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Tihoti Tarua, leur cœur fait boum boum pour le coco

  • il y a 17 minutes
  • 6 min de lecture

À Raiatea, la ferme Tihoti Tarua se déploie tout autour du cocotier. Fondée et animée par le couple Heifara Ebb et Tahia Tefaatau, l’entreprise transforme le coco en tournant les pages d’un cahier de recettes qui semble inépuisable. Tout en reposant sur un principe simple : planter et cuisiner ce qu’ils aiment pour, un, se nourrir, et deux, commercialiser le fruit de leurs envies.


© Texte et photos : Gaëlle Poyade



Heifara Ebb (ci-dessous), avec sa compagne Tahia Tefaatau sont à l’origine de l’entreprise agro-alimentaire Tihoti Tarua.
Heifara Ebb (ci-dessous), avec sa compagne Tahia Tefaatau sont à l’origine de l’entreprise agro-alimentaire Tihoti Tarua.

« Quand on compare la quantité de lait de coco importée d’Asie par rapport à la faible production locale, c’est vraiment aberrant », souligne d’emblée Heifara Ebb, dont l’activité première tourne autour de la transformation des cocos en lait. Certes, en 2023, la Direction générale des affaires économiques (DGAE) s’est saisie de cette incohérence en modifiant les modalités d’importation du lait de coco en boîte en Polynésie française.


« L’importation du lait de coco fera l’objet d’une étude dans le but de déterminer précisément les volumes importés et les acteurs économiques impactés, pour envisager, si possible, la substitution par la production locale », peut-on lire sur son site. Déjà, la DGAE a interdit l’importation de l’eau de coco et de l’huile de coco vierge. La motivation de Heifara Ebb et de sa compagne Tahia Tefaatau, c’est que tout Polynésien boive son propre lait de coco, pressé par luimême, ou bien acheté à un fabricant local. Aussi, remarque-t-on dans les supermarchés d’Uturoa leurs bouteilles pasteurisées qui se gardent quatre jours au frigo, à moins d’être congelées. Néanmoins, en dépit de l’incomparable saveur d’un lait frais, les ventes se ralentissent considérablement dans le courant de chaque mois ; de fait, afin d’assurer du travail à leur employé permanent ainsi qu’à leurs quatre autres collaborateurs réguliers, les dirigeants de Tihoti Tarua ont dû diversifier leur gamme.


Le Kokofare, au coeur du fa’a’apu.
Le Kokofare, au coeur du fa’a’apu.

LE KOKOFARE, UN CAFÉ DE PLEIN AIR

Chaque jeudi matin, non loin d’Uturoa, l’un des fa’a’apu de Tihoti Tarua se transforme en salon de gourmandises. Convaincus du pouvoir du lieu, Heifara et Tahia ouvrent leur petit coin de paradis aux amis, voisins, touristes plus ou moins lointains. Déguster un café enrichi d’un onctueux lait de coco, à l’ombre d’un toit en palme, le regard vagabondant sur les plantations, quoi de plus inspirant ?

« Manger local, c’est retrouver sa culture », affirme Heifara qui souhaite que tout un chacun renoue avec la terre, comme le stipule leur bannière d’accueil « Back to the roots ». Vu l’amitié qu’ils témoignent à leurs visiteurs, il est certain que le mā’a mā’ohi est un gage de joyeuse convivialité.

Le cocotier, l’arbre de vie

À cinq minutes d’Uturoa, sur la côte est, Tihoti Tarua a inauguré une boutique qui sert de lieu de dégustation à une incroyable carte de douceurs. Sous un fare en nī’au, avec la vue reposante sur le fa’a’apu, plusieurs mets sont présentés à raison d’une fois par semaine (lire l’encadré). Ainsi, le Kokofare propose de la glace au coco, du rēti’a (pâte d’amidon cuite au four), des po’e au manioc frais ou bien au taro, des petits pains de ’īpō, que l’on peut napper d’un filet de caramel de coco, ainsi que des cookies, des sablés et les indémodables bonbons au coco.


Côté aide culinaire, pourquoi ne pas innover avec de la farine de coco ou bien de la chapelure qui enrobe à merveille le poisson pané. Outre le miti hue (chair de coco fermentée), la boutique expose de l’huile de coco alimentaire et cosmétique. Quelques bijoux légers en noix de coco, posés à côté d’une panoplie de cocobols, poncés et vernis jusqu’à un toucher extrêmement soyeux, montrent à quel point Tihoti Tarua exploite l’entièreté de ce fruit pour n’en rien gâcher.


L’objectif, c’est de proposer du lait de coco bio

Pour s’approvisionner en matière première, Tihoti Tarua possède, à Fetuna, au sud de l’île, sept hectares, dont il cultive 7 000 mètres carrés, principalement en vivriers. Quant à la cocoteraie, elle est située à Tepua, « sur les terres de mon arrière grand- père », précise Heifara, « à son époque, les cocotiers tapissaient les pentes de la montagne, tandis qu’aujourd’hui, on voit surtout des pūrau et des falcata.

Il livrait près d’une tonne de coprah par semaine, ce qui équivaut à la moitié de ce que toute l’île de Raiatea produit de nos jours ! » Le petit-fils, ne disposant que d’une cocoteraie modeste, à savoir 5 000 mètres carrés productifs, sollicite la contribution d’une vingtaine de fournisseurs. « L’objectif, c’est de proposer du lait de coco bio », souligne t-il, « c’est pourquoi nous encourageons les coprahculteurs à passer au bio, ce qui est déjà le cas pour notre propre ferme de cocotiers. »


« Le cocotier, et pas seulement via le coprah, fait vivre de nombreuses familles », rappelle le couple Ebb- Tefaatau. Et il est utile à d’autres cultures locales. Ses palmes sont par exemple un excellent paillage au taro. La pépinière de noix de coco germées.


Continuer à planter des cocos

En Polynésie française, il y aurait 47 variétés de cocotiers identifiées. Parmi elles, Tihoti Tarua s’intéresse plus particulièrement au mā’ohi, une espèce ancienne culminante, de l’ordre de 20 mètres, et qui pousse d’au moins 50 centimètres par an, voire 150 centimètres ! Ce type d’arbre très grand représentait 90 % de la cocoteraie territoriale à la fin du XXe siècle. « Mais sa hauteur est devenue un inconvénient sur le plan de la sécurité », analyse le coprahculteur, « par conséquent, il a été supplanté par des variétés hybridées, plus basses, et surtout sélectionnées pour donner des cocos vertes. Malheureusement, sur ces arbres, les cocos chutent souvent avant d’avoir atteint leur pleine maturité », précise le connaisseur, tout en expliquant, qu’au sein de sa pépinière, les noix femelles sont préférées aux noix mâles, car elles produisent plus que leurs homologues mâles, et au bout de cinq ans seulement, contre sept ans pour ces derniers.


Pour l’assister dans ses choix techniques, l’agriculteur peut compter sur la pépinière de cocotiers de la DAG, basée à Faaroa, dont la mission, entre autres, est d’informer les professionnels sur les méthodes de protection de ces arbres, afin d’assurer une croissance

en santé des cocoteraies.


" Le fa’a’apu est ma thérapie "

Le potager sert d’arrière-cuisine aux agrotransformateurs. Pour confectionner leurs gâteaux, leurs sauces et autres confiseries, ils cultivent les essentiels vivriers que sont le taro, le manioc et le taruā, ainsi que diverses variétés de patates douces (blanc, mauve, orange) dont les feuilles s’utilisent aussi bien crues que cuites. S’ajoutent des bananiers et de la vanille traditionnelle sur tuteur naturel (faux caféier). Suivant les règles de l’agriculture biologique, la rotation des cultures apparaît fondamentale afin d’éviter que les insectes nuisibles ne nidifient et ne s’installent dans une culture. Quant aux adventices, ennemis majeurs de l’agriculteur bio, ils deviennent des alliés sitôt coupés, puisqu’ils servent de paillage à nombre de cultures. « Des demi-cocos font office de compost au pied des plants de vanille ; la bourre de coco est partout employée comme couvert végétal. Nous utilisons même la cendre de coco afin de traiter les tomates contre les cochenilles », détaille le fermier qui ne néglige aucun bienfait de ce fruit béni.


« Manger local et fait-maison, c’est notre credo, afin de limiter la nourriture industrielle et importée », scande Heifara Ebb.

L’entreprise Tihoti Tarua est un hommage au grand-père de Heifara, Georges Russel dénommé Tihoti en tahitien. Quant au tārua, il s’agit d’un légume-racine savoureux dont on mange les jeunes feuilles ( fāfā) ainsi que les jeunes tubercules qui se forment sur les rhizomes.



Retour aux racines

Le lancement de l’entreprise Tihoti Tarua date de 2020. Il est marqué par la maladie qui a réveillé certaines questions chez le couple d’agriculteurs.

« La maman d’Heifara a succombé à un cancer de l’estomac et du foie », rapporte Tahia, « pourtant, elle avait une bonne hygiène

de vie, mangeait des fruits et des légumes. Nous nous sommes alors interrogés sur la qualité de son alimentation. Ensuite, la crise

covid nous a alarmés sur notre faible autonomie alimentaire ». Tandis que le couple remet les mains dans la terre, observant les préceptes de l’agriculture biologique au fa’a’apu, il se replonge en même temps dans l’essence de sa culture polynésienne.


Depuis quatre ans, Tihoti Tarua participe activement à divers événements culturels, comme la célébration du Matari’i i ni’a, en partenariat avec l’association ’A Nui Taputapuātea, ou bien à l’accueil de Fa’afaite et d’Hōkūle’a, deux pirogues traditionnelles polynésiennes. Le 2 septembre 2024, l’organisation, pour la première fois sur l’île sacrée, de la Journée mondiale du cocotier a marqué l’engagement puissant d’Heifara et de Tahia vis-à-vis de leur culture et de leur environnement (lire l’encadré).


« Tous ces événements sont riches », approuve Heifara, « on aime la culture et on veut la soutenir. C’est pourquoi nous recevons

régulièrement des écoles afin d’éveiller les jeunes à leur milieu ». Dans cette optique, Tahia a sa petite astuce : « Le boumbo coco, c’est une machine à remonter le temps », déclare-t-elle, les yeux émerveillés, « ce bonbon coco me ramène à mes grands-parents, à une enfance saine. Je veux que ces gourmandises locales appartiennent au futur, que les enfants de maintenant s’en régalent aussi ! » Qui, enfant comme adulte, saurait résister à pareille invitation doucereuse ?


On aime la culture et on veut la soutenir

Rēti’a, peretō, po’e taro, ’īpō… autant de déclinaisons du lait de coco sous forme de pâtisseries.
Rēti’a, peretō, po’e taro, ’īpō… autant de déclinaisons du lait de coco sous forme de pâtisseries.


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