l’archipel des îles Cook s’étend sur à peine plus de 5 km² de terres émergées, pour un lagon central de 14 km de long sur 9 de large (soit 50 km2, 1344 acres). Or, comme les atolls les plus producteurs d’huîtres perlières des Tuamotu, Manihiki rassemble des qualités rares, spécifiées par les spécialistes des années 1950 et 1960 (Ron Powell, Gilbert Ranson), et que Jean-Marie Domard avait résumé dans ces termes : petit et fermé comme Hikueru ; parsemé de

rochers comme Hikueru, Takapoto, Takume ou Marutea sud ; profond comme Marutea sud et Manuae (Scilly).


Un lagon idéal

En effet, Manihiki rassemble nombre de ces qualités. L’atoll n’a pas de passe, ce qui limite le nombre de prédateurs et l’apport d’eau extérieure en trop grande quantité, qui bouleverseraient l’équilibre spécifique du biotope. Le renouvellement de l’eau se fait de façon mesurée par des hoa, canaux ouverts sur l’océan, entre les motu (îlots), mais non navigables, peu profonds. Le récif barrière frangeant protège l’atoll surélevé des trop fortes houles. L’atoll est assez profond, 40 à 50 m en moyenne, avec des piques de profondeur à 70 m dans certaines cuvettes centrales, composées de sédiments détritiques calcaires et coralliens.

Les eaux sont très claires, raisonnablement salées, bien oxygénées. Leur teneur en nutriments est relative et parfaitement équilibrée pour l’huître à lèvres noirs Pinctada margaritifera, var. Cumingii. Enfin, le lagon de Manihiki est parsemé de très nombreuses têtes de rochers d’origine madréporique, les kāoa.


Manihiki rassemble des qualités rares : petit et fermé, parsemé de rochers madréporiques, bien oxygéné et profond

Certains affleurent en surface (Karena en pa’umotu) ; d’autres trouvent à quelques mètres au-dessous de la surface des eaux (marahi en pa’umotu) ; les derniers enfin, rochers à substrat dur (Kapuku en pa’umotu) ne s’élèvent qu’à quelques mètres au-dessus du fond. C’est sur ces agrégats rocheux que se trouvent fixés les peuplements d’huîtres perlières les plus importants. Le lagon de Manihiki a ainsi toujours offert un environnement idéal pour l’huître perlière à lèvres noires.


Prémices de l’exploitation nacrière

L’atoll fut habité par des Polynésiens depuis au moins 900 ou 1000 après J.-C. Selon la tradition orale, il aurait été découvert par Huku, un navigateur et pêcheur de Rarotonga. Dès le second millénaire de notre ère, les gisements d’huîtres perlières furent exploités. Les habitants de Manihiki et de l'atoll voisin Rakahanga pratiquaient une migration cyclique entre les deux îles pour permettre la régénération des ressources naturelles. Outils et ornements en nacre furent façonnés comme dans le reste de la Polynésie orientale.


Le premier contact européen documenté avec Manihiki remonte à 1822 avec le passage du Good Hope, un navire américain qui aperçut l'île et la nomma "Humphrey Island" sur les cartes. D'autres navires, dont des baleiniers, visitèrent l'atoll au cours du XIXe siècle. Certains cherchaient des bêches de mer (rori) et des nacres pour compléter leur cargaison. Manihiki fut dès lors considéré comme un atoll perlier d’importance pour les navires en provenance de Port Jackson (futur Sydney). Le développement des deux

villages principaux de l’atoll, Tauhunu (ouest) et Tukao (est), naquit à ce moment-là, afin d’exploiter de façon alternée les gisements naturels principaux de l’île. En 1888, les îles Cook devinrent un protectorat britannique. Mais ce n’est que lorsque ces îles furent annexées par la Nouvelle-Zélande en 1901 que Manihiki intégra l’archipel.


Photo d'un lot de perles de culture baroques (cerclées ou irrégulières). Les couleurs, de l'aubergine au noir en passant par les bleus et verts, sont typiques des huîtres perlières à lèvres noires.


Le grand avantage de Manihiki réside dans les conditions idéales que son lagon offre pour la collecte de naissains.

Poste de greffe face au lagon : le plus beau bureau au monde !
Poste de greffe face au lagon : le plus beau bureau au monde !

Le lagon de l’atoll a toujours offert les meilleurs rendements aux plongeurs de nacres. Les lagons des îles Penrhyn et Suwarrow furent également été exploités, mais avec moins de succès. Dans les années 1950 des huîtres perlières furent également implantées dans les lagons de Pukapuka, Rakahanga et Palmerston, avec des réussites variables. Cependant, la surexploitation des gisements

nacriers toucha Manihiki, comme elle toucha les atolls des Tuamotu. La reconstitution des stocks d’huîtres perlières devint alors une préoccupation, afin que la ressource ne tarisse pas. En effet, dans les années 1950, la valeur totale des exportations de nacre provenant des îles Cook, de Manihiki en particulier, était d’environ 850 000 livres sterling par an. La majeure partie état alors acquise par les États-Unis, pour un tarif d’environ 500 £ la tonne (soit l’équivalent de 3 MXPF actuels, ou 48 000 NZ$).


Collectage de naissains

Le grand avantage de Manihiki, avant même que la perliculture ne fut lancée dans le lagon de l’atoll, réside dans les conditions idéales que son lagon offrait pour la collecte de naissains. C’est ainsi que le biologiste britannique Ronald Powell introduisit, dès les années 1950, l'idée d’installer des collecteurs pour reconstituer les stocks naturels d'huîtres perlières. Derrière l’exploitation nacrière, se profilaient en effet de nouveaux besoins. Le développement de la perliculture par les Japonais dans le nord-est de l’Australie, puis les essais expérimentaux de greffe d’huîtres perlières à partir de 1961 dans les Établissements français d’Océanie (EFO), future Polynésie française, étaient analysés de près par des biologistes et entrepreneurs de Nouvelle-Zélande et des Cook. Ainsi, dès le début des années 1960, Peter Cummings, un Australien ayant observé les techniques japonaises de greffe en Australie, établit la première ferme perlière à Manihiki. Il réussit à produire des perles de qualité, mais des désaccords avec le conseil de l'île conduisirent à la fermeture de sa ferme. C’est finalement dans les années 1980, avec des figures locales comme Papa Tekake Williams ou des initiatives comme celle du Tahitien Yves Chen Pan, que les fermes perlières s’implantèrent durablement dans les lagons des atolls du nord. Leur succès inspira la création de nombreuses fermes dans les lagons de Manihiki, Penrhyn et Rakahanga, avec un phénomène similaire à celui qui touchait alors les lagons perliers des Tuamotu. À son apogée dans les années 1990, on comptait près de 300 fermes perlières, générant des exportations de perles noires d'une valeur annuelle approchant les 20 millions de dollars néo-zélandais.


Quai de récupération des lignes de nacres élevées, pour suivi, nettoyage ou récolte.


Pour une durabilité des pratiques

En 1997, le cyclone Martin dévasta une grande partie des infrastructures perlières de Manihiki. Cet épisode dramatique pour les perliculteurs fut prolongé par la crise financière asiatique de 1998, suivie de la crise géopolitique mondiale née du 11 septembre 2001. Enfin, la relance fut rendue presqu’impossible en raison d’une maladie des huîtres perlières qui fut identifiée au début des années 2000. Elle fut attribuée à la surpopulation des huîtres élevées, engendrant une gestion environnementale défectueuse de l’écosystème fragile.


En effet, des problèmes d’eutrophisation et de maladie, favorisés par le confinement du lagon de Manihiki, naquirent de la surdensité de l’élevage des huîtres perlières, ainsi que la multiplication des déchets organiques et plastiques. La baisse des cours mondiaux accentua la crise et empêcha la réinstallation de nombreuses fermes. Aujourd’hui seules quelques structures bien gérées continuent leurs activités. L’alarme sonnée par les scientifiques sur la fragilité des lagons perliers favorisa une prise de conscience politique.

Deux initiatives furent mises en place : Le Manihiki Pearl Farming Management Plan 2016–2026, visa à établir une perliculture écologiquement durable et à améliorer le bien-être économique de la communauté de Manihiki. Le Manihiki Lagoon Clean-Up Project, lancé en 2017 a pour objectif pour retirer les matériaux abandonnés des anciennes fermes perlières et restaurer l'écosystème du lagon.

Aujourd'hui, bien que l'industrie perlière ait connu un ralentissement par rapport à son apogée des années 1990, elle demeure une composante importante de l'économie locale, avec des efforts continus pour assurer sa durabilité.

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