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Raitini Rey

Ensemble, on va plus loin


© Texte : Delphine Barrais - Photos : © DR


Alors que la crise liée du Covid 19 confinait les Polynésiens, le père de Matarai, société polynésienne d’exploitation de drones, a fédéré autour de lui des amis, citoyens, professionnels. Avec eux, il a lancé « Ensemble, on va plus loin », qui a fabriqué des visières remises aux professions en première ligne face au virus. Une belle leçon en ces temps de réinvention des possibles.



« Nous avons tous une action bénévole et gratuite » insiste Raitini Rey.

Il est celui qui a lancé l’initiative Ensemble, on va plus loin. « On est trente-cinq, répartis sur Tahiti et Moorea. » Trente-cinq à mettre au service de la communauté leur énergie, leur temps, leurs compétences. Ils sont informaticiens, programmeurs, codeurs, ingénieurs, comptables, réparateurs d’imprimante...


Pendant le confinement, ils ont lancé la fabrication et la distribution de visières de protection pour les femmes et les hommes en première ligne : les personnels soignants, pompiers, forces de l’ordre mais aussi les agents de mairie, de l’OPT, les salariés de magasins alimentaires.


Lorsque le virus est arrivé sur le territoire, Raitini Rey a cherché à se procurer des masques. Il a rapidement constaté le manque de moyen pour se protéger lui, ses proches, ses collègues. Équipé d’imprimantes 3D, il a cherché à fabriquer lui-même des masques. Ses premières créations n’avaient pas la prétention de rivaliser avec des masques de protection respiratoire individuelle type FFP2.


« Mais au moins, ils permettaient de réduire la propagation du virus. »


Raitini Rey a tâtonné en s’inspirant de ce qu’il trouvait sur la toile, ailleurs dans le monde. Il a finalement opté pour la fabrication de visières pour protéger les yeux mais aussi pour éviter les gestes parasites et améliorer la distanciation sociale. Un porteur de visière ne passe pas sa main sur son visage comme il aurait l’habitude de le faire (en moyenne, un être humain porte les mains sur son visage 3 000 fois par jour). De plus, les gens qu’il rencontre n’osent pas s’approcher de lui, ou le font-ils à bonne distance.


« C’est une solution complémentaire » résume celui dont l’objectif est juste d’aider, d’apporter des pierres à un édifice commun de lutte contre le virus.


Comme l’indique le nom de son groupe, les solutions sont collectives. Chacun fait un peu pour réussir beaucoup. Sa devise a essaimé.

Au tout début du confinement (20 mars), Raitini Rey a posté sur Facebook des photographies de ses premières créations. Ses clichés ont été immédiatement partagés des centaines de fois. Preuve, s’il en fallait, que les besoins étaient criants. Il a lancé un appel à d’autres propriétaires d’imprimantes 3D, à des découpeurs lasers, à des fournisseurs de matière première pour augmenter la production. Un groupe de « makers » s’est constitué.


« L’idée n’était pas d’imposer quoique ce soit à qui que ce soit mais de travailler main dans la main, chacun à son rythme et avec ses moyens. »



Une première communication a fait le buzz. « C’était ingérable. Je recevais une centaine de SMS quasiment simultanément, mon Messenger a explosé à tel point que je ne pouvais plus répondre aux messages, ça allait trop vite. »


Un ami codeur, Teremu Maro lui a porté secours. En trois jours, il a mis en place une plateforme pour centraliser tous les éléments liés au projet. Toute une organisation s’est montée en un temps record pour faciliter la communication, la gestion et la distribution. Des milliers de commandes ont été enregistrées. Priorité étant donnée aux personnes œuvrant en première ligne. Une nouvelle problématique a vu le jour dans ce contexte.

Des entreprises se sont mises à surenchérir et se positionner pour devenir les fournisseurs de matière première afin d’obtenir des visières de protection sans tenir compte des conditions de priorité instaurées par les makers.

« J’ai dû pousser un coup de gueule à cette étape de l’aventure », rapporte Raitni Rey qui a tenu à protéger l’essence même du projet Ensemble, on va plus loin, à savoir, un effort collectif et bénévole, une réunion de bonnes énergies. « J’ai vu grâce au projet pensé en termes d’émergence de compétences, de solidarité, des engagements humains : un grand dévouement que j’aurais à peine pu imaginer avant cette crise. C’est magnifique et incroyable ce qu’on a vécu. »


Fils d’un contrôleur aérien et d’une adjointe au chef d’escale d’Air Tahiti, Raitini Rey vit depuis toujours connecté au monde de l’avion et de l’aéronautique.


Très tôt il s’est pris de passion pour le modélisme. Hélicoptère, voiture, bateau, avion... tous les jouets télécommandés suffisaient à l’occuper des jours durant. Il a suivi des études au centre de formation Air France au château Amaury de la Grande (France) puis est rentré au fenua où il a exercé le métier de pilote de ligne. Il est retourné assez rapidement à ses premières amours, à savoir le modélisme. Et en particulier les avions télécommandés auxquels il a ajouté une petite caméra. Les images rapportées de ses excursions volantes ont séduit et ont trouvé un public fidèle. D’où le lancement de Matarai avec un groupe d’amis. Matarai s’est mise à fabriquer des objets volants toujours plus performants pour rapporter des images toujours plus belles. Pour ça, Raitini Rey s’est équipé d’imprimantes 3D, a tissé un réseau de connaissances en lien avec sa passion, s’est intéressé à des logiciels variés, a développé une multitude de compétences pour rendre possible l’impossible.

Jusqu’à fin mai, la fabrication de visières a battu son plein. Les makers sont devenus plus performants pour répondre à la demande : moins de 20 minutes mi-mai pour une visière, contre trois heures fin mars.


« On s’est mis en en mode start-up flexible, en évoluant au jour le jour pour s’adapter aux besoins, aux demandes, aux découvertes. On a fait des erreurs bien sûr, mais on les a corrigées rapidement et on en a tenu compte pour avancer. »

Ainsi les makers se sont-ils mobilisés pour réagir quasiment en temps réel.

Toutes les découvertes ont été mises en ligne, en open source. Un compte bancaire a été ouvert pour permettre des levées de fonds en toute transparence. « J’insiste, on ne cherche pas à gagner de l’argent, mais nous avons besoin de moyens pour faire fonctionner la production. » Une leçon à apprendre du Covid ? Ensemble finalement, tout est possible.





Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine Investir à Tahiti #5 - juin 2020


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