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Préparateur de l'or noir de Tahiti

  • 14 août
  • 7 min de lecture

Un métier d'expérience

© Texte & Photos : Doris Ramseyer


Avant de la voir, on la devine. Elle se trahit par sa senteur délicatement épicée, enivrante, délicieusement entêtante. La vanille n’est pas une épice comme les autres, et celle de Tahiti encore moins, prisée dans le monde entier par les professionnels de la gastronomie. Régulièrement médaillée au Salon international de l’agriculture à Paris, la Vanilla tahitensis est désormais cultivée sur plusieurs archipels de Polynésie française. Le concours annuel du meilleur préparateur de vanille met en lumière un métier à part, qui repose sur un précieux savoir-faire ancestral et enrichi de techniques modernes, pour sublimer une épice d’exception.


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L’or noir de Tahiti

Lumière tamisée dans l'espace climatisé, parfum vanillé omniprésent dans la pièce silencieuse. Les cinq jurés –  une chef pâtissière, un artisan glacier, un partenaire d'Air Tahiti Nui, un préparateur de vanille et un chef cuisinier – hument, goûtent, palpent, observent, mesurent et notent les onze vanilles Haapape en lice, originaires de différentes îles de Polynésie française. Les critères de sélection sont visuels, olfactifs et gustatifs, sans oublier le toucher, signature du préparateur. « Toutes les vanilles sont incroyables, elles ont chacune leur particularité ! note Tereva Galopin, juré et gérant du restaurant Le Sully. Derrière, il y a un grand travail, et aussi de l'amour : celui de l'agriculteur et du préparateur. Cette épice est comme de l'or noir, une richesse qu'il faut développer et mettre en valeur ! »


Dans la pièce adjacente, au sein des locaux gracieusement mis à disposition par la compagnie au tiare à l'ÉPIC Vanille (établissement public à caractère industriel et commercial), dans lesquels embaument de belles gousses noires et charnues, la remise des diplômes aux quatorze nouveaux préparateurs de vanille s achève tout juste.


Mataute Hapairai, 26 ans, affirme : la vanille, ça me plaît ! Sa famille est dans l'horticulture, mais Mataute a choisi la vanille. Producteur, il gère deux serres à Faaone. Après trois semaines de formation, il a obtenu son diplôme de préparateur de vanille. Conscient que le métier vient avec l expérience, le jeune homme se sent soutenu et accompagné dans ce e entreprise par le GIE

(groupement d intérêt économique).


Tereva Galopin, juré pour la deuxième fois, est chef cuisinier et gérant du restaurant Le Sully, dans lequel il combine les saveurs locales, dont la vanille de Tahiti, avec des mets classiques de la gastronomie française. Les lots de vanille sont notés selon l'aspect visuel, olfactif et gustatif.


« On devient bon préparateur après environ trois ans, et excellent après cinq ans », estime Francky Tauatiti, gérant de Hotu Vanilla à Raiatea. Sa famille est productrice et préparatrice de vanille depuis quelques générations, gagnante de plusieurs médailles d'or et d'argent au concours général agricole de Paris. Francky est président du GIE. Son organisme a été sollicité pour former les nouveaux préparateurs de vanille. « C'est avec plaisir que j'aide la filière à s'élever ! Ce secteur a besoin que les professionnels se fédèrent autour de cette passion, parce que c'est une passion avant tout ».


Préparateur de vanille : un métier rigoureux

La filière de la vanille est réglementée. Il y a une loi de Pays avec des exigences. Le préparateur doit avoir suivi une formation, être titulaire d'un brevet délivré par le ministère de l'Agriculture, et être agréé auprès de l'ÉPIC Vanille. Deuxièmement, les ateliers de préparation et leur fonctionnement sont normés. Le produit doit obéir à un certain taux d'humidité, à un type d'emballage et à des règles de conditionnement, gages d'une qualité exigée par les réglementations autant territoriales qu'internationales.

Celle de la filière vanille date de 1910. C'est un décret. Cela permet de conforter la préparation par la réglementation, et ainsi garantir la qualité de la vanille.


La vanille mûre est contrôlée aux étapes de production et de préparation. Sa traçabilité est aussi notée, car tous les préparateurs ne sont pas producteurs. Certains l'achètent mûre. C est le cas de Carlos Lo Sam Kieou, préparateur professionnel, propriétaire de Manutea Vanille à Taha'a, déjà trois fois médaillé d'or au concours général agricole à Paris. « Ce qui fait la qualité de vanille, c'est son arôme. Il faut que ça reste longtemps en bouche », détaille le préparateur. Ses efforts et son savoir-faire sont aujourd'hui récompensés : Carlos remporte le deuxième prix de préparateur de vanille 2024, ainsi qu'un billet d'avion pour participer au Salonvinternational de l'agriculture 2025 à Paris, offert aux trois lauréats du concours par ATN.



Les vanilles en lice proviennent de Ua Pou, Taha'a, Raiatea, Huahine, Tahiti et Moorea
Les vanilles en lice proviennent de Ua Pou, Taha'a, Raiatea, Huahine, Tahiti et Moorea

Angéla Tom Sing Vien, coordinatrice du concours du meilleur préparateur de vanille, considère que les préparateurs et les producteurs exercent un métier hors du commun. «  Même si la vanille de Tahiti représente moins d'1 % du marché mondial, il est nécessaire de soutenir et de développer la filière ».


Car l'agriculture demeure un métier difficile et méticuleux, qui repose sur un savoir-faire ancestral : « les producteurs sont présents sept jours sur sept pour entretenir leurs exploitations, suivre la croissance des lianes et observer si des maladies se développent ». C'est un travail de longue haleine : trois ans s'écoulent entre la plantation et la récolte, puis l'affinage dure quatre à six mois pour que l'arôme de l'épice grandisse.


Signature des brevets par les nouveaux préparateurs de vanille, diplôme indispensable pour qui veut préparer et vendre l'or noir de Tahiti et de ses îles
Signature des brevets par les nouveaux préparateurs de vanille, diplôme indispensable pour qui veut préparer et vendre l'or noir de Tahiti et de ses îles

Francky explique que préparateur et producteur sont deux métiers à part.L’agriculteur cultive les lianes, puis les pollinise pour obtenir une production annuelle.Une fois que la gousse a été cueillie à maturité, un deuxième métier prend le relais : celui de préparateur. La vanille est rincée, égouttée, puis va brunir en alternant exposition à l’ombre et au soleil, avant d’être calibrée et conditionnée.


« C’est un métier très délicat. Il y a une base que l’on apprend tous mais, à Tahiti, on travaille beaucoup avec le feeling, en s’adaptant aux différentes conditions d’humidité selon les environnements. »

Pour une vanille de qualité, le temps d’exposition durant l’affinage doit être bien dosé, et se détermine visuellement, mais aussi au toucher, selon Carlos.


« Nous avons la meilleure vanille au monde ! s’exclame Francky. Ce sont surtout les professionnels de la gastronomie qui recherchent ce produit d’exception. Quand la vanille planifolia arrive à maturité, elle se fend en deux. Le producteur doit donc la récolter quand elle est immature ; il la fait brunir grâce à l’échaudage.

Ce processus est inutile en Polynésie : la tahitensis est la seule espèce au monde dont le fruit arrive naturellement à maturité sur la liane ! »


Le concours du meilleur préparateur de vanille est organisé par l’ÉPIC Vanille, soutenu par leur partenaire Air Tahiti Nui, qui prête ses locaux pour l’événement et offre des billets d’avion aux lauréats pour participer au Salon international de l’agriculture à Paris en 2025.
Le concours du meilleur préparateur de vanille est organisé par l’ÉPIC Vanille, soutenu par leur partenaire Air Tahiti Nui, qui prête ses locaux pour l’événement et offre des billets d’avion aux lauréats pour participer au Salon international de l’agriculture à Paris en 2025.

Objectif qualifié

Gilles Tefaatau, producteur, préparateur et exportateur de vanille, récemment élu vice-président de la Fédération nationale des vanilles françaises des outre-mer, continue à s’engager avec passion dans la filière. Il se révèle très satisfait des résultats de la formation des nouveaux préparateurs de vanille, qu’il a également instruits.


Comme les producteurs sont éparpillés sur un continent grand comme l’Europe, on ne peut pas tout contrôler, admet Gilles. Il vient de mettre en place un protocole exigeant sur la qualité de la vanille, condition sine qua non pour intégrer le GIE. Car l’épice exportée est soumise aux contrôles des laboratoires internationaux, qui excluent les vanilles contenant des pesticides.Lorsque celles-ci reviennent à leur destinataire, ce sont plusieurs années de travail qui sont anéanties.

« La préparation dépend de la qualité de la vanille. Si, au départ, il y a un produit de qualité, le résultat final sera exceptionnel. Mais, si à l’origine, la récolte n’est pas mature, ou remplie de pesticides, même pour des professionnels médaillés, le résultat sera médiocre. »


Les producteurs en ombrière ou en serre, dont l’investissement de base s’avère important – au contraire de ceux qui produisent en milieu naturel –, ont besoin de traiter la vanille contre les maladies qui l’attaquent, susceptibles de déclasser l’épice. Le laboratoire de l’ÉPIC Vanille, basé à Uturoa, travaille sur d’autres solutions que les pesticides, notamment la bouillie bordelaise, traitement fongicide utilisé en France par les vignerons contre le mildiou, qui pique la vanille surtout par temps humide.


Gilles est également le nouveau président de l’association chargée de la protection de la labellisation de la vanille.L’ÉPIC Vanille travaille depuis 10 ans déjà sur l’AOP (appellation d’origine protégée). Mais, puisque d’autres archipels, aux climats diversifiés, sont devenus producteurs, il apparaît indispensable d’évoluer vers l’IGP (indication géographique protégée), ce qui facilitera son exportation.


« La procédure est urgente, note Gilles, car Tahiti n’est pas le seul territoire à produire de la Vanilla tahitensis. »

« En 2024, la production de vanille mûre avoisinait les 25 tonnes, soit environ 9 tonnes de vanille préparée. Le marché européen absorbe tout ce volume, sans compter les demandes de la Corée du Sud, de Dubaï, du Canada… On n’a pas assez de vanille », déplore Gilles.


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Dans les années 1960, la Polynésie produisait 300 tonnes de vanilles mûres. Progressivement, les exploitations sont devenues moins traditionnelles, moins familiales qu’auparavant.De plus, l’épice tahitienne s’est retrouvée en rude concurrence sur le marché international avec l’expansion de la vanille Bourbon et celle de la vanille de synthèse.

Il conclut : « Il est nécessaire de produire plus, afin de répondre à une demande qui est bien supérieure à l’offre, mais il faut veiller d’abord à la qualité. Car la seule condition pour maintenir le produit sur le marché exigeant de l’international, c’est la qualité. »


Le préparateur de vanille joue un rôle important pour atteindre cet objectif. Il parachève et conditionne artisanalement une épice rare et unique. Il sublime un fruit riche de plus de 200 molécules, à l’arôme complexe et délicat. Après plusieurs mois, il obtient des gousses huileuses, charnues et brillantes. C’est un métier de ressenti, d’expérience, d’art et de patience, pour offrir à la vanille de Tahiti toutes les qualités qu’elle mérite.



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