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Sébastien Lebègue

Artiste de la rencontre

Textes : Virginie Gillet - Photos : © Virginie Gillet © Au Vent des îles


Il est des personnes dont le chemin est tout tracé et d'autres pour lesquelles il est tout à inventer. Sébastien Lebègue, photographe français installé au Japon depuis une dizaine d'années, appartient sans nul doute à la seconde catégorie. Épris de rencontres, de voyages, d'images et d'arrêt sur image, cet artiste inclassable vient de signer un monument dédié à la culture du Caillou : Coutume Kanak, un ouvrage à nul autre pareil, qui donne le curieux sentiment d'avoir toujours existé tant il fut, peut-être, attendu ...



Né en janvier 1975 à Roubaix, que sa famille quitta très tôt pour s’installer en Provence, Sébastien Lebègue s’intéresse dès son adolescence au dessin et à la photographie, une passion qui finira par devenir son écriture primordiale.

Ayant suivi des études en arts appliqués et en architecture à Marseille et Strasbourg, le jeune homme fait également le choix de peaufiner cette écriture photographique, qui le suit mais n’est pas encore essentielle, au sein de l’USHS de la cité alsacienne. Une formation au terme de laquelle il enseignera les arts appliqués durant quelques années en Métropole avant de poursuivre (et d’achever) sa carrière d’enseignant en Polynésie, où il séjournera de 2003 à 2007.


Féru de voyages et surtout d’en rapporter les rencontres, Sébastien, qui aime poser un regard attentif sur les individus mais aussi s’attacher aux contextes socioculturels, remplit plusieurs carnets de photographies, croquis et notes au fil de ses pérégrinations. Mais il fallut un peu de temps avant que ces passions de toujours ne l’acheminent vers une nouvelle voie. L’année 2007, celle de son départ de Polynésie, fut véritablement charnière à cet égard puisqu’elle le vit devenir photographe et illustrateur indépendant.

C’est d’une rencontre avec l’éditeur tahitien Christian Robert que naquit d’ailleurs son premier projet d’envergure en la matière… Quelque temps avant de quitter Tahiti pour rejoindre à Tokyo sa compagne japonaise, qu’il épousera en 2010, Sébastien évoque en effet avec le professionnel de l’édition la possibilité d’un carnet racontant à la première personne l’histoire des Marquises et des Marquisiens. Ce projet, qui rendra nécessaire un séjour de sept semaines au Henua Enana en octobre/novembre 2017, prendra la forme d’un superbe ouvrage dessiné, Ka’oha Nui, carnet de voyage aux îles Marquises, édité Au Vent des Îles en 2010.

Cette réalisation sera suivie d’autres dans la même veine, à commencer par Passeport pour Tokyo, également édité en 2010 (par Elytis). Celui qui cherche plus que jamais à rencontrer l’autre, l’ailleurs, ce qu’il ne connaît pas, a vu toutefois sa démarche se transformer après Ka’oha Nui ; désormais, il sera également à la recherche d’une information, il entreprendra une quête dont tous ses carnets de voyage à venir porteront la trace, investiguant l’ethno-tourisme en Thaïlande ou les expulsions dans les quartiers défavorisés de Shanghai.



Sébastien, lauréat à Paris du concours Sophot dédié à la photographie sociale, primé plusieurs fois à l’international et dont les œuvres sont aussi de plus en plus régulièrement présentées dans les expos, salons et musées, s’est laissé guidé vers le documentaire par une photographie devenue écriture primaire. Ses documentaires narratifs continuent néanmoins à « tirer l’objectivité vers l’artistique » au fil de croquis et de textes qui nourrissent ses clichés pour mieux en souligner « la substantifique moelle ». Au sommet de son art du carnet, l’artiste sera rattrapé par un projet un peu fou, qui en deviendra le point d’orgue et aboutira à l’ouvrage Coutume kanak, pour lequel nous l’avons rencontré.

Profondément marqué par un premier contact avec la coutume kanak, omniprésente, lors d’un séjour chez une amie vivant au sein d’une tribu dans le nord de la Grande Terre calédonienne en 2005, Sébastien Lebègue y séjournera à trois reprises entre 2013 et 2015 afin d’appréhender véritablement cette manière d’être, dont il ignorait tout, dans toutes les dimensions qu’elle peut recouvrir dans le but d’en offrir le témoignage.

Ces séjours en immersion totale au sein de tribus furent organisés en coordination avec le centre Jean-Marie Tjibaou, qui donna forme à cette envie persistante de l’artiste. Initialement projet de reportage mis en œuvre dans la perspective d’une exposition (qui eut bien lieu au centre entre novembre 2014 et août 2015 avant de partir vers de nouveaux horizons internationaux), il se transforma donc au fil des années en un superbe ouvrage, à la fois reportage graphique et photographique, qui s’attache à proposer au fil de 422 pages magnifiquement illustrées une vision riche, complexe et aussi exhaustive que possible de la coutume kanak.



Un ouvrage d’une dimension esthétique incontestable mais aussi d’une évidente qualité scientifique articulé de façon à ménager une double possibilité de lecture : l’une, documentaire et précise, recense les connaissances apportées sur le sujet par les Kanaks eux-mêmes, à travers leurs paroles, tandis que l’autre, plus artistique et poétique, le rend sensible et vivant, invitant le lecteur à une plongée au cœur de la société kanak coutumière d’aujourd’hui. Une clé de compréhension inédite de ce socle sur lequel repose toute l’organisation de la société kanak, exprimée à travers les cérémonies liées à tous les grands moments de la vie, de la naissance au deuil, et régissant tous ses aspects.

Ce livre n’existait pas jusque-là sans doute par manque d’interlocuteurs. Mais Sébastien Lebègue a trouvé des gens enfin prêts à transmettre les choses et ce à l’époque même où le sénat coutumier travaillait lui-même à l’élaboration d’un socle commun des valeurs kanaks. Une temporalité d’ouverture dont l’auteur aura, peut-être, bénéficié par hasard pour nourrir cet ouvrage très bien accueilli en Nouvelle-Calédonie et dont l’écho est déjà retentissant bien au-delà. Et si l’artiste n’en finit pas de porter cet enfant de photos et de papier sur les ailes de l’exposition Coutume kanak, qui achèvera son parcours en mars 2019 à la Maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris, nul doute qu’il ne tardera pas à nous surprendre de nouveau avec des travaux en cours portant notamment sur l’identité de genre et la jeunesse… des travaux plus photographiques que jamais.

« Ce qui est important dans ce livre, c’est qu’il s’agit de la coutume kanak racontée par les Kanaks. Les gens sont au centre de ce projet. Ils ont dit comment ils sont avec leurs mots. »

Sébastien Lebègue est aussi directeur d’Ikono.photo, service de photographie corporate à Tokyo, et directeur artistique du magazine Éclectiques de Freelance France Japon.




InstanTANE #05


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